Murat Yakin Murat Yakin : "J'ai cru que cela était irréel"

ld, ats

8.11.2021 - 14:48

ld, ats

Ce vendredi à Rome, Murat Yakin s'attaquera à un véritable Everest: battre l'Italie, Championne d'Europe en titre, pour prendre une option sans doute décisive sur la qualification directe pour la Coupe du monde 2022 sans quatre titulaires indiscutables: Nico Elvedi, Granit Xhaka, Haris Seferovic et Breel Embolo. A l'heure du rassemblement de son équipe à Lugano, le Bâlois a accordé une longue interview à Keystone-ATS.

Murat Yakin a accordé une longue interview à Keystone-ATS.
Murat Yakin a accordé une longue interview à Keystone-ATS.
KEYSTONE

Murat Yakin, comment avez-vous réagi à la nouvelle du forfait de Breel Embolo, qui s'est blessé vendredi à Mayence ?

«Ce fut un véritable choc. A un moment, j'ai cru que cela était irréel. Se blesser à une semaine du match de Rome ! C'est tout simplement rageant.»

Ce forfait pèse énormément dans la mesure où Breel Embolo était dans une forme exceptionnelle...

«Breel a déjà dû surmonter bien des coups durs par le passé. C'est pourquoi j'étais particulièrement heureux de le voir si bien jouer ces dernières semaines. D'autant plus que la Suisse a toujours souffert d'un manque d'attaquants de grande valeur. Si l'on ose une comparaison avec le Portugal et la Belgique, deux pays qui ont pratiquement la même grandeur que la Suisse, on remarque que nous possédons dans pratiquement tous les secteurs de jeu des joueurs qui jouissent de la même reconnaissance que les Belges et les Portugais sur le marché des transferts. Nous avons un Sommer dans les buts, un Elvedi en défense et un Zakaria en ligne médiane. Et maintenant, nous avons avec Breel Embolo enfin un attaquant qui va susciter un immense intérêt. Il peut devenir notre Lukaku.»



Mais justement, il est trop souvent blessé et cela depuis des années...

«Breel est peut-être trop loyal avec ses clubs. Il a toujours joué à des positions qui n'étaient pas vraiment les siennes. Mais il a accepté cet état de fait et il n'a jamais ménagé ses efforts sur le terrain. Il ne lâche aucun ballon, et cet engagement explique le pourquoi de ses blessures. Lors du dernier Euro, il se blesse contre l'Espagne et tout de suite l'idée d'avoir laissé tomber son équipe le ronge. Pour un joueur de 23 ans, Breel dégage une force de caractère qui impressionne.»

L'absence du capitaine Granit Xhaka, le forfait de Nico Elvedi qui a également été entériné après le match de Mönchengladbach à Mayence et les difficultés d'adaptation de Xherdan Shaqiri à Lyon ne changent-ils pas la donne ? Abordez-vous le match de vendredi avec les mêmes ambitions ?

«Cela ne sert à rien de se lamenter. A moi de trouver des solutions. Avec Embolo, nous avons perdu notre seul attaquant capable de prendre vraiment la profondeur. Et Haris Seferovic est toujours blessé. Une réflexion sur notre système de jeu s'impose donc. Mais je le répète: seule compte pour nous la qualification directe pour le Qatar. Les joueurs sont dans le même état d'esprit que leur sélectionneur. Ils veulent voir toujours le verre à moitié plein. Ainsi, ils ne sont pas venus le mois dernier se plaindre de jouer à Genève sur une pelouse en mauvais état et sur un synthétique en Lituanie.»

La perspective de revivre la même déroute à Rome que le 16 juin lors de la défaite 3-0 à l'Euro existe-t-elle toutefois ?

«L'équipe a tiré les leçons de cette défaite. J'attends vraiment le match de Rome avec une réelle impatience. Mes joueurs savent que je suis un fan de cette équipe d'Italie. Nous l'avons beaucoup étudiée avec notamment une caméra derrière sa cage qui souligne l'immense labeur d'un Giorgio Cheillini. Je suis toujours aussi impressionné par le travail «préventif» qu'il abat dans le camp adverse. En regardant jouer Chiellini, mes joueurs ont compris qu'ils devaient témoigner d'une plus grande intensité. A 37 ans, Chiellini court plus que mes défenseurs centraux.»



Ce 3-0 de Rome a-t-il sanctionné la faillite de la défense suisse ?

«Je ne suis pas un farouche opposant de la défense à trois. Mais je suis convaincu qu'une ligne de quatre permet de défendre plus haut et de mieux contrôler l'adversaire. On réduit ainsi les distances entre les lignes. J'adore Yann Sommer, mais je n'aime pas que notre gardien recueille toujours les meilleures notes du match. Ma priorité fut d'enrayer le jeu offensif de l'adversaire. Ce n'est pas un hasard si nous restons sur quatre «clean sheets».

Si l'on met entre parenthèses les difficultés défensives, vous vous êtes retrouvé cet été à la tête d'une équipe très performante et qui a suscité un immense engouement dans tout le pays. Cette situation a-t-elle facilité votre intégration ou l'a-t-elle compliquée ?

«Mon intronisation ne fut pas celle d’un homme qui saute dans un train à grande vitesse. Il est vrai que l'on surfait sur la réussite de l'Euro mais je ne veux jamais regarder derrière moi. Seul le futur compte. Et nos objectifs sont immenses.»

Mais le saut entre le FC Schaffhouse en Challenge League et l'équipe nationale n'est-il pas énorme ?

«Une telle interrogation ne m'a jamais effleuré. J'ai goûté avec succès au haut niveau bien avant d'entraîner l'équipe de Suisse. Mais tout à coup, les opportunités n'étaient plus vraiment là. Un Köbi Kuhn n'avait pas dirigé de clubs pendant vingt ans avant de se retrouver à la tête de la sélection. A mes yeux, les grandes questions étaient de savoir si j'étais fait pour ce métier de sélectionneur qui ne vous propose que dix matches par année. Et si je me sentais capable de faire progresser l'équipe sans passer par un travail au quotidien.»



Et avez-vous trouvé les réponses ?

«Aujourd'hui, je suis un peu dans l'urgence. Je ne peux pas encore porter de jugement définitif sur mon travail. Le temps de la réflexion viendra après ces deux matches contre l'Italie et la Bulgarie. Mais j'ai trouvé mon bonheur dans ce rôle de sélectionneur. On ressent tous les jours la fierté et l'honneur d'être à une telle place. J'ai compris aussi que je devais témoigner d'une immense souplesse dans ce travail. Si le plan A ne fonctionne pas, et c'est souvent le cas avec les blessures et les suspensions, il faut bien s'adapter. Cela ne me dérange pas. Je crois être suffisamment créatif et flexible pour faire face à toutes les situations.»

Vous avez été un grand joueur. Un international également. Quelle est la différence la plus marquante en sélection entre celle d'aujourd'hui que vous dirigez et celle d'hier à laquelle vous apparteniez ?

«A mon époque, il y avait encore la problématique de la «barrière de röstis». A l'entraînement, les mots et les tacles volaient. Mais à la fin, on se serrait toujours la main. Lors de mon premier entraînement, j'ai été surpris par une sorte de contraste avec le temps d'avant. Si l'on fermait les yeux, on pouvait se croire à l’église tellement tout était silencieux.»