Le dernier dirigeant de l'Union soviétique est mort mardi à l'âge de 91 ans en Russie. Pur produit du système communiste, il n'imaginait sans doute pas qu'il changerait la face du monde en devenant le fossoyeur involontaire de l'URSS. Il a suscité un immense respect en Occident.
30.08.2022, 22:37
31.08.2022, 07:24
ATS
Mardi, il est décédé d'une «grave et longue maladie» à l'âge de 91 ans en Russie, a indiqué l'Hôpital clinique central où il était soigné. Son décès intervient en pleine offensive de l'actuel président russe Vladimir Poutine en Ukraine, lancée le 24 février et dénoncée en Occident comme une résurgence de l'impérialisme russe.
Simple fils de paysan, Mikhaïl Gorbatchev a effectué un parcours classique d'apparatchik pour devenir à 54 ans, le 11 mars 1985, le numéro un d'un empire soviétique alors exsangue sur le plan économique et qui était empêtré dans une guerre sans fin en Afghanistan.
Réformer le système soviétique
Sa jeunesse le distingue. En moins de trois ans, depuis le décès de Léonid Brejnev en 1982, le PC soviétique a connu deux secrétaires généraux vieillissants qui sont morts à ce poste, Iouri Andropov et Konstantin Tchernenko. Conscient que la crise guette, M. Gorbatchev lance une libéralisation baptisée la «perestroïka» (restructuration) et la «glasnost» (transparence) pour réformer le système soviétique et réduire l'influence des vieux caciques du parti.
Des millions de Soviétiques découvrent alors des libertés inédites, mais aussi les pénuries, le chaos économique et les révoltes nationalistes qui sonneront le glas de l'URSS, ce que nombre de ses compatriotes ne pardonneront jamais à cet homme au front marqué d'une tache de vin. «Bien sûr, j'ai des regrets, de grosses erreurs ont été commises», avait-il déclaré à l'AFP en janvier 2011.
Car sous son mandat, les dérives n'ont pas manqué: l'entrée des chars soviétiques en Lituanie, la répression de manifestants pacifiques en Géorgie, ou la catastrophe nucléaire de Tchernobyl, en 1986, passée sous silence pendant des jours, contribuant à la contamination de centaines de milliers de personnes.
Un héritage controversé
A l'Ouest, que ce soit le chancelier allemand Helmut Kohl ou le président américain Ronald Reagan, les grands du monde capitaliste sont fascinés par ce nouvel interlocuteur ouvert à la négociation. «J'aime bien M. Gorbatchev, c'est un homme avec qui l'on peut traiter», a ainsi dit de lui la Première ministre britannique Margaret Thatcher.
Accord de désarmement nucléaire, refus d'intervenir militairement pour défendre le rideau de fer, retrait de l'Armée rouge d'Afghanistan: le numéro un soviétique est décidément différent. Ce respect ne disparaîtra jamais en Occident en raison de sa retenue lorsque le mur de Berlin et les régimes communistes de Tchécoslovaquie, de Hongrie et de Pologne s'écroulent. Il sera récompensé d'un prix Nobel de la paix en 1990.
«Les évènements les plus importants du XXe siècle furent l'émancipation de la femme et la libération de la Russie» par celui qu'on surnomme «Gorbi», avait souligné le dirigeant israélien Shimon Peres, autre lauréat du Nobel. Mais pour les Russes, M. Gorbatchev a détruit le statut de grande puissance de leur patrie, et ils n'ont que dédain pour ce piètre orateur à l'accent traînant de sa région natale de Stavropol (sud).
Chute en 1991
Sa chute, d'ailleurs, a des airs d'humiliation. En juin 1991, lorsque Boris Eltsine est élu au suffrage universel président de la Russie soviétique, M. Gorbatchev tente de sauver l'URSS en proposant une autonomie interne élargie.
Le projet capote le 19 août 1991, lorsque la ligne dure du Parti communiste tente un putsch contre lui, mais c'est l'ennemi juré de M. Gorbatchev, Boris Eltsine, qui sera le héros de la résistance à ce coup d'Etat manqué. Déjà mourante, l'URSS disparaît en décembre lorsque la Russie, le Bélarus et l'Ukraine proclament que l'Union soviétique «n'existe plus». Mikhaïl Gorbatchev démissionne le 25 décembre.
«Homme politique spontané qui n'a jamais réfléchi aux conséquences, Gorbatchev a voulu tout changer sans rien changer sur le fond», résume l'historienne Irina Karatsouba. «Le socialisme à visage humain a fait long feu quand les prix du pétrole ont dégringolé, et la Guerre froide a été perdue. On s'interrogera encore longtemps sur l'énigme Gorbatchev: sur ce qui dépendait et ne dépendait pas de lui», analyse-t-elle.
Le seul accès de sympathie qu'auront pour lui les Russes est en 1999, après le décès d'une leucémie de son épouse Raïssa Gorbatcheva: contrairement aux habitudes russes, Mikhaïl Gorbatchev n'hésitait jamais à manifester publiquement son amour pour cette femme élégante.
«Le dirigeant le plus positif» de Russie
Pour l'écrivain et photographe Iouri Rost, M. Gorbatchev fut «le dirigeant le plus positif» de Russie car il a cherché à en faire un pays suscitant le «respect» plutôt que la «peur». Rien ne prédestinait pourtant «Gorbi» à ce destin hors du commun.
Après avoir grandi dans «un bled où il n'y avait ni électricité, ni radio», ce conducteur de moissonneuse-batteuse monte à 19 ans à Moscou, prenant «pour la première fois un train» pour aller à l'université, racontait-il. Pendant ses études de droit, il s'engage dans le mouvement étudiant du PC, les Komsomols. De retour à Stavropol, il travaille à plein temps dans cette organisation et fait une ascension rapide à travers la structure locale du Parti communiste.
Il est alors remarqué par le chef du KGB, Iouri Andropov. Ce dernier fait monter Mikhaïl Gorbatchev à Moscou en 1978 où il intègre le Comité central, l'instance dirigeante du PC, avant de devenir le dernier dirigeant de l'Union soviétique. Depuis qu'il a quitté le pouvoir, M. Gorbatchev s'était reconverti en héraut de la cause environnementale et avait créé la Fondation Gorbatchev, dédiée aux études socio-économiques. En 1996, il s'était présenté à la présidentielle contre Boris Eltsine, mais n'avait obtenu que 0,5% des voix.
De plus en plus discret ces dernières années alors que sa santé déclinait, il a reconnu certains torts. Un temps virulent contre Vladimir Poutine, disant en 2011 sa «honte» de l'avoir soutenu au tournant des années 2000, il dirige de plus en plus ses critiques contre les Occidentaux à partir de l'annexion de la péninsule ukrainienne de Crimée en 2014 par la Russie et multiplie les avertissements face à l'avènement d'une nouvelle Guerre froide.
En février 2019, il dénonce dans une tribune la décision américaine de se retirer du traité INF sur les armes de portée intermédiaire, qu'il avait signé avec Donald Reagan en 1987, comme un signe du «désir des Etats-Unis de se libérer de toutes contraintes dans le domaine de l'armement (et) d'atteindre une supériorité militaire absolue». Avant son décès, il ne s'était pas exprimé publiquement sur l'offensive massive du Kremlin en Ukraine.