Didier Cuche «Marco Odermatt pourrait devenir son propre adversaire»

Clara Francey

8.1.2024

En marge de l’étape de Coupe du monde de ski alpin d’Adelboden, blue Sport s'est entretenu avec le plus grand skieur que la Romandie ait connu, Didier Cuche, vainqueur du géant en 2002 dans l'Oberland bernois. De la retraite de Lucas Braathen à l'ultra-domination de Marco Odermatt, en passant par les critiques à l'encontre du calendrier de la FIS, le Neuchâtelois revient sur l'actualité du cirque blanc.

Bien que retraité depuis plus de 10 ans, Didier Cuche suit encore attentivement le cirque blanc.
Bien que retraité depuis plus de 10 ans, Didier Cuche suit encore attentivement le cirque blanc.
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Clara Francey

Didier Cuche, plus de 10 ans après avoir pris votre retraite, suivez-vous avec toujours autant d’attention le cirque blanc ?

«Oui, j'adore, que ce soit à la télévision ou sur place. Ce mois de janvier je vais assister aux courses d'Adelboden, de Wengen et de Kitzbühel.»

Y compris depuis la retraite de Beat Feuz il y a maintenant un an ?

«Même si je suis d’un œil encore plus attentif les performances de nos athlètes suisses, ce sont les courses dans leur entier qui me fascinent. D’avoir connu l’envers du décor, les petits détails qu’il faut pour arriver au sommet, ça rend la chose encore plus intéressante.»

Cette saison de Coupe du monde a débuté avec l’annonce choc de Lucas Braathen, grand espoir norvégien, de se retirer de la compétition à seulement 23 ans en raison d’un conflit avec sa fédération. Avez-vous compris sa décision ?

«Honnêtement, non. J'ai toujours l'impression qu'il y a quelque chose qui va encore faire surface. Je ne sais pas, je suis perplexe. En plus, je l'ai rencontré l'an dernier à Adelboden (ndlr : où il s’était imposé en slalom). J'avais alors été impressionné par la performance et le personnage, très attachant. Ce sont des personnages comme ça qu'il faut pour mettre un petit peu de piment dans la Coupe du monde. J'ai l'impression que les personnalités comme la sienne font du bien au circuit. J’ai vraiment le sentiment qu'il y a quelque chose d'autre que des histoires de contrats qui a motivé sa décision, peut-être un cumul de choses plus profondes.»

Le climat a joué cet automne plus que jamais de mauvais tours à la FIS. Les annulations en cascade du début de saison ont encore densifié un calendrier déjà bien chargé. Comprenez-vous les critiques de certains acteurs du cirque blanc, principalement des «multidisciplinaires», dont Marco Odermatt, à l’encontre de ce calendrier surchargé ?

«Courir cinq courses en cinq jours, c'est sûr que ça demande plus d'énergie, que c'est plus intense, plus difficile physiquement et peut-être même psychologiquement. Mais finalement les athlètes qui cumulent trois disciplines ou plus sont peu nombreux. Ils doivent être quatre ou cinq. Et les athlètes qui ne s’alignent que sur une discipline sont contents quand les courses sont reprises.»

«Tout ça pour dire que dans un sens, oui, je comprends leurs critiques, mais que dans un autre il faut aussi penser au skieur qui ne fait que de la descente et à qui il ne reste que sept courses par année si vous lui en enlevez deux ou trois. Moi je n’ai jamais été contre la reprise de courses qui étaient annulées, parce que finalement c'était mon métier, ma passion et mon gagne-pain.»

Puisqu’on parle de Marco Odermatt, le duel des «Marco» dans la course au gros Globe de cristal s’annonçait passionnant, il a tourné court la semaine dernière avec la blessure de Marco Schwarz. Voyez-vous quelqu’un d’autre capable de venir poser problème à «Odi», excepté lui-même ?

«Je ne vois personne capable mathématiquement d’aller chercher Marco Odermatt. C’est peut-être lui qui pourrait devenir son propre adversaire, notamment en raison de cette pression grandissante d’aller chercher sa première victoire en descente en Coupe du monde. Aujourd'hui, tout le monde lui en parle. Cette semaine, il sera à la maison, j’imagine qu’il a en tête de gagner sur le Lauberhorn.»

«Je dirais que ce jeu-là peut apporter des risques. Mais j'ai l'impression que Marco gère très bien la pression, le stress. Donc j'espère qu'il continue ainsi, qu'il ne va perdre patience et qu'il attende que ça se fasse par soi-même, parce qu'en skiant à ce niveau-là, ça va se faire de toute façon. Ça ne fait aucun doute qu’il va gagner bientôt une descente, reste à savoir laquelle. La descente est dans ses cordes, il l’a prouvé notamment la saison dernière sur le Lauberhorn (ndlr : où il avait terminé à la 2e place), où il faut être bon tant physiquement, qu'au niveau de la glisse, de la technique et du courage. Il est capable d’aller vite partout, y compris à Kitzbühel où il s'est fait une frayeur l'année dernière. A lui de trouver sa propre limite, sans l'outrepasser, au risque de finir au tapis et de finalement terminer sa saison sur une chute.»

