Directeur de la gestion sportive de la Scuderia Ferrari depuis 2019, Mattia Binotto s'est laissé aller à quelques confidences sur Michael Schumacher lors d'un podcast accordé à la chaîne officielle de la F1. Extraits.
Après le décès tragique d'Ayrton Senna en 1994, Jean Todt avait choisi un certain Michael Schumacher pour remplacer la légende brésilienne au sein de la Scuderia Ferrari. Un transfert retentissant à l'époque que Mattia Binotto avait vécu de l'intérieur en 1996.
Jusqu'alors discret sur le sujet, l'actuel directeur de l'équipe italienne s'est confié sur l'arrivée de l'Allemand lors d'un podcast publié sur YouTube par "Formula 1" la semaine dernière.
A l'époque jeune ingénieur, le diplômé de l'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne allait découvrir pour la première fois les exigences du "baron rouge" le 20 novembre 1995.
"Le souvenir de ce test à Estoril est encore vif dans ma mémoire. Ce fut une expérience fantastique. Il nous a rejoints en novembre, en arrivant de Benetton comme double champion du monde. Il n'a pas fait son premier test avec nous à Estoril, mais sur quelques tours à Fiorano auparavant. La raison de ces tours était son installation dans la voiture, faire son baquet, configurer le volant", a d'abord confié le Lausannois de 51 ans.
"Il nous attendait en regardant sa montre"
Avant de poursuivre son anecdote. "Je m'en souviens très bien car il n'avait pas été capable de tourner au premier virage à Fiorano. Il n'était pas capable de prendre ce virage de la bonne façon et il était plus lent que d'autres pilotes habitués de la piste comme Jean Alesi, Gerhard Berger ou notre essayeur Nicola Larini. Il est allé voir Jean Todt et lui a dit : 'Le premier virage doit être changé, je ne veux plus le voir.' Nous avons donc changé la piste depuis ça. Parce que ce premier virage n'était représentatif d'aucun virage des circuits du Championnat du monde. Mais il avait du mal dans ce virage."
Au Portugal, "Schumi" n'avait pas exigé une modification du parcours... mais un changement d'horaires.
"A Estoril, ce fut une journée de tests normale. La piste était ouverte à 9h, mais on avait l'habitude, techniciens comme ingénieurs, d'arriver très tard sur le circuit, vers 8h15 ou 8h20, au moment où on chauffait le moteur. Le pilote arrivait à 8h55. Il se mettait dans la voiture, on préparait tout, il faisait son tour d'installation et sautait de la voiture pour discuter avec les ingénieurs du programme du jour", a ensuite détaillé le Transalpin.
Puis de poursuivre ses explications. "Comme d'habitude, on s'est pointés à 8h20 et Michael était déjà là. Il nous attendait en regardant sa montre et en nous demandant : 'Vous faisiez quoi ? A 8h, on doit être en réunion. D'abord on discute du programme, puis on fait le tour d'installation.' Depuis lors, nous avons fait notre réunion à 8h."
Il faut dire que le "kaiser" n'avait pas de temps à perdre, lui qui s'était par exemple créé un fitness dans un camion dans le paddock. Des histoires de ce genre sur le septuple champion du monde, Mattia Binotto en a partagé plusieurs lors de cette émission radio.
"Un gros bosseur, un leader, très fort et rapide"
"Le jour suivant, à