Interview Moïse Santamaria: «Sur une scène de baiser, vous embrassez un masque»

D'Aurélia Brégnac/AllTheContent

3.8.2020

Héros de la série «Un si grand soleil» sur France 2, il incarne un flic au sang chaud mais au cœur tendre. Depuis plus de deux ans, Moïse Santamaria, 41 ans, prête ses traits au capitaine de police Manu Léoni, un personnage en clair-obscur qui mûrit au gré des épreuves qu’il rencontre sur son chemin. 

S’il s’agit bien pour l’acteur d’un rôle de composition, il semble toutefois partager avec ce dernier un caractère pour le moins affirmé. De son dernier post sur son compte Instagram qui a créé la polémique à sa vision engagée de l’actualité, ce boxeur qui pratique depuis 30 ans, ne craint ni les coups, ni les critiques. Un franc-parler assumé, mais aussi une sensibilité qui l’ont sans doute aidé à s’investir dans de nombreux autres rôles, de films ou de séries. Rencontre avec l’acteur qui nous raconte son parcours et nous confie, sans autocensure, sa vision d’une époque complexe.

Depuis maintenant plus de deux ans, vous incarnez le capitaine de police Manu Léoni, l’un des personnages phare de la série «Un si grand soleil». Comment avez-vous fait évoluer votre personnage?
Il a d’abord été construit avec le matériel qu’on m’avait donné. J’avais peu de connaissances; sa situation familiale, son emploi, et quelques traits de caractère. Mais un rôle, soit on se l’accapare, soit on ne se l’accapare pas. Je l’ai donc emmené là où je voulais l’emmener. Bien qu’il y ait des lignes directrices, le texte ne suffit pas. Tout personnage est un être complexe, ni bleu, ni rouge, ni bon, ni mauvais… Chacun de nous est constitué de diverses couleurs, et c’est ça qui est beau. Nous avons tous des colorations propres et différentes de notre voisin. Je ne voulais pas faire quelque chose de binaire ou de linéaire. Il faut que les gens s’y retrouvent, que ce soit quelqu’un qui ait des défauts, des qualités, quelqu’un qui réussisse, qui se trompe, qui essaie de s’améliorer… C’est un comportement à mettre en place. Le personnage de Manu est à l’origine assez rigide. Il peut avoir des colères assez noires. Mais on le retrouve aussi très vulnérable et fragilisé quand il s’agit de sa fille, d’amour. Il est touchant, c’est un roc mais avec des failles.

«Ce n’est pas dans les salles de théâtre ou des cours qu’on apprend la psychologie humaine...»

En quoi ressemblez-vous, dans la vie, à votre personnage de Manu?
En général, je ne ressemble pas à mes personnages. Je peux avoir des affinités avec eux. Je pourrais par exemple être pote avec Manu. Je le serais moins en revanche avec mon personnage dans «Engrenages», Zacharie, qui est un voyou, qui fait des braquages, un vrai salaud… Pour Manu, c’est une composition, même si, bien sûr, je me sers de mon bagage émotionnel et de ma sensibilité propre. On se sert toujours de nos expériences personnelles et du monde qui nous entoure pour jouer un personnage. Je rejoins l’avis de certains acteurs que j’aime beaucoup comme Dustin Hoffman, Marlon Brando ou Patrick Dewaere pour qui la plus grande formation reste en fait la vie. Ce n’est pas dans les salles de théâtre ou des cours qu’on apprend la psychologie humaine, les sentiments… toutes ces choses qui font partie de notre expérience propre. Il faut aller les chercher.

«Parfois, on a l’impression de travailler en milieu hospitalier.»

La crise sanitaire du Covid-19 a bouleversé les conditions de tournage de la série. Après une longue pause durant le confinement, vous avez en effet dû instaurer des précautions particulières… Quelles sont-elles et comment impactent-elle le jeu des acteurs et le scénario?
On vit une période critique qui, à titre personnel, me déplaît énormément pour des raisons de libertés individuelles. Au niveau des tournages, il y a des mesures qui ont en effet été prises. On n’a plus de table régie, on mange à la cantine dans des plateaux séparés. Tous les techniciens doivent porter un masque. Il y a plein de choses à mettre en place sur un plateau. Evidemment, les acteurs ne jouent pas avec un masque, même si entre les prises ils doivent le porter. C’est très particulier de jouer dans ces conditions. Parfois, on a l’impression de travailler en milieu hospitalier.

