«Pas que Paris ou Milan» Fashion week dans le plus grand bidonville kenyan

ATS

15.10.2023 - 10:07

Surplombant les toits de tôle rouillée du bidonville de Kibera, les mannequins défilent à trois mètres de hauteur sur une estrade. Celle-ci est montée sur des matatus, les emblématiques minibus bigarrés de la capitale kényane Nairobi.

Loin du style feutré, parfois guindé, des défilés de haute couture occidentaux, la foule acclame les passages des mannequins, salue bruyamment les designers qui se présentent à la fin du défilé de leur collection (archives).
Loin du style feutré, parfois guindé, des défilés de haute couture occidentaux, la foule acclame les passages des mannequins, salue bruyamment les designers qui se présentent à la fin du défilé de leur collection (archives).
KEYSTONE

Durant près de six heures, entrecoupées de concerts dont un du célèbre rappeur kényan Octopizzo, les collections de la Kibera Fashion Week s'enchaînent, sous le regard de quelques centaines de spectateurs, habitant le quartier ou venus d'autres parties de la ville.

«Kibera regorge de style. (...) Les gens n'ont pas l'occasion de le voir parce que l'image qu'ils ont de Kibera est faite de violences post-électorales, de prostitution, de drogue... Nous voulons montrer qu'ici aussi, on a du style, de la créativité», explique le fondateur de cet événement, David Ochieng, connu sous le nom d'Avido.

Ce designer de mode de 27 ans, «né et élevé» à Kibera et qui a collaboré avec des stars mondiales comme Beyoncé ou Bruno Mars, entend révéler les talents cachés du principal bidonville du Kenya, également l'un des plus peuplés du continent – 250'000 habitants, selon une estimation de l'ONU en 2020. «Ce qu'il manque ici, ce sont des opportunités», résume-t-il.

Avec plusieurs partenaires (Goethe Institut, l'UE, l'institut Nairobi Design, le collectif Masai Mbili...), ils ont financé et accompagné onze projets, retenus parmi 376 candidatures, dans des styles très variés, travaillant des matières aussi diverses que le coton, la toile de jute, la laine, les perles et même le métal.

«Poches vides»

Parmi eux, le style post-apocalyptique, à la «Mad Max», de Pius Ochieng (sans lien de parenté avec Avido) a séduit les organisateurs.

Durant deux mois, le jeune homme de 26 ans a récupéré des cartes mères d'ordinateur, bougies d'allumage, guirlandes LED, chaînes, ressorts et autres pièces métalliques dans la rue et les décharges.

Il les a ensuite retravaillées et cousues sur les vêtements chez lui, une pièce aveugle d'une quinzaine de mètres carrés éclairée par trois néons rose, vert et bleu, située dans une des ruelles du dédale de Kibera.

L'idée a germé durant la période «folle» de la pandémie de Covid, explique ce néophyte, habitué aux petits boulots de serveur ou de «fundi» (artisan): «Mais je n'avais pas jamais pu la mettre en application».

Originaire de Kawangware, un quartier populaire de Nairobi, Helen Wanjiru a, elle, constellé ses tenues de larges poches sur le torse, les jambes, le dos...

«Ces poches sont grandes mais elle sont vides. C'est une analogie: beaucoup de jeunes au Kenya ont des diplômes, des idées, mais ils ne trouvent pas d'emplois parce qu'il n'y a pas d'opportunités et s'ils en trouvent un, ils ne peuvent pas en vivre», explique la jeune femme de 26 ans, qui s'est reconvertie cette année dans la mode, sa passion, après avoir travaillé dans l'informatique.

«Pas que Paris ou Milan»

Loin du style feutré, parfois guindé, des défilés de haute couture occidentaux, la foule – majoritairement jeune – acclame les passages des mannequins, salue bruyamment les designers qui se présentent à la fin du défilé de leur collection.

L'événement est aussi l'occasion pour un public de «fashionistas» d'exhiber ses tenues excentriques: ici des lunettes recouvertes de chaînettes dorées, là des pantalons décorés et élargis à l'aide de patchworks...

Dans un pays où les vêtements de seconde main et les marques étrangères sont dominants, l'univers de la mode et de la création reste toutefois lointain.

«Beaucoup de gens n'ont vu des défilés de mode qu'à la télé», explique Avido: «Nous voulons leur montrer ce qu'est la mode. (...) Des gens comme nos parents pensaient que si on était dans la mode ou le design, on était juste un tailleur, ou si vous étiez mannequin, ils pouvait vous voir comme une prostituée.»

Violet Omulo, gestionnaire de projet à Nairobi, est venue à la Fashion Week «se détendre, s'amuser et découvrir de nouveaux créateurs».

«La mode africaine est particulière et est en train de monter. Il faut en faire la promotion avec des événements comme celui-ci pour que les gens sachent que nous pouvons être créatifs, avoir de nouvelles idées, qu'il n'y a pas que Paris ou Milan», explique-t-elle: «Le Kenya, et l'Afrique en général, comptent des créateurs talentueux».

ATS