Avec Justin Murisier (4e de la descente et 5e du super-G de Bormio), Alexis Monney (13e de la descente de Bormio) et Arnaud Boisset (19e du super-G de Val Gardena et 22e de la descente de Bormio), la Romandie est bien représentée en vitesse en ce début de saison. Comment jugez-vous leurs performances ?

«Les performances de Justin Murisier à Bormio sont juste incroyables. J'espère qu'il puisse continuer sur cet élan lors des prochaines courses, sur différentes structures de neige, puisqu'il a l'air de s'être senti super à l'aise à Bormio. Il l'avait même annoncé avant la course, ce qui était courageux. Mais il a joint la parole aux actes et c'était juste magnifique.»

«Ensuite, Alexis a montré l'année passée qu'il était rentré dans la cour des grands. Maintenant je pense qu'il est encore un peu dans cette phase d'apprentissage. C'est des fois plus difficile la saison qui suit, après qu’on ait claqué nos premières «perfs» en Coupe du monde. Mais là, il est à sa place, il va bien. Il faut qu’il continue comme ça et j'espère surtout qu'il ne se blesse pas pour pouvoir continuer sa progression.»

«Et enfin, Arnaud a marqué ses premiers points de Coupe du monde en Italie, à Val Gardena puis à Bormio. Il est en train de prendre pied dans la Coupe du monde. Val Gardena, c'est dans le domaine du faisable pour pas mal d'athlètes, mais il fallait quand même le faire. Par contre, ce qu'il a fait à Bormio, d'aller se classer autour de la 20e place pour sa première participation, c’est fantastique. A savoir que Bormio c'est pour moi un des plus gros morceaux du circuit avec Kitzbühel et Wengen, voire même la descente qui personnellement m'inspirait le plus de respect par rapport à la vitesse qu’il y a en haut, pratiquement 150 km/h, des virages, de la tôle ondulée gelée et ces dernières 30 secondes de course où les jambes sont cramées mais où il faut tenir bon, garder du courage et tailler des bonnes courbes pour arriver à rivaliser.»

Pour revenir sur Justin Murisier, a-t-il selon vous les moyens de s’installer durablement dans les tous meilleurs en vitesse ?

«Justin je pense qu’il est, malgré son âge (ndlr : 32 ans ce lundi) et surtout par rapport à son parcours, encore dans la phase de développement de ses capacités de glisse. Je pense que s'établir là où il est, dans les dix premiers, c'est dans le domaine du faisable. Pour aller chercher des podiums, je pense qu'à Wengen ce sera plus compliqué. Quoique, des fois ce genre de «perfs» comme à Bormio a un effet de déclic, amène plus de décontraction, ce qui fait qu'on peut enchaîner dans les courses qui suivent. Par contre, je pense qu'il serait capable d'aller autant vite qu'à Bormio à Kitzbühel.»

Comprenez-vous qu’il s’aligne encore en géant, où il est à la peine en ce début de saison, comme ça a été le cas ce week-end à Adelboden (ndlr : où il a terminé à la 13e place) ?

«Oui, bien sûr, premièrement parce que c'est à la maison, mais surtout parce qu’il a sa place, qu’il ne la vole à personne. Il a montré par le passé qu'il était capable de skier vite, d’atteindre le podium (ndlr : une 3e place à Alta Badia en 2020). Il a raison d’y croire jusqu'au bout, parce que le géant est une discipline qui est plaisante et quand ça fonctionne bien, on y prend énormément de plaisir.»

A quoi ressemble la vie de Didier Cuche aujourd’hui ?

  • «Alors elle est quand même très différente de la vie que j’avais quand j'étais actif. Je suis aujourd’hui père de famille, j’ai deux enfants, donc le quotidien d'une famille change bien des choses. J’ai bien évidemment gardé des liens avec le ski. Je travaille notamment encore avec des partenaires comme Head et Audi. Je suis également président du Giron Jurassien. Ça me permet de garder un lien avec la jeunesse de la région. Notre objectif est de faire en sorte d’amener des jeunes de l’Arc jurassien plus loin. Et puis j'ai encore une activité au sein du conseil de fondation de «Passion Sports de Neige», une association de donateurs qui distribue de l'argent aux parents d'enfants qui sont dans le cursus de ski et qui n'ont pas assez d'argent. Les enfants qui sont dans les différents sports de Swiss-Ski peuvent faire des demandes et les dossiers sont analysés. Une vie donc bien remplie, mais aussi bien différente d'avant.»