En exilQuelles perspectives pour les huit opposants russes libérés?
ATS
2.8.2024 - 15:14
Huit militants d'opposition russes, dont certains renommés et influents, figurent parmi les personnes libérées par Moscou dans le cadre d'un échange de prisonniers historique avec l'Occident. Désormais en exil, peuvent-ils consolider la lutte contre le régime de Vladimir Poutine?
02.08.2024, 15:14
ATS
L'opposant Ilia Iachine, libéré, avait lui-même déclaré qu'il ne voulait pas être échangé. Avec un argument clair: la voix d'un détracteur du Kremlin, hors de Russie, porte moins que dans son pays.
«Des discours prononcés dans un café parisien et dans une prison russe n'ont pas le même poids politique. Je suis resté en Russie pour être une voix russe contre la guerre et la dictature», écrivait-il dans une lettre publiée mi-juin par la chaîne russe Dojd.
«J'estime sincèrement qu'un politicien russe doit être en Russie, dans la peine et dans la joie», appuyait-il, en disant vouloir «partager le destin de son pays et de son peuple».
Avant lui, avec le même argument, son ami Alexeï Navalny, figure centrale de l'opposition russe, avait choisi de rentrer en Russie après son empoisonnement en 2020, puis sa convalescence en Allemagne. Un retour qui lui fut fatal.
Soumis à des conditions de détention de plus en plus éprouvantes, il est mort le 16 février 2024. Avec lui a disparu l'une des voix les plus puissantes contre Vladimir Poutine.
Disparus de l'espace public
Par le passé, plusieurs dissidents russes qui ont choisi ou ont été contraints à l'émigration ont progressivement disparu de l'espace public. Surtout, ils n'ont pas réussi à unifier une opposition russe connue pour ses multiples dissensions, notamment entre l'équipe de M. Navalny et d'autres groupes tels que celui de l'ex-oligarque devenu opposant Mikhaïl Khodorkovski.
Le politologue Konstantin Kalatchev, basé à Moscou, juge donc qu'il n'est pas acquis que la libération de ces huit opposants consolide le mouvement.
«Il y a un schisme entre ceux qui sont partis et ceux qui sont restés. Si l'échange avait pu renforcer fortement l'opposition, alors il n'aurait sans doute pas eu lieu», dit-il à l'AFP. «Il ne faut pas croire que cela n'ait pas été calculé» par le pouvoir russe, poursuit M. Kalatchev.
«Autorité morale conséquente»
D'autres sont plus optimistes. Parmi les personnes libérées se trouvent des opposants jouissant d'une grande expérience et d'une certaine aura.
Vladimir Kara-Mourza, notamment, avant son emprisonnement en Russie, avait noué de nombreux contacts au plus haut niveau du pouvoir, en particulier américain. De quoi poursuivre un travail d'influence en faveur d'une ligne dure contre Moscou.
Figure également sur la liste Oleg Orlov, militant pour les droits humains chevronné et membre de l'ONG Memorial, colauréate en 2022 du prix Nobel de la paix. Ekaterina Schulmann, politologue russe en exil, note ainsi une inégalité dans les termes de l'échange de prisonniers.
«La Russie a récupéré ses employés défaillants, des gens qui n'ont pas bien fait leur travail, si mal qu'ils ont été attrapés», déclare-t-elle à l'AFP, le Kremlin ayant principalement réussi à faire libérer des espions présumés. «Et se retrouvent en liberté des gens (...) avec une autorité morale conséquente, certains avec une expérience politique et une renommée en Russie et l'étranger», poursuit-elle.
«S'ils en ont la force et la volonté, ils peuvent devenir des représentants notables du mouvement russe antiguerre (en Ukraine, ndlr.) (...) pour ceux qui sont en Russie, ou en dehors, et pour des gouvernements à travers le monde», estime l'experte.
«Capacités de lobbying»
Ekaterina Schulmann pense aussi que l'opposition russe, en parvenant à obtenir la libération de plusieurs de ses membres, a gagné en reconnaissance sur la scène internationale.
«Le fait que des gouvernements occidentaux aient été prêts à dépenser leurs ressources en termes de négociation, en sauvant des gens avec qui ils n'ont pas de lien direct, cela montre l'importance des Russes opposés à la guerre pour la communauté internationale», estime-t-elle.
Pour la politologue, l'équipe de Navalny, avec la libération de trois de ses membres, a en particulier montré de «sérieuses capacités de lobbying». «C'est aussi un signal pour ceux qui sont en prison et pour ceux qui ont peur d'être emprisonnés en Russie: quoi qu'il arrive, ils ne seront pas oubliés», dit Mme Schulmann.
Dans la même logique, le politologue Abbas Galliamov estime auprès de l'AFP que «l'opposition a collaboré sur un pied d'égalité avec le Kremlin», d'où «l'enthousiasme» suscité chez les dissidents par l'échange de prisonniers.
Alors que des dizaines d'opposants sont toujours emprisonnés et que la répression se poursuit en Russie, Mme Schulmann souligne que le combat pour leur libération a «toujours» unifié l'opposition russe, au-delà de ses querelles.