Promises par TrumpLes expulsions massives d'immigrés pourraient provoquer une réaction en chaîne
AFP
7.11.2024
C'est la plus vertigineuse de ses promesses de campagne : lancer la plus vaste opération d'expulsions d'immigrés en situation irrégulière de l'Histoire américaine. Mais le projet de Donald Trump risque de se heurter à une cascade de problèmes économiques et juridiques.
AFP
07.11.2024, 17:09
07.11.2024, 18:33
Marc Schaller
«Le discours est une chose et l'application en est une autre», assène Stephen Yale-Loehr, professeur de droit de l'immigration à l'université de Cornell, alors que le nombre d'étrangers en situation irrégulière aux Etats-Unis est estimé à quelque 12 ou 13 millions.
Compte tenu des protections juridiques accordées par la Constitution américaine à toute personne, quelle que soit sa nationalité, «Trump ne peut pas simplement arrêter des gens et les expulser le lendemain», explique-t-il à l'AFP.
«Il y a déjà un stock de 3,6 millions de dossiers en souffrance»
Les personnes en situation irrégulière doivent d'abord être présentées à un juge qui statuera sur leur demande de rester aux Etats-Unis. Or, «il y a déjà un stock de 3,6 millions de dossiers en souffrance dans nos tribunaux d'immigration», pour environ 700 juges, indique Stephen Yale-Loehr.
«Il faudrait donc recruter des milliers de nouveaux juges», sans compter les agents de la police de l'immigration (ICE) pour arrêter les sans-papiers, la construction de nouveaux centres de détention et les avions pour les expulser, énumère-t-il.
«Rien que cet appareil bureaucratique nécessaire pour tenter de conduire un projet d'expulsion massive prendra du temps et de l'argent de la part du Congrès», insiste le spécialiste, doutant que même une majorité républicaine soit prête à débourser les dizaines, voire les centaines de milliards de dollars requis pour une opération de cette ampleur.
Une étude publiée en octobre par l'ONG American Immigration Council en évalue le coût global à 88 milliards de dollars par an, soit 967,9 milliards sur plus d'une décennie.
«Un plan d'expulsions massives serait difficile à appliquer immédiatement dans sa totalité», en raison notamment de ce coût «dissuasif», relève Nayna Gupta, directrice de la politique de l'American Immigration Council.
Mais cela ne suffira pas à convaincre la future administration d'y renoncer, estime-t-elle, soulignant les déclarations en ce sens de responsables de la campagne de Donald Trump dans les heures qui ont suivi l'annonce de sa victoire.
«Cela veut certainement dire qu'il peut prendre des mesures immédiates pour expulser les personnes sans papiers les plus vulnérables», c'est-à-dire les quelque 1,5 million d'étrangers déjà visés par des ordres définitifs d'éloignement et vivant sous la supervision des services d'immigration, précise Nayna Gupta.
«Le système de contrôle de l'immigration peut à bien des égards être décentralisé», en s'appuyant sur des services d'immigration locaux qui se sentiraient «encouragés et habilités par une présidence et un discours de ce type à trouver des gens dont ils pourraient immédiatement engager les procédures d'expulsion», poursuit-elle. «Cela pourrait arriver n'importe où dans le pays».
Trump pourrait être tenté d'«utiliser l'armée»
De plus, Donald Trump pourrait être tenté d'"utiliser l'armée pour accélérer son plan d'expulsions massives" afin de pallier le manque d'agents fédéraux d'immigration ou de la police locale, une option évoquée par certains de ses proches les plus conservateurs, rappelle la responsable de l'ONG.
Un recours à la force militaire pour des opérations de maintien de l'ordre soulèverait inévitablement des contestations juridiques.
L'estimation de 88 milliards par an ne porte que sur les coûts directs de ce plan, selon le rapport de l'American Immigration Council.
La plupart des études économiques tablent en cas d'expulsions à grande échelle d'étrangers en situation irrégulière sur une réduction de la main d'oeuvre, en particulier dans certains secteurs, et une hausse des salaires et de l'inflation.
Cela se traduirait, selon l'ONG, par une réduction du PIB des Etats-Unis de 4,2 % à 6,8 %, comparable au recul de 4,3 % lors de la récession de 2007-2009.