Décryptage Le système électoral américain: toutes les voix ne se valent pas

Helene Laube

26.10.2020

Donald Trump (3e en partant de la gauche) s’entretient avec son prédécesseur Barack Obama (à gauche) et son challenger actuel Job Biden (2e en partant de la gauche) lors de son investiture en tant que président des Etats-Unis, le 20 janvier 2017, sous les applaudissements du sénateur Chuck Schumer (à droite), chef du groupe démocrate au Sénat.
Donald Trump (3e en partant de la gauche) s’entretient avec son prédécesseur Barack Obama (à gauche) et son challenger actuel Job Biden (2e en partant de la gauche) lors de son investiture en tant que président des Etats-Unis, le 20 janvier 2017, sous les applaudissements du sénateur Chuck Schumer (à droite), chef du groupe démocrate au Sénat.
Paul J. Richards/AFP via Getty Images

Al Gore a remporté le plus grand nombre de voix lors des élections présidentielles américaines de 2000, tout comme Hillary Clinton seize ans plus tard. Ce sont pourtant George W. Bush et Donald Trump qui ont pris place à la Maison-Blanche, en raison d’un système électoral suranné qui travestit les résultats.

Page spéciale USA 2020

Comment le président des Etats-Unis est-il élu?

La particularité du système électoral américain est que les élections présidentielles ne sont pas nationales, mais organisées à l’échelle des Etats fédéraux. En outre, le président des Etats-Unis n’est pas directement élu par le peuple lors des élections, mais par l’intermédiaire du collège électoral, un groupe de grands électeurs. En d’autres termes, l’important n’est pas d’avoir la majorité des voix, mais la majorité au sein du collège électoral.

Qu’est-ce que le collège électoral?

Le collège électoral se compose de 538 voix: 100 pour les deux sénateurs de chacun des 50 Etats, 435 pour les membres de la Chambre des représentants et trois pour le district de Columbia (DC), qui n’est pas un Etat (voir plus bas). Chaque Etat se voit attribuer au moins trois grands électeurs, quelle que soit sa population. L’Etat le plus peuplé, la Californie, avec près de 40 millions d’habitants, dispose de 55 grands électeurs (ce qui correspond à deux sénateurs et 53 membres de la Chambre des représentants), tandis que l’Etat le moins peuplé, le Wyoming (579 000 habitants), compte trois grands électeurs. Pour gagner, un candidat à la présidence doit recueillir la moitié des 538 voix du collège électoral plus une, soit 270 voix.

Focus sur les élections américaines de 2020

Les Américains se rendent aux urnes: «blue News» suit la phase critique du duel pour la Maison-Blanche, non seulement depuis la Suisse, mais également à travers des reportages de journalistes suisses vivant aux Etats-Unis. Donald Trump ou Joe Biden? Le scrutin est prévu le 3 novembre.

Dans chaque Etat, les partis politiques établissent une liste de grands électeurs potentiels avant les élections présidentielles qui se tiennent tous les quatre ans en novembre, et les désignent ensuite par le biais de diverses procédures de sélection. Au moment du scrutin, les électeurs de chaque Etat choisissent automatiquement leurs grands électeurs en soumettant leur bulletin de vote. Ce groupe de grands électeurs élit le président quelques semaines plus tard.



Qui peut devenir grand électeur?

La constitution américaine ne donne guère de directives sur les qualifications que doit posséder un grand électeur. Toutefois, elle interdit la nomination d’un membre du Congrès ou d’un sénateur ou de certaines personnes qui occupent des fonctions au sein du gouvernement américain.

Le principe «the winner takes it all»

A l’exception du Maine et du Nebraska, tous les Etats appliquent le principe de la majorité. Cela signifie que le candidat qui récolte le plus de voix dans un Etat reçoit toutes les voix des grands électeurs. Selon ce principe appelé «the winner takes it all», un candidat peut recueillir 49,9% des suffrages dans un Etat et se voir attribuer 0% des votes de grands électeurs.

