InterviewPatrick Sébastien: «J'ai l'impression d'avoir sorti la tête d'un caniveau»
De Caroline Libbrecht/AllTheContent
30.6.2020
Remercié par France2 en 2018, Patrick Sébastien n'a pas dit son dernier mot. A 66 ans, il revient avec un livre, une pièce de théâtre, un album de chansons festives. Sans oublier la tournée du «Plus grand cabaret du monde». Une actualité chargée.
Comment est venue l’idée du livre «J’ai déplacé l’éléphant» (XO Editions), qui compile des anecdotes vécues et des phrases entendues tout au long de votre vie?
J’ai la chance d’avoir fait le grand écart toute ma vie: je viens d’un milieu ordinaire et, par mon métier, j’ai croisé des gens prestigieux (Alain Delon, Jean-Paul Belmondo, etc), sans jamais oublier mes potes d’en bas. Les phrases que je cite dans le livre, je les ai emmagasinées dans ma mémoire, car ce sont des phrases qu’on n’oublie pas. Les rencontres avec certaines célébrités et avec des anonymes m’ont marqué à jamais. J’ai fouillé ma mémoire pour retrouver ces phrases. Ma mémoire est un cinéma!
Vous citez notamment votre mère. Dans quelle mesure vous a-t-elle marqué?
Quand j’étais enfant, ma mère me disait: «Bats-toi toute ta vie pour être le second, et non pas le premier, car il faut toujours avoir une marche à monter». Cela signifie qu’il faut toujours avoir une part de rêve à assouvir. Elle me disait au sujet de l’argent: «A quoi bon acheter un matelas neuf à crédit, si le prix du crédit t’empêche de dormir?» Ce sont des phrases qui m’ont guidé dans la vie. J’ai un rapport très particulier au plaisir et à l’argent. Je profite et je partage.
«Cela a été d’une violence extrême, je n’avais pas la force de monter sur scène le soir même…»
Vous définissez-vous comme un épicurien?
Je suis un saltimbanque humaniste. Saltimbanque, car si j’étais au XVIIe siècle, je serais sur une estrade, dans la rue, avec une troupe de comédiens. Là, je m’adapte à notre époque: je fais des spectacles, des imitations, je joue la comédie, au théâtre comme à la télé. Je suis un touche-à-tout, ce qui me permet de rencontrer des gens de différents milieux. Ce que je préfère, c’est le contact avec les gens. Même si, au fond, je suis un grand solitaire.
Que vous a dit Carlos, le jour où vous avez perdu votre fils?
Cette phrase m’a sauvé! En 1990, j’ai perdu mon fils Sébastien dans un accident de moto. On était en tournée, mon fils était éclairagiste. Il avait 19 ans et allait être papa pour la première fois quelques mois plus tard. Il s’est tué sur une route de Camargue. Cela a été d’une violence extrême, je n’avais pas la force de monter sur scène le soir même… J’ai appelé mon ami Carlos pour qu’il me remplace au pied levé, mais il a refusé. Il m’a dit que si je n’y allais pas, je ne me relèverais jamais. Il m’a forcé à monter sur scène, à donner de l’amour aux gens. «C’est l’amour que les gens vont te renvoyer qui va te permettre de tenir», m’a-t-il dit.
En avez-vous fait une règle de vie?
Oui, tout à fait! Carlos avait raison. Et à chaque fois que je vis une épreuve, comme lorsque je me suis fait virer de la télé, au lieu de m’apitoyer, je repense à cette phrase. Je donne un peu plus d’amour aux gens autour de moi, et leur amour me tient debout! Début 1991, ma petite fille, Marie, est née. Un merveilleux cadeau du ciel. Aujourd’hui, elle a 29 ans, elle est ma meilleure amie: on travaille ensemble, elle est régisseuse sur mes spectacles!
L’amour est essentiel chez vous. En amitié comme en famille?
Oui, la famille est essentielle, c’est un socle. Mais ma famille ne se limite pas à ma famille de sang. C’est une famille de coeur: mes amis sont des musiciens, des restaurateurs, des gens d’en bas… Ma plus grande fierté, c’est de n’avoir jamais oublié d’où je viens.
Quels sont vos projets aujourd’hui?
En ce moment, je fais la promotion de mon livre et je finis d’enregistrer un album de chansons festives. En parallèle, je répète une pièce de théâtre décalée, «LouisXVI.fr», avec mon ami Olivier Lejeune. C’est le 14 juillet 1789, avec les gilets jaunes! On va la jouer à partir du mois d’octobre. Au mois de novembre, on va faire une tournée avec le plus grand cabaret du monde, il y aura 50 artistes sur scène!
«Bigard candidat, ça ne changera rien!»
Que pensez-vous du monde de la télévision aujourd’hui?
Je suis content d’en être sorti. Sur le moment, quand je me suis fait virer de France Télévisions en 2018, ça m’a fait de la peine. Ils m’ont viré sans raison, sans me parler. Ils ont crû me punir, en réalité c’est le public qu’ils ont puni. Les gens ont été privés de mes émissions. Je n’ai jamais rencontré un milieu avec autant de bassesse. Quand je vois la télé aujourd’hui, cela ne me fait pas de peine de ne plus y être. Je ne me suis jamais senti aussi bien que depuis que j’ai arrêté la télé! J’ai l’impression d’avoir sorti la tête d’un caniveau. Je suis libre, je fais ce que je veux avec qui je veux. La télé n’est plus faite pour les artistes. Les valeurs du monde de la télé aujourd’hui ne sont pas les miennes. Je préfère me tenir à l’écart de ce monde de dingues. La télé aujourd’hui, c’est du marketing.
Qu’avez-vous dit à Jean-Marie Bigard qui veut se présenter à l’élection présidentielle française?
Je lui ai dit de ne pas le faire. Je pense qu’il doit continuer à être l’interprète des gens, ceux qui galèrent et qui sont en bas. C’est ce qu’on essaie tous de faire! Bigard candidat, ça ne changera rien! Moi, je suis ami avec tous les présidents, je n’ai pas de bord politique, ce sont les êtres humains qui m’intéressent. Je suis un humaniste: que le mec soit milliardaire ou chômeur, je lui parle de la même façon. C’est l’être humain qui compte.
Un dernier mot sur la petite Lilly que vous avez adoptée en Polynésie, il y a 12 ans?
Dans une maternité normale, l’enfant est proche de sa mère car elle l’a porté pendant 9 mois. Avec l’adoption, le père et la mère se retrouvent à 50-50. C’est un combat particulier: elle a 12 ans, alors que j’en ai 66. Elle vient de Tahiti, le métissage est formidable. De mes 4 enfants, c’est celle qui me ressemble le plus, elle est très proche de moi.
Patrick Sébastien: «J’ai déplacé l’éléphant» (XO Editions)