L’équipe masculine suisse de ski alpin a confirmé le week-end dernier qu’elle était bien la meilleure formation du monde en vitesse. À Wengen, elle est parvenue à placer, tant en super-G vendredi qu’en descente samedi, deux de ses athlètes sur le podium. La réussite actuelle de Swiss-Ski, qui espère assoir un peu plus sa domination cette fin de semaine sur la Streif à Kitzbühel, trouve sa source dans plusieurs éléments. Décryptage avec les skieurs et les entraîneurs de vitesse.
«C'est fabuleux ce qu'on arrive à faire cette année !» Entraîneur de l’équipe hommes de vitesse en Coupe du monde de ski alpin, Valentin Crettaz ne boudait pas son plaisir samedi dernier après la victoire de Marco Odermatt devant Franjo von Allmen sur la descente du Lauberhorn. Grâce à ce nouveau récital, la Suisse n’a une fois de plus laissé que des miettes à ses adversaires, signant dans la discipline son quatrième doublé en autant d’épreuves cet hiver.
«C'est vraiment une émulation avec tous les gars qui ont envie de se pousser, tant en course qu’à l’entraînement», a estimé le coach valaisan. «Tout le monde essaie d'aller chercher un truc. On place à nouveau quatre athlètes dans le top 8, cinq dans les douze premiers. C'est difficile de faire mieux, je crois.»
Plusieurs éléments expliquent la recette du succès helvétique. D’abord, il est incontestable de dire que la Suisse bénéficie de sa position géographique. «Le pays est principalement dans les Alpes, c’est donc un peu plus facile d’avoir des talents qu’aux Pays-Bas, par exemple», rappelait Justin Murisier la semaine dernière avant les courses de Wengen.
Les meilleurs descendeurs profitent ainsi de conditions idéales pour s’entraîner tout au long de l’année, que ce soit à Saas-Fee durant l’été ou à Zinal, Davos, Crans-Montana ou encore St-Moritz pendant l’hiver. Et cela même après l’interdiction d’accéder au glacier de Zermatt décidée l’an dernier. «C’est un peu dommage qu'on n'ait pas pu aller à Zermatt. Ça nous a manqué un petit peu, mais on a cherché d'autres solutions. La Suisse aime la vitesse, surtout la descente, et nous donne des possibilités pour qu'on puisse aller s'entraîner. C’est génial», a rappelé Crettaz.
«On se dit que les Autrichiens sont foutus, mais...»
Au-delà du paramètre «chance» au niveau topographique, il faut aussi relever que le paramètre «malchance» chez la concurrence fait les affaires de la Suisse. En effet, cette saison, les autres grandes nations de la vitesse ont vu leur effectif s'affaiblir. On pense notamment aux longues absences pour blessure du Norvégien Aleksander Aamodt Kilde ou encore du Français Cyprien Sarrazin. Et cela sans évoquer le cas de l’Autriche.
La «Wunderteam» est en mal de résultats depuis plusieurs exercices et a vu son leader Vincent Kriechmayr se blesser samedi dernier (ndlr : il souffre d’une grave entorse du ligament interne au genou droit). «Il y a un peu de la chance qui entre en compte. L'année passée, Marco Schwarz partait pour faire une saison de malade et puis il s'est blessé. En début de saison, on se dit effectivement que les Autrichiens sont foutus. L’année passée, au même moment, on se faisait du souci pour le gros Globe à cause de Marco Schwarz. Il faut donc toujours relativiser», a souligné Murisier.
Mais le malheur des uns ne fait pas tout le bonheur de la Suisse. Absence importante ou non chez ses adversaires, cette dernière «a de la chance d'avoir un gars comme Marco Odermatt» dans ses rangs, comme l’indiquait Murisier. «Tout le monde s'inspire d'Odi. Grâce à ça, on arrive à ce que tout le monde progresse et soit devant», a expliqué Valentin Crettaz.
Chez les coéquipiers du champion de Nidwald, on ne tarit pas d’éloges à son égard. «Marco partage beaucoup, au contraire d’anciens grands champions suisses qui faisaient un peu leurs trucs dans leur coin», a reconnu Arnaud Boisset. «Il ne se prend pas la tête, alors qu’il aurait beaucoup de raisons de le faire d'ailleurs. Il est très décontracté, on peut parler vraiment d'autre chose que du ski avec.»
