Vincent Lindon«Je ne peux plus supporter qu'on me pose ces questions»
AFP
17.1.2025
«C'est les films qui m'ont régénéré, pas les prix»: prix d'interprétation à Venise, Vincent Lindon vit, du haut de ses quarante ans de cinéma, une nouvelle jeunesse. Après le choc «Titane» (de Julia Ducournau, Palme d'or 2021), puis un rôle qu'il a aimé à s'en rendre «dingue» de douanier dans la série «D'argent et de sang», l'acteur sort mercredi «Jouer avec le feu».
AFP
17.01.2025, 08:27
17.01.2025, 10:12
Gregoire Galley
Il y incarne un cheminot confronté à la radicalisation de l'un de ses fils (Benjamin Voisin), attiré par l'extrême-droite violente, tandis que son frère (Stefan Crépon) suit de brillantes études.
Neuf ans après son prix à Cannes pour «La loi du marché» (de Stéphane Brizé), Lindon rejoint le club des acteurs sacrés dans les deux plus prestigieux festivals du monde, comme Javier Bardem ou Sean Penn. Retour pour l'AFP sur ce moment clé.
Vous dites parfois vous sentir comme «un imposteur». Qu'avez-vous ressenti en recevant le prix à Venise ?
«J'étais fou de joie, bouleversé, parce que ça fait le doublé (avec Cannes), donc ce n'est pas rien. J'ai été bouleversé et touché terriblement par (la présidente du jury) Isabelle Huppert parce que ce n'est tellement pas français (de récompenser un compatriote). J'étais très content pour (les réalisatrices) Delphine et Muriel Coulin. Ça rejaillit sur tous les gens dans le wagon principal, les acteurs, les metteurs en scène et les producteurs. C'est un travail commun.»
Qu'avez-vous aimé dans ce tournage ?
«J'ai adoré qu'il y ait deux histoires. Pour moi, la plus importante, c'est la famille. Comment un père peut être démuni devant l'un de ses deux enfants alors qu'ils ont été élevés de la même manière ? Ils ont mangé les mêmes aliments, ont été habillés pareil, ont eu la même mère, le même père. Ils ont entendu les mêmes discussions à table. Pour moi, c'est ça l'inconditionnalité de l'amour. Comment fait-on pour aimer autant et de la même manière deux êtres aussi différents ?»
«La petite histoire, mais qui n'est pas rien, c'est cette radicalisation. (...) C'est le manque d'espérance. Quand on n'est pas occupé, on est en perte de tout, de confiance, d'amour. Le premier groupuscule qui s'intéresse à vous, qui vous considère, on le suit. On va chercher du réconfort qu'on n'a nulle part. On se fait enrôler. Tout ça m'a troublé et ramené à mon état de fils. Quand je vois toutes les conneries que j'ai pu faire et comment mes parents m'ont fait confiance... A mon état de père aussi. Mon personnage est fautif car il s'y prend trop tard. Il est d'autant plus bouleversant qu'il essaie de rattraper le temps perdu. Ça ne se rattrape pas."
Le film résonne aussi avec notre présent...
«C'est un film qui raconte notre regard. J'allais vous dire que c'est l'état de la France. Mais c'est l'état du monde. La façon dont on regarde sans réagir, avec désespoir, une jeunesse manquer d'espérance et s'aliéner dans le monde de la réaction, plutôt que le monde de la réflexion. Maintenant, il y a 72 millions de journalistes en France, 72 millions de commissaires de police. On ne lit pratiquement plus, on réagit sur quelque chose qu'on a lu en trois phrases sur un réseau social ! On est chez les fous.»
La culture a longtemps pensé avoir un rôle à jouer face à l'extrémisme. Et aujourd'hui ?
«Le monde de la culture s'est terriblement embourgeoisé et s'est incliné. (Les intellectuels) ne communiquent plus entre eux. Chacun écrit son livre, son pamphlet... En même temps, c'est ultra difficile pour eux de s'adresser à une génération dont la culture n'est plus la même, qui est sur des réseaux sociaux, avec des pensées toutes faites. Je ne peux plus supporter qu'on me pose ces questions parce que les autres n'y répondent pas. Avant, il y avait 900 artistes qui étaient engagés ! Des peintres, des musiciens, ce que vous voulez. Il n'y en a plus. Mais je ne suis pas du tout désespéré. (...) J'ai terriblement confiance dans les femmes et les hommes. A un moment, inconsciemment, tout le monde va se passer le mot. Ça ne sera plus supportable et les humains vont arrêter tout ça."