«La hantise d’une production, c’est qu’un des acteurs tombe malade.»

Mais dans le scénario, comment est mise en scène la proximité physique entre les personnages, comme les scènes de baisers ou de câlins par exemple?
C’est très, très compliqué. On doit l’adapter dans la mise en scène et le jeu. Il y a la distanciation physique. Sans entrer dans le discours politique, la distanciation sociale est un mot que je n’utilise pas car pour moi elle existait déjà bien avant, dans une autre dimension. Ça s’appelle la lutte des classes. Là, on est dans la séparation physique des êtres. Et pour ce type de scène, on utilise le champs-contrechamps. C’est-à-dire qu’un des personnages porte un masque et l’autre non, et inversement. Et donc, sur une scène de baiser, vous embrassez un masque FFP2. Quand on a une personne qui n’a pas de masque, puis se retourne pour vous embrasser avec un masque sur la figure, je vous assure qu’il faut au moins une prise ou deux pour ne pas rigoler… On espère que ça va pas durer. Mais la hantise d’une production, c’est qu’un des acteurs tombe malade.

«Ils disent que je me suis pris une volée de bois vert par mes fans.»

Concernant ces règles de précaution, vous avez justement posté le 18 juillet dernier un message sur Instagram qui a fait polémique. Un post où vous portiez un masque déchiré sur le visage et vous moquiez un peu de la rigueur de ces mesures. Vous trouvez cela trop contraignant?
Vous me posez la question, c’est très bien… comme ça on va en parler. En fait, deux heures après ce post, j’ai eu «Voici», «Yahoo», «20 Minutes» qui ont pondu un papier, d’ailleurs recopié les uns sur les autres. Ils disent que je me suis pris une volée de bois vert par mes fans. Alors, qu’on remette les choses en place: sur les 300 commentaires que j’ai eus, il n’y en avait que 10 de négatifs, assez violents puisqu’ils me souhaitaient d’attraper le coronavirus et de crever. On voit à quel niveau en France la liberté d’expression est respectée… Ces médias ont donc dit que je m’étais fait jeter par les fans, mais ce sont eux les médias, au final, qui ont dû désactiver les commentaires, car ceux-ci allaient dans mon sens… J’ai l’impression qu’on ne peut pas prendre les gens pour des cons éternellement. On ne peut pas dire tout et son contraire, faire peur aux gens. Car la peur est le plus bel outil psychologique de manipulation.

Pour vous, ces mesures ne sont pas forcément nécessaires en ce moment?
Je demande qu’on donne la parole à des spécialistes - qui ne sont pas des spécialistes de télé - et sans les dénigrer. Sans parler des cheveux longs ou de la barbe de la personne. On a en France l’un des meilleurs immunologues, virologues au monde, qui s’appelle le professeur Raoult. Personne n’a voulu l’écouter. En tant que citoyen français, qui m’informe comme tout le monde un peu partout, j’ai besoin de savoir qui dit les choses. Qui es-tu pour dire que c’est vrai ou faux, qui finance ton information? Il s’avère que si tu es financé par les mêmes personnes qui promeuvent le confinement, le vaccin etc., ça va un peu me mettre la puce à l’oreille. Et si je vois des professeurs qui ne travaillent pour aucun labo, qui ne reçoivent aucun argent d’aucune fondation, qui font leur travail depuis 30 ou 40 ans plutôt bien, qui sont les meilleurs dans ce qu’ils font: je ne vois pas pourquoi je ne les écouterais pas. Si demain je dois recevoir une leçon de boxe par Tyson, je vais m’assoir sur une chaise et l’écouter parler.

«Comment voulez-vous que j’aie peur?»

Alors, vous ne craignez pas de tomber vous-même malade?
Absolument pas! Vous savez pourquoi? Parce que je crois beaucoup en Hippocrate: «que ton alimentation soit ta première médecine». Je suis quelqu’un qui mange bien, qui ne fume pas, qui boit très, très peu d’alcool, je fais du sport régulièrement… Comment voulez-vous que j’aie peur? Mes enfants, pareil. Aujourd’hui, peu de place est donnée à l’homéopathie, la naturopathie, la phytothérapie. Tout est pour la pharmaceutique. A tel point que les herboristes ne peuvent pas pratiquer ici en France. Alors que dans une pharmacie, il y a des poisons par milliers. On a un gouvernement qui permet les manifestations. On a eu des exemples récemment, avec des milliers de personnes qui étaient côte à côte dans les rues. Apparemment, les gens ne portaient pas forcément de masques… On avait une épidémie en cours, on devrait avoir un pic énorme sur Paris avec ces rassemblements. C’est un choix, d’interdire certaines choses, et d’en permettre d’autres. Aller voter, c’est bon, on peut; mais par exemple, se réunir pour contester certaines décisions, non. On a tous notre mot à dire. D’ailleurs, je trouve qu’en Suisse, vous vivez la démocratie d’une autre manière.