«Il est une superbe locomotive pour l’équipe», s’est réjoui pour sa part Franjo von Allmen, vainqueur du super-G vendredi et deuxième le lendemain en descente derrière Odermatt. «Il nous montre à tous que c’est possible. Nous, les jeunes athlètes, nous pouvons en profiter pour faire de belles performances.»
La recette Franz Heinzer
En plus de pouvoir s’inspirer d'un Marco Odermatt, la nouvelle génération doit en grande partie son avènement dans le Cirque blanc à un autre modèle : Franz Heinzer. Légende du ski alpin helvétique et triple lauréat du petit globe de descente entre 1991 et 1993, le Schwytzois de 62 ans est en charge de la relève en vitesse au niveau de la Coupe d’Europe depuis des années.
«Les jeunes, comme Alexis (Monney), Franjo ou même Rogentin, ont profité du groupe de Franz Heinzer en Coupe d'Europe. Pour moi, c’est là que Swiss-Ski a fait juste, en laissant un entraîneur de qualité, un ancien coureur, dans la deuxième équipe pour leur apprendre la vitesse, sans les stresser. Ils arrivent ainsi au plus haut niveau avec déjà l’expérience, c’est incroyable. Je pense que c’est la clé», a détaillé Murisier après sa 7e place samedi.
«C’est un gars qui forme les jeunes de manière spectaculaire, qui est à l'écoute des jeunes et qui met vraiment les bases pour la vitesse. C'est lui qui les construit, qui construit toute la base dans cette structure. Quand ces jeunes arrivent au plus haut niveau, ils ont déjà des bonnes bases techniques», a salué de son côté Crettaz.
Passé sous la houlette de Franz Heinzer, Arnaud Boisset a estimé qu’il avait grandi aux côtés du champion du monde 1991 de la discipline reine. «Ça explique vraiment beaucoup de succès. Alexis, Franjo, Marco Kohler, Lars Rösti ou moi-même, nous sommes passés par Franz. C’était des années en Coupe d'Europe où l’on a appris qu'on ne pouvait pas gagner toutes les courses et qu'on ne pouvait pas tout le temps risquer tout parce qu'il y avait les blessures. C’est ce qui nous a permis d'arriver avec plus de maturité sur la Coupe du Monde», s’est souvenu le Martignerain de 26 ans.
Un team spirit au beau fixe
Cette continuité s’inscrit également chez les élites. Depuis 2019, la team de Coupe du monde est menée par Reto Nydegger. «Il y a quand même une stabilité avec Reto qui est vraiment un super entraîneur et qui met tout le monde en confiance», a avoué Valentin Crettaz, qui a rejoint le staff «Mastery» l’été dernier après avoir œuvré en tant que chef de file des cadres C.
«D’arriver dans cette équipe-là, de bien connaître les jeunes athlètes et de pouvoir les aider aussi, c'est aussi plus facile. Je pense que ça leur fait du bien aussi d'avoir des gens de confiance qui sont là et qui les suivent depuis plusieurs années», s’est félicité l’Anniviard de 37 ans.
Mais tous ses ingrédients ne se marieraient pas ensemble sans une ambiance d’équipe au beau fixe. Pour peaufiner sa préparation à Wengen, entraîneurs et skieurs se sont, par exemple, affrontés jeudi dernier dans un match de... curling, organisé dans la station bernoise.
«On s'entend tous bien, on rigole tous ensemble. Avant la course (ndlr : le super-G de vendredi), Justin a mis de la musique pendant qu’on attendait le départ. On passe des bons moments. On s'entraide, que ce soit sur la piste, à la connaissance ou à la vidéo. On se tire tous vers le haut», a raconté Alexis Monney, à l'image du discours tenu par nombreux de ses partenaires.
Le ski alpin suisse, qui est sans doute en train d’écrire la plus belle page de son histoire, a ainsi de belles années qui s’ouvrent devant lui. De bons augures pour les prochains grands rendez-vous, à savoir les championnats du monde en début février à Saalbach et les Jeux olympiques d’hiver en 2026 à Milan-Cortina.