Dans le Maine et le Nebraska, où la «méthode des districts» est appliquée pour obtenir une répartition plus représentative des électeurs, cette différence n’a que rarement des effets concrets, car en règle générale, tous les districts votent pour le même candidat. A seulement deux reprises depuis son introduction (en 1972 dans le Maine et en 1996 dans le Nebraska), les votes des grands électeurs ont été répartis entre les candidats selon cette méthode: en 2008, John McCain a obtenu quatre des cinq votes de grands électeurs dans le Nebraska, alors que Barack Obama en a récupéré un. En 2016, Hillary Clinton a remporté trois votes de grands électeurs dans le Maine et Donald Trump en a recueilli un.

La particularité du collège électoral, ou le pouvoir des «swing states»

Le système électoral accouche donc sans cesse de résultats en théorie problématiques sur le plan démocratique et joue un rôle important qui fausse parfois la volonté des électeurs. Lors des campagnes électorales, ce système met en lumière les Etats où la majorité est faible, appelés «swing states», et engendre souvent des majorités artificielles. En effet, le précepte «the winner takes it all» fait que les votes des électeurs sont sans importance sur le plan politique s’ils ne vivent pas dans un Etat où les démocrates et les républicains sont au coude-à-coude.

En effet, les candidats font principalement campagne dans les «swing states». Dans les Etats où le candidat républicain ou démocrate dispose d’une nette majorité, les candidats se contentent généralement d’apparitions pour collecter des dons.

L’identité des «swing states» change d’une élection à l’autre et est fortement liée à l’évolution démographique. Les «battleground states» qui sont particulièrement disputés cette année sont l’Arizona, la Floride, la Géorgie, le Michigan, le Minnesota, le Nevada, le New Hampshire, la Caroline du Nord, la Pennsylvanie, le Texas et le Wisconsin.

Une majorité relative est toujours suffisante pour remporter les élections et au cours des vingt dernières années, les grands électeurs ont même élu à deux reprises des candidats à la présidence qui avaient été défaits à l’échelle populaire: lors des élections de 2000, le vice-président sortant Al Gore a remporté la majorité populaire avec une avance de plus de 540 000 voix. Toutefois, George W. Bush a obtenu 271 votes de grands électeurs et est arrivé au pouvoir.

Seize ans plus tard, Hillary Clinton a recueilli près de 3 millions de voix de plus que Donald Trump (48,2 % contre 46,1 %), mais Donald Trump a rassemblé beaucoup plus de votes de grands électeurs (304 contre 227).

Dans un Etat qui vote toujours avec une solide majorité démocrate aux élections présidentielles (comme la Californie ou New York), les partisans des républicains sont peu motivés pour aller aux urnes, car leurs voix n’influenceront guère le résultat en raison du principe du collège électoral. Il en va de même à l’inverse pour les électeurs démocrates dans des Etats comme le Wyoming, l’Utah, le Montana ou l’Alabama, où le candidat républicain gagne toujours.



Pourquoi ce collège électoral?

Vieux de 200 ans, le Collège électoral est une relique de l’époque de l’esclavage. Il a été créé en 1787, également dans le but de renforcer le pouvoir politique des Etats les moins peuplés et des Etats esclavagistes. Les Etats du Sud, où près de 40% de la population était asservie à l’époque, craignaient que leurs hommes (blancs) bénéficiant du droit de vote ne soient désavantagés par rapport aux Etats plus peuplés du nord, où l’esclavage devenait de plus en plus impopulaire.

C’est ainsi que la clause dite des «trois-cinquièmes» est entrée dans la constitution, selon laquelle un esclave ne compte que pour trois cinquièmes d’une personne dans les recensements démographiques et non comme une «personne entière» au même titre qu’une personne blanche – un compromis qui a notamment permis aux Etats du Sud d’envoyer un nombre relativement plus élevé de représentants au Congrès, même si les esclaves n’avaient pas le droit de vote, même avec trois cinquièmes d’une voix.

Cet instrument a non seulement accordé aux Etats esclavagistes une représentation disproportionnée au Congrès, mais il a également augmenté leur nombre de voix au sein du groupe de grands électeurs qui élisait le président. La Virginie et la Pennsylvanie comptaient par exemple un nombre à peu près égal de citoyens libres, mais la Virginie s’est vu attribuer trois sièges supplémentaires à la Chambre des représentants en raison de la population d’esclaves de l’Etat et a donc envoyé six grands électeurs supplémentaires. Un autre compromis a garanti à chaque Etat l’envoi de deux sénateurs à Washington, indépendamment de la taille de sa population.



