«Folles» Le combat des mères divorcées auxquelles on impute un faux syndrome

Relax

8.9.2024 - 17:34

(AFP) – «Ils m'ont traitée de folle, de mère malveillante, négligente». Lorsque Sandra a accusé le père de son enfant d'avoir abusé sexuellement de ce dernier, plutôt que de recevoir l'assistance espérée des autorités colombiennes, elle fut accusée à son tour d'avoir manipulé son fils afin de nuire à son ex-conjoint.

Le "syndrome d'aliénation parentale" (SAP), à présent désavoué, a été inventé pendant les années 1980 par le psychiatre américain Richard Gardner.
Le "syndrome d'aliénation parentale" (SAP), à présent désavoué, a été inventé pendant les années 1980 par le psychiatre américain Richard Gardner.
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La justification? un pseudo-syndrome, servant d'argument juridique dans divers pays, dont l'existence a été démentie par la communauté scientifique, le Parlement européen, l'ONU, l'Organisation des Etats américains, mais également la Colombie, lors d'une récente décision constitutionnelle mondialement inédite.

Le «syndrome d'aliénation parentale» (SAP), à présent désavoué, a été inventé pendant les années 1980 par le psychiatre américain Richard Gardner. Selon ses théoriciens, un mineur pourrait être manipulé par un parent afin qu'il rejette l'autre parent.

Sandra a d'abord perdu la garde de son enfant en 2022, confié à la personne qu'elle décrit comme le meilleur ami du père, puis au père lui-même. Une fois ses dénonciations rejetées, la justice a conclu que les souvenirs de l'enfant lui avaient étés imposés du fait du SAP généré par la mère.

«Faire taire l'enfant»

«Au début, je me suis demandée si j'étais vraiment folle», explique Sandra, qui s'exprime à l'AFP sous pseudonyme par peur de potentielles représailles. «J'ai été accusée de vouloir desservir la relation père-fils, de vouloir attaquer» le père, dit-elle.

Sandra n'est pas la seule: le syndrome figure comme argument dans certains litiges concernant la garde d'enfants, et sert de riposte aux accusations de violences sexuelles dans des tribunaux du monde entier. Il est majoritairement invoqué par des hommes.

L'ONU et le Mécanisme de Suivi de la Convention de Belém do Para (Mesecvi) de l'OEA ont dénoncé cet argument, le décrivant comme une «forme de violence contre les femmes».

Son utilisation devant les tribunaux a été constatée en Argentine, Bolivie, Brésil, Chili, Espagne, France, Pérou, Porto Rico, Mexique et en Uruguay.

Le SAP est remis en question par l'OMS ainsi que l'Association américaine de psychologie, qui le considèrent «pseudo-scientifique» et refusent de l'inclure dans leurs manuels de diagnostics.

«On ne peut plus parler d'un syndrome, car les caractéristiques d'une telle dénomination sont absentes», souligne Maria Paula Chicurel, psychologue légiste colombienne et experte privée. «C'est une stratégie pour faire taire l'enfant, et pour détourner l'attention vers un prétendu conflit de couple».

Les défenseurs du SAP soutiennent au contraire que «ne pas le prendre en compte c'est laisser les juges sans outils pour (...) déterminer ce qui se passe dans une famille qui est en train d'être détruite», argumente l'avocate colombienne Ester Molinares, selon laquelle «le parent se sert de l'enfant pour nuire au couple».

Décision sans précédent

En juillet en Colombie, le groupe féministe Sisma Mujer a déposé une requête auprès de la Commission interaméricaine des droits de l'Homme, afin de faire réparer les préjudices subis suite à l'invocation du SAP dans cinq contentieux familiaux.

En novembre 2023 la Cour constitutionnelle colombienne a interdit le recours au SAP en tant qu'argument juridique pour manque de justification scientifique. Elle a néanmoins précisé que les «manipulations» au sein du couple pouvaient être prises en compte.

La Cour a conclu que le SAP «n'est pas admissible lorsque sont constatés des antécédents de violences intrafamiliales, car il pourrait invisibiliser ces violences», décrypte Lilia Zabala, experte en droit de la famille et professeure à l'Université des Andes.

Par l'effet de la décision, Sandra a pu se réapproprier la garde de son fils.

Cependant, la peur persiste chez d'autres femmes de se voir retirer injustement leur enfant.

Une fonctionnaire «a menacé de m'ôter mes filles (...). J'ai eu très peur», explique Camila, souhaitant également demeurer anonyme. Elle avait assigné le père pour des comportements à connotation sexuelle.

Certains médias colombiens ont dénoncé, en s'appuyant sur divers enregistrements, un complot visant à octroyer des décisions de garde favorables aux pères disposant d'importants moyens financiers. Des organisations de protection des droits de la famille, avocats et experts seraient complices, selon ces médias. Le SAP serait une de leurs méthodes.

«Il y a une mafia», accuse Sandra. Camila souligne les «irrégularités» commises par un expert qui lui a été «imposé», car, dit-elle, il l'a accusée de SAP et d'autres troubles psychiques dans un rapport qui n'incluait pas son témoignage.

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