Viols de Mazan «On plonge dans l'humanité, dans tout ce qu'elle a de plus sale»

AFP

30.10.2024

Depuis des semaines, les «enquêteurs de personnalité» se succèdent à la barre, au procès des viols de Mazan, pour disséquer le passé des hommes accusés d'avoir agressé sexuellement Gisèle Pelicot. Des rapports qui serviront de boussole aux magistrats pour prononcer les peines.

Plusieurs hommes sont accusés d'avoir agressé sexuellement Gisèle Pelicot.
Plusieurs hommes sont accusés d'avoir agressé sexuellement Gisèle Pelicot.
IMAGO/PanoramiC

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Réalisées durant l'instruction, les enquêtes de ces «biographes pour la justice» doivent permettre d'individualiser les sanctions, lors du verdict attendu le 20 décembre, et d'évaluer leurs possibilités d'aménagement.

Une gageure dans un dossier où la plupart des 50 coaccusés sont poursuivis pour des faits similaires, des viols aggravés sur Gisèle Pelicot, avec la complicité de son ex-mari Dominique Pelicot.

«Notre mission consiste à retracer le parcours de vie d'une personne», dit à l'AFP Elisa Scheidt, enquêtrice de personnalité chargée des «mini-biographies» de quatre accusés du procès hors norme, devant la cour criminelle de Vaucluse.

Pour ce faire, elle s'est entretenue avec ces quatre hommes, mais elle a aussi eu des contacts dans leurs sphères familiale, sociale, professionnelle, voire institutionnelle. Et sans jamais les interroger sur les faits, sous peine de voir ses rapports frappés de nullité, comme le souligne Olga Louis-Richon, directrice de l'APERS, une des associations socio-judiciaires agréées à qui ont été confiées ces enquêtes.

Soit deux différences majeures avec les experts psychologues et psychiatres, qui passent également au crible le profil des accusés mais en ne s'entretenant qu'avec eux et en abordant les faits frontalement.

«L'humain» au-delà du «monstre»

Parcours scolaire et professionnel, vie sentimentale, caractère et même pratiques sexuelles: le but de l'enquête de personnalité est d'obtenir «un portrait le plus objectif possible», rappelle Mme Scheidt.

Notre rapport doit permettre de voir «les parcours de vie et comment tout un chacun peut basculer», confirme sa consoeur, Salomé Perrier, biographe de trois autres accusés.

«On plonge dans l'humanité, dans tout ce qu'elle a de plus triste et sale: c'est voir ce qu'il peut y avoir de plus noir dans l'âme humaine, mais qui en fait est très humain, justement, et peut-être aller au-delà de l'image du monstre pour voir l'humain», ajoute-t-elle.

Addictions à l'alcool ou la drogue, violences intrafamiliales durant leur jeunesse, relations de couple toxique: nombreux sont les accusés du procès des viols de Mazan à avoir connu un passé chaotique.

«Par cet éclairage qu'on apporte, on vient dézoomer un peu, apporter ce recul pour avoir une vision plus globale. On n'excuse pas du tout ce qui a pu être fait. Néanmoins, ce n'est pas juste un individu qui a pu violer, tuer, se montrer violent envers telle ou telle personne ou que sais-je encore. C'est un être humain, comme nous tous qui, à un moment donné, a pu basculer», résume Mme Scheidt.

Depuis 2021, les enquêtes de personnalité sont obligatoires dans les affaires criminelles, voire en matière correctionnelle, et peuvent être ordonnées par le juge d'instruction, la partie civile ou encore le parquet. Elles peuvent concerner l'accusé mais aussi la victime.

«Comprendre» les accusés

Cette enquête constitue alors une pièce du dossier judiciaire, dans lequel chaque partie -défense, accusation, parties civiles- va puiser ce qui l'intéresse. D'où la nécessité de rester «extrêmement factuel», souligne Olga Louis-Richon.

Possédant un minimum de connaissances juridiques, en psychologie ou dans le domaine du social, les enquêteurs de personnalité passent en moyenne 35 heures sur un dossier et sont payés au forfait, pour un travail comprenant «la rencontre avec la personne, les investigations et la rédaction». Mais «cela n'inclut pas le temps de passage aux assises», précise Elisa Scheidt, qui a été payée 1.110 euros net par accusé.

Ce vaste coup de projecteur sur la vie des accusés est parfois mal vécu par les victimes, qui peuvent y voir une tentative d'excuser les accusés, souligne Me Stéphane Babonneau, un des avocats de Gisèle Pelicot et ses enfants, évoquant ce portrait d'un accusé remontant jusqu'à son «redoublement en CM2».

A Avignon, Gisèle Pelicot a assisté avec assiduité aux audiences, découvrant en direct la vie de cette cinquantaine d'hommes recrutés sur Internet et accusés de l'avoir violée, après qu'elle avait été assommée d'anxiolytiques par son mari.

«Mais cela fait partie de la violence, en tout cas de la souffrance nécessaire de ce procès», relève Me Babonneau. «Devoir à chaque fois recommencer à écouter, à comprendre, à réfléchir sur le parcours de ces hommes dont finalement on ne connaît rien. (...) Au-delà de l'acte, il y a la volonté de les comprendre, sinon elle ne viendrait pas».

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