«Je n’ai peur de personne en fait.»

Sur un autre sujet, on vous a vu dans de nombreuses autres fictions au ciné et à la télévision, et on remarque que vous avez plusieurs fois joué des rôles de voyous, de bad boys ou de personnages au fort caractère. Comment expliquez-vous cela?
Ce sont des personnages forts, mais je ne suis pas un voyou dans la vie. Je suis arrivé assez tard dans ce métier d’acteur après pas mal d’expériences avant dans différents milieux. C’est peut-être parce que j’ai eu plein de boulots, j’ai bossé sur des chantiers, j’ai grandi en banlieue parisienne, j’ai en effet fréquenté des voyous. Donc, je dis ce que j’ai à dire. J’aime les sports de combat depuis toujours, la boxe notamment; l’affrontement physique ne me fait pas peur non plus. Je n’ai peur de personne en fait, et je n’ai pas non plus peur qu’on pense du mal de moi. Je ne me détermine pas en fonction de ce que les autres pensent de moi.

«Je suis donc peut-être un "bad boy" parce que je ne tiens pas la ligne officielle.»

La blague avec le masque déchiré sur les réseaux sociaux, c’est pareil: si ça ne plaît pas, ça ne plaît pas. S’il y a un papier derrière, c’est la règle du jeu. Mais ça prouve qu’il n’y en aurait pas eu si j’avais fait le «canard», le gentil acteur qui dit: «mets bien ton masque bien comme il faut», «lave-toi les mains 36 fois par jour…», «tiens-toi bien tout le temps». Je suis donc peut-être un «bad boy» parce que je ne tiens pas la ligne officielle. Mais j’aime plus les images de chevaliers ou de samouraïs. Je n’ai aucune peur.

Justement, vous êtes aussi boxeur depuis de très nombreuses années. Vous sortez d’ailleurs d’une séance. C’est toujours une passion ou juste un moyen de relâcher la pression?
C’est un moyen d’aller voir les copains à la salle, de discuter avec eux, de continuer à pratiquer le combat. Je peux même dire «le conflit». J’y vois une lutte ancestrale, le respect aussi. On s’amuse dans une bonne ambiance. Même si ça peut faire du bien, ce n’est pas un défouloir. Taper dans un sac, je n’en suis plus là. Peut-être que ça a été un défouloir quand j’ai commencé les arts martiaux à 11/12 ans. Ça fait partie de mon hygiène de vie. Faire du sport très régulièrement, que ce soit à la salle de boxe ou en plein air. La course, le kayak, le trail, l’escalade… Il faut renouer avec la nature. Il faut que les gens comprennent qu’on n’a pas besoin d’autant consommer. Le seul être dans la nature qui a besoin d’apprendre à vivre en osmose avec son environnement, et même le cosmos, c’est l’Homme. Ça demande un savoir, qui n’est pas un savoir capitaliste, mais un savoir des choses fondamentales, réapprendre à cultiver la terre, réapprendre à fabriquer des choses avec ses mains, à être autonomes. On vit dans un monde où la connaissance permet de manger gratuitement. Mais l’autonomie n’intéresse pas les vendeurs. Au moins, le confinement a permis que les gens se rendent compte que le ralentissement leur a fait du bien. De se dire: «j’ai pas besoin d’autant…».

«Il faut que les gens comprennent qu’on n’a pas besoin d’autant consommer.»

Outre les tournages de la série qui ont repris, quels sont vos prochains projets à la télé ou au ciné?
On est en préparation d’un long-métrage pour le cinéma avec Julien Seri - qui a déjà réalisé «Yamakasi», «Night Fare», «Scorpion». On va sûrement tourner en avril prochain, puisque tous les plannings ont été décalés. Ce sera un road movie avec deux personnages qui vont devoir apprendre à se reparler, à se pardonner. C’est un itinéraire entre un homme et une femme, qui sera incarnée par Vahina Gioccante. C’est un très beau film, touchant, qui s’appellera «All we have left».

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