Affaire Grégory «C'est facile de s'essuyer les pieds sur un mort»

AFP

11.10.2024

Le drame dans le drame. Quarante ans après la mort de Grégory, Gérard Welzer tente encore de défendre la mémoire de Bernard Laroche, assassiné par Jean-Marie Villemin qui voyait en lui le meurtrier de son enfant.

Le 16 octobre 1984, le corps de Grégory Villemin, 4 ans, a été retrouvé dans les Vosges.
Le 16 octobre 1984, le corps de Grégory Villemin, 4 ans, a été retrouvé dans les Vosges.
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Le 16 octobre 1984, le corps de Grégory Villemin, 4 ans, est retrouvé noyé près de son village de Lépanges-sur-Vologne (Vosges). Rapidement, les gendarmes suspectent un cousin de Jean-Marie Villemin d'avoir participé à l'enlèvement de l'enfant. Bernard Laroche est inculpé le 6 novembre 1984. Il a pour conseil un jeune avocat vosgien, Gérard Welzer.

Remis en liberté le 4 février 1985 tout en restant mis en examen, Bernard Laroche est assassiné moins de deux mois plus tard par Jean-Marie Villemin, d'un coup de fusil, devant sa femme enceinte Marie-Ange Laroche, et leur fils Sébastien, 5 ans.

Depuis, Me Welzer défend «la mémoire» de Bernard Laroche, contre qui l'action publique s'est éteinte au moment de sa mort, et les intérêts de sa veuve et de ses enfants.

Mais il arrive que Bernard Laroche soit encore désigné comme l'assassin du «petit Grégory». «C'est facile de s'essuyer les pieds sur un mort», regrette le conseil, faisant remarquer qu'il est «très difficile» pour un avocat «de défendre la mémoire d'un mort». «Un mort ne peut pas répondre», dit à l'AFP l'avocat bientôt septuagénaire.

«Drames supplémentaires»

«En droit français, le droit de la diffamation est très protecteur de la liberté de la presse, ce qui est bien, mais c'est très dur de poursuivre quelqu'un pour atteinte à la mémoire d'un mort», note-t-il. «Donc aujourd'hui, lorsqu'il y a des affirmations sur Bernard Laroche, on n'a pas accès au dossier, on ne peut pas répondre et il est montré du doigt. C'est trop facile. C'est dramatique.» «Dramatique» résume toute l'affaire, pour Me Welzer.

Quarante ans après «la mort affreuse» de Grégory, «on nous annonce une semaine décisive». «Malheureusement, après beaucoup de drames supplémentaires, on ne connaît toujours pas la vérité», estime l'avocat, évoquant l'assassinat de Bernard Laroche le 29 mars 1985 mais aussi le suicide, en 2017, du juge Jean-Michel Lambert, le premier à avoir été saisi du dossier.

Malgré cela, l'enquête continue, et «les derniers éléments» semblent indiquer que Bernard Laroche n'est pas l'assassin, abonde le conseil. «Sept experts en écriture ont dit que ce n'est pas lui qui avait écrit la lettre du 16 octobre 1984.»

Cette lettre revendicative avait été postée à Lépanges le jour du meurtre de l'enfant et disait à Jean-Marie Villemin: «J'espère que tu mourras de chagrin le chef. Ce n'est pas ton argent qui pourra te redonner ton fils».

«L'alibi que (Bernard Laroche) avait fourni a été vérifié. Le juge d'instruction a indiqué à plusieurs reprises que selon lui, il était innocent. Maintenant, il est mort. C'est facile de manière non contradictoire de venir dire que c'est lui», dit encore Me Welzer.

Vérité

Alors que des expertises supplémentaires ont été ordonnées en mars par la Cour d'appel de Dijon, qui instruit l'affaire, Me Welzer appelle à la «prudence». «Imaginez qu'on trouve l'ADN d'un facteur de l'époque. On va venir 40 ans après lui demander quelque chose ?», interroge-t-il.

«Tout le monde a envie que l'on trouve la vérité. Marie-Ange Laroche a envie qu'on trouve la vérité. Il y a 40 ans, on présentait son mari comme l'assassin», rappelle-t-il. Et aujourd'hui, «on vient dire que ce n'est pas lui qui aurait tué l'enfant. Et puis dans 40 ans, on viendra dire qu'il n'a rien fait», anticipe l'avocat.

«Il faut faire attention», dit-il, alors qu'il observe que «chacun a des convictions sans tenir compte du dossier. Seul compte un dossier d'enquête et d'instruction».

Mais «40 ans après, lorsque des constatations matérielles de départ sont mal faites, dans une affaire criminelle de cette gravité, c'est toujours difficile d'avancer».

Marie-Ange Laroche a obtenu la condamnation de l'Etat pour «faute lourde» dans la mort de son époux, le tribunal ayant estimé que les pouvoirs publics n'avaient pas suffisamment pris en compte les intentions homicides de Jean-Marie Villemin.