Urs Lehmann était forcément heureux au moment de dresser le bilan des courses de Wengen dimanche. Le président de Swiss-Ski n'a également pas cherché à éviter les sujets «qui fâchent», à commencer par le manque de podiums chez les hommes au-delà de Marco Odermatt. Interrogé aussi sur les nombreuses chutes survenues sur le Lauberhorn, le champion du monde en descente de 1993 n’a pas hésité à critiquer la manière d'établir le calendrier. Il s'est livré à plusieurs médias romands, dont blue Sport.
Urs Lehmann, quel bilan tirez-vous de ces épreuves du Lauberhorn, qui ont connu un franc succès avec notamment un record d'affluence - 38'000 personnes ont assisté à la descente samedi -, et un doublé de Marco Odermatt en descente ?
«C’était une semaine magnifique, extraordinaire. Je dis toujours qu’un événement réussi se base sur trois éléments. Premièrement, c’est l'organisation qui doit jouer et on a eu une semaine incroyable. Deuxièmement, ce sont les médias et la façon dont ils couvrent l'événement. On l'a vu à la télévision, les images étaient folles, avec les drones notamment. Et troisièmement, c’est la performance des athlètes. C’était avant tout Marco Odermatt, mais aussi les jeunes. C’était une semaine magnifique pour le sport suisse.»
Marco Odermatt est sur une autre planète. Mais sur les 16 courses masculines disputées cette saison, c’est le seul Suisse à être monté sur podium (à 11 reprises). Qu’est-ce que cela veut dire pour vous ?
«On a 16 podiums quand même (ndlr: désormais 17, en prenant en compte les résultats féminins), il faut le faire tout de même. Mais il faut savoir rester humble. Dans le sport, tout peut changer très vite. Hier, par exemple, on a eu cinq Suisses dans le top 15, ce qui est très bien. Ce qui est fort, c’est qu’on a des jeunes, comme Josua Mettler, Franjo von Allmen ou encore Arnaud Boisset, qui font des excellents résultats. Mais c’est clair, à part Marco (Odermatt), personne n’a fait de podium. En slalom, on a une très bonne équipe qui peut gagner, mais ça ne joue pas pour le moment. Les athlètes le voient et ce sont les premiers déçus compte tenu de leur potentiel. On sait où il y a un manque et où ils doivent travailler. Ça me plaît de voir qu’un Tanguy Nef progresse pas à pas. Tu vois qu'il skie la première manche à 60% pour ne pas prendre de risque et rentrer (dans le top 30). Marc Rochat, c’est pareil. Il y a toujours des éléments positifs même si à la fin, il manque des podiums.»
Vous préférez donc voir les jeunes skieurs se faire une place en Coupe du monde plutôt que des podiums ?
«Non, avant tout, j’aime avoir des podiums ! Après, il faut comprendre les raisons de ce manque. Il y a Aerni qui fait des progrès et Marc Rochat et Tanguy Nef qui skient avec la tête. On voit la progression. Ensuite, c’est sûr que Daniel Yule et Ramon Zenhäusern doivent encore travailler car ils n’exploitent pas totalement leur potentiel. Ça me gêne, mais il faut toujours comprendre pourquoi. Il faut le voir comme cela.»
Cela ne vous inquiète pas de voir des Loïc Meillard, Niels Hintermann ou encore Stefan Rogentin qui n’ont pas encore exploité tout leur potentiel ?
«On est d’accord. Il n’y a rien à ajouter là-dessus, on le sait. Mais on sait aussi qu’ils sont capables de le faire, ils l’ont déjà fait. Mais vous savez, dans le ski, c'est tellement complexe, tous les éléments doivent jouer ensemble. Prenez Hintermann par exemple : à Zermatt, il était tout devant aux entraînements. Les courses ont ensuite été annulées et il a commencé à réfléchir et s’est peut-être mis trop de pression. Il n'est pas loin, mais il doit faire ce pas maintenant. Pour Loïc (Meillard), c’est la même chose. Il est éliminé à deux reprises à cause d’un problème de fixation avec son ski. Cela te fait perdre ta confiance. Ils doivent travailler. Mais rappelons quand même qu’il y a sept ou huit noms dans nos rangs qui peuvent monter sur le podium, c’est pas mal. D’autres nations n’ont qu’un seul skieur qui en est capable. Il faut le voir aussi sous cet angle.»
«Trois courses de vitesse, sur cette piste, je suis certain qu’on ne verra plus cela dans le futur»
Sur le programme dense à Wengen
Les épreuves de vitesse ont fait jaser en raison des nombreuses chutes. Est-ce que c’était la dernière fois qu’on voyait trois courses ici à Wengen ? Pour vous, était-ce trop ?
«Avant tout, il faut penser que la course de jeudi est une épreuve récupérée de Beaver Creek. Les athlètes, les entraîneurs et la FIS voulaient récupérer ces courses. Il n'y a rien à reprocher à ce niveau-là. Mais cette semaine, on a vu des limites. Trois courses de vitesse, sur cette piste, dans ce format, je suis certain qu’on ne verra plus cela dans le futur. On pourrait se concentrer soit sur le format, soit sur le nombre de courses, mais on a appris des choses. Et avec ce savoir, on va pouvoir travailler.»
Markus Waldner, le patron de la Coupe du monde masculine, a annoncé samedi soir que désormais toute course annulée ne serait pas replacée dans le calendrier.
«C'est une décision hâtive. Il ne faut pas se laisser aller par les émotions. Je dis que l'on a appris des choses, on a vu les limites. Mais il faut avant tout se mettre autour de la table et discuter des solutions. Une course annulée qui n'est pas reprise est un problème. Je prends encore l'exemple de Niels Hintermann, qui fait toutes les descentes. Son salaire provient des courses qu'il peut disputer. Et s'il n'en a plus, qu'est-ce qui se passe avec ses revenus ? Mais c'est tout le système qui est impliqué. C'est la FIS, les fédérations... Il ne faut pas enlever les courses, au contraire, il faut en avoir autant que maintenant. Mais il faut réfléchir comment, quand et où ?»
Typiquement, plusieurs athlètes proposent un allongement de la saison jusqu'en avril.
«Je suis tout à fait d'accord. Mais il faut penser à la façon dont le calendrier, est actuellement fait et par qui... Ce n'est pas selon les procédures. C'est une seule personne à la maison (ndlr : sans le citer, Urs Lehmann fait sans doute allusion au président de la FIS, Johan Eliasch). Et cela ne peut se faire comme cela.»
Vous, en tant que membre du Conseil de la FIS, n'avez aucune influence ?
«On le dit, mais ils font ce qu'ils veulent... J'ai appris par messages que Sun Valley (aux États-Unis) avait les finales de la Coupe du monde en 2026, 2028 et 2030. Je n'avais jamais rien entendu. Et personne de la FIS n'a jamais été là-bas. Et j'apprends cela ainsi. C'est ça le problème.»