Vers une modernisation du système électoral?

Selon des sondages d’opinion réalisés ces dernières années, la majorité de la population américaine interrogée s’est sans cesse prononcée en faveur d’une élection directe du président. Les partisans de cette mesure espèrent que les élections directes augmenteront la participation des électeurs. Cependant, rien n’indique qu’une modernisation consensuelle du système électoral se produira prochainement.

Une solution qui ne nécessiterait ni un amendement constitutionnel ni l’intervention du Congrès a été proposée par l’organisation National Popular Vote il y a plusieurs années: elle invite les Etats à adopter une loi qui permettrait aux Etats d’attribuer la totalité des voix de leurs grands électeurs au candidat qui a remporté la majorité des voix au niveau national. Ce National Popular Vote Interstate Compact garantit la présidence au candidat qui remporte la majorité des voix dans les 50 Etats et le district de Columbia, d’après l’organisation.

Jusqu’à présent, plusieurs Etats regroupant au total 187 votes de grands électeurs ont adopté des projets de loi correspondants. Il manque encore 83 voix pour renverser le système de grands électeurs. Si l’on en arrive là, les républicains pourraient essayer d’enrayer le processus par la voie judiciaire.

Pour pouvoir voter, il faut s’inscrire

Contrairement à ce que l’on connaît en Suisse et dans de nombreuses autres démocraties, les citoyens de plus de 18 ans aux Etats-Unis ne deviennent pas automatiquement des électeurs et ne reçoivent pas automatiquement leurs documents électoraux. Il appartient aux citoyens eux-mêmes de s’inscrire pour pouvoir voter.

Chaque Etat fédéral peut organiser la procédure d’inscription comme il le souhaite. En conséquence, certains groupes de la population peuvent être exclus des élections selon l’arbitraire des autorités. Ceux qui déménagent ou changent de parti doivent également se réinscrire. Selon les détracteurs de ce système, tous ces obstacles donnent lieu à une représentation déformée du peuple américain lors des élections.

235 millions des 330 millions d’habitants des Etats-Unis ont le droit de vote. Lors des élections présidentielles de 2016, 157,6 millions d’électeurs étaient inscrits. 100 millions des 235 millions d’électeurs – soit 43% – ne se sont pas rendus aux urnes.



Calendrier des 59es élections présidentielles

Primaires: Les «primaires» et «caucus», lors desquels les candidats s’affrontent pour l’investiture de chaque parti, ont débuté cette année dans le New Hampshire le 11 février et se sont terminés dans le Connecticut le 11 août.

3 novembre 2020: les élection principales, organisées tous les quatre ans, se tiennent le premier mardi de novembre; cette année, ce jour tombe le 3 novembre 2020. Ce jour-là, le président et ainsi que 35 sièges au Sénat, l’ensemble de la Chambre des représentants et onze gouverneurs seront concernés par les élections.

14 décembre 2020: les membres du Collège électoral se réunissent dans leurs Etats respectifs le premier lundi après le deuxième mercredi de décembre pour élire le président et le vice-président. Cette année, cette date tombe le 14 décembre.

6 janvier 2021: ce jour-là, le Congrès américain procèdera au décompte des voix du collège électoral et les deux vainqueurs seront officiellement annoncés.

20 janvier 2021: le 20 janvier 2021, le mandat de Donald Trump prendra fin. Le même jour, à midi, le président nouvellement élu – Donald Trump ou son adversaire démocrate Joe Biden – prêtera serment.

Pourquoi le vote par correspondance suscite-t-il une telle controverse?

Le vote par correspondance ou anticipé est une pratique courante et de longue date dans de nombreux Etats, qu’ils soient républicains ou démocrates. Pendant longtemps, ces procédures n’ont pas été sujettes à controverse et il est très rare que des irrégularités avérées se produisent. En raison de la pandémie de coronavirus, beaucoup plus d’Américains voteront par correspondance lors des élections présidentielles et du Congrès. A l’approche des élections, un vif conflit a éclaté, dans lequel la poste américaine a également été entraînée.

De riches financeurs de gauche et de droite, souvent anonymes, investissent plus de 100 millions de dollars dans la lutte pour une simplification du vote par correspondance, sur la base de l’hypothèse selon laquelle le vote par correspondance pourrait décider de la réélection ou de la défaite de Donald Trump.

Les enquêtes et données sur les demandes de vote par correspondance montrent que cette année, les électeurs démocrates aux Etats-Unis sont plus susceptibles de voter par correspondance que les électeurs républicains. En fonction du financeur, les millions de dollars investis servent à élargir ou à limiter le vote par correspondance.

Les républicains ont intenté de nombreuses actions en justice pour empêcher l’élargissement du vote par correspondance. Donald Trump et les républicains craignent apparemment pour sa réélection, raison pour laquelle le président formule de nombreuses mises en garde contre d’éventuelles pratiques de fraude lors des prochaines élections présidentielles. Aucune preuve ne vient corroborer ses allégations et celles des autres républicains selon lesquelles le vote par correspondance permet une fraude électorale à grande échelle. Les experts et responsables électoraux contestent l’idée selon laquelle les documents électoraux envoyés par courrier augmentent considérablement le risque de trucage des élections.

Quand peut-on espérer un résultat?

Si Donald Trump et Joe Biden se retrouvent au coude-à-coude, on ne peut en aucun cas attendre un résultat dès le soir des élections en raison de la multitude de résultats et des délais de vote dans les Etats. Le décompte des votes par correspondance pourrait prendre plus de temps, potentiellement plusieurs semaines. Le décompte des votes a déjà pris beaucoup plus de temps lors des primaires, en partie à cause du nombre record de bulletins envoyés par voie postale, dont le comptage demande beaucoup plus de travail, mais aussi en raison des retards causés par le coronavirus dans les bureaux de vote.

Il se pourrait qu’un dépouillement prolongé fasse le jeu de Donald Trump. Le président, qui formule de nombreuses mises en garde contre des pratiques frauduleuses sans présenter de preuves solides, pourrait exploiter un éventuel retard pour contester des résultats qui lui déplairont. A l’issue d’entretiens avec de nombreux représentants du parti démocrate, l’agence de presse Reuters rapporte que les démocrates se préparent particulièrement à des litiges concernant les votes par correspondance et le décompte des voix ainsi qu’à de possibles tentatives d’intimidation des partisans de Trump contre les électeurs aux bureaux de vote.



Washington D.C., le 51e Etat

La capitale du pays pousse depuis plusieurs années pour devenir un Etat. En novembre 2016, un deuxième vote à ce sujet a été organisé. Une majorité d’électeurs de Washington, D.C. s’est alors prononcée en faveur de l’«Advisory Referendum B». Mais il reste de nombreux obstacles à surmonter avant que le district de Columbia ne prenne le nom de «State of New Columbia». Le district de la capitale ne serait alors plus directement subordonné au Congrès et disposerait de membres à la Chambre des représentants et au Sénat bénéficiant du droit de vote, au lieu d’une seule représentante siégeant à la Chambre des représentants et privée de droit de vote.

Nul ne sait encore si la région pourra revendiquer la 51e étoile du drapeau américain. Les républicains s’opposent à l’indépendance de ce district résolument bleu, qui modifierait l’équilibre des pouvoirs au Sénat en y envoyant deux sénateurs démocrates.


Helene Laube est journaliste à San Francisco. De 2000 à la publication du dernier numéro du «Financial Times Deutschland» en décembre 2012, elle a officié en tant que correspondante pour le journal économique dans la Silicon Valley. Elle a fait partie des membres fondateurs du «FTD». Auparavant, elle était rédactrice pour «Manager Magazin» à Hambourg. Ses articles ont également été publiés dans des médias tels que le «Financial Times», «Der Spiegel», le «Los Angeles Times», «Die Zeit», «Stern», la «Neue Zürcher Zeitung» et «brand eins».

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