Asie centrale Concurrencé et critiqué, «l'OTAN russe» en zone de turbulences

ATS

20.9.2024 - 08:22

Sur un terrain militaire montagneux d'Asie centrale, les drapeaux de la Russie et de ses alliés de l'organisation du traité de sécurité collective (OTSC) flottent. Mais l'absence de soldats arméniens illustre les turbulences que traverse cette alliance chère à Moscou.

Les forces armées kirghizes participent aux exercices militaires conjoints « Interaction-2024 », « Search-2024 » et « Echelon-2024 » des forces collectives de réaction rapide des États membres de l'Organisation du traité de sécurité collective (OTSC), sur la zone d'entraînement Edelweiss à Balykchy, dans le nord du Kirghizistan, le 11 septembre 2024.
Les forces armées kirghizes participent aux exercices militaires conjoints « Interaction-2024 », « Search-2024 » et « Echelon-2024 » des forces collectives de réaction rapide des États membres de l'Organisation du traité de sécurité collective (OTSC), sur la zone d'entraînement Edelweiss à Balykchy, dans le nord du Kirghizistan, le 11 septembre 2024.
AFP

Formée en 1992 pour combler le vide sécuritaire laissé par la chute de l'URSS, l'OTSC, parfois surnommée «l'OTAN russe», regroupe encore six membres actifs: Russie, Biélorussie, Arménie, Kazakhstan, Kirghizstan, Tadjikistan.

Mais après trois décennies, cette «structure créée à l'initiative de la Russie pour maintenir son influence dans l'espace post-soviétique [...] a un problème important de compétitivité et de viabilité», explique à l'AFP l'analyste arménien Hakob Badalyan.

Déjà abandonné par l'Azerbaïdjan et la Géorgie en 1999 puis l'Ouzbékistan en 2012, ce bloc sécuritaire est désormais boycotté par l'Arménie, qui accuse Moscou et l'OTSC de l'avoir abandonnée face à l'Azerbaïdjan lors des conflits de 2021 et 2022 pour le contrôle du Nagorny Karabakh.

Inaction

Le premier ministre arménien Nikol Pachinian s'est emporté sur le sujet à maintes reprises, si bien que mercredi encore le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a dû assurer que l'OTSC n'était «pas une menace pour la souveraineté de l'Arménie».

Si la Russie a réussi, depuis l'invasion de l'Ukraine, à éviter l'isolement que l'Occident tente de lui imposer, resserrant ses liens avec des Etats loin de son pré carré (Chine, Inde, Iran, Corée du Nord notamment), dans l'espace post-soviétique, la réalité est plus nuancée.

Excepté le Bélarus, aucun voisin de la Russie n'est solidaire de l'assaut russe contre l'Ukraine. Et personne, même à Minsk, ne reconnait la légitimité des revendications territoriales russes. En outre, la Russie ne parvient pas à vaincre l'Ukraine et voit maintenant, à Koursk, une partie de son territoire occupé.

Moscou ne semble donc pas en mesure d'être l'arbitre ou le gendarme dans une région où les zones de tensions ne manquent pas, qu'il s'agisse de l'Asie centrale (Kirghizstan-Tadjikistan) ou le Caucase (Arménie-Azerbaïdjan).

Intervention au Kazakhstan

Le seul fait d'armes de l'OTSC reste donc l'intervention au Kazakhstan en janvier 2022, juste avant l'invasion de l'Ukraine, de «forces de maintien de la paix», essentiellement russes, pour aider à mettre fin à des émeutes meurtrières et sauvegarder le régime de Kassym-Jomart Tokaïev.

A l'époque, l'organisation et la Russie s'affichaient comme les garants de la stabilité de régimes autoritaires alliés. Ce scénario paraît impossible aujourd'hui. «La Russie, qui combat en Ukraine, dispose de beaucoup moins de ressources pour jouer pleinement son rôle de meneur militaro-technique de l'OTSC», résume l'analyste Badalyan.

Pour Vladimir Jarikhine, vice-directeur russe de l'institut des pays d'ex-URSS, l'OTSC joue encore un rôle de dissuasion pour «assurer la stabilité des pays d'Asie centrale frontaliers de l'Afghanistan», retombé aux mains de talibans et en proie aux attaques de l'Etat islamique (EI).

«S'il n'y a pas encore eu de conflits sérieux concernant l'Afghanistan et les pays d'Asie centrale, c'est notamment grâce aux bases militaires russes au Tadjikistan et au Kirghizstan», pense-t-il. Mais l'alliance a de facto essuyé un camouflet, l'Ouzbékistan et le Turkménistan ignorant depuis 2023 un appel à rejoindre l'OTSC.

Concurrence

Moscou et Minsk essayent néanmoins de faire contre mauvaise fortune bon coeur. «En menant ces exercices», au fin fond du Kirghizstan, «nous montrons à la communauté internationale et à tous nos ennemis que nous sommes prêts à affronter toutes les menaces», pavoise à Balykchy Guennadi Lepechko, un responsable biélorusse.

Mais la définition d'«ennemis» diffère entre alliés. Si la Russie voit l'Occident comme une menace existentielle, les Etats centrasiatiques et l'Arménie cherchent eux à approfondir leurs relations avec les Américains et les Européens.

Les pays d'Asie centrale ont accueilli cette semaine le chancelier allemand Olaf Scholz, l'appelant à investir dans les infrastructures énergétiques et de transport pour relier la région à l'Europe en contournant la Russie.

La région se tourne aussi vers l'Orient: le Kazakhstan a ainsi accueilli au début septembre des forces spéciales de la Turquie, du Qatar et du Pakistan pour des exercices placés sous le signe d'une «amitié sans limites».

La Chine étend son influence dans le domaine sécuritaire en Asie centrale via des partenariats bilatéraux et l'organisation de coopération de Shanghaï. La Turquie, qui s'appuie sur une proximité culturelle avec les pays de langues turciques, fournit des armes.

Et en juillet, les Etats d'Asie centrale ont organisé leurs premières manoeuvres militaires communes sans Moscou, tandis que l'Arménie accueillait des soldats américains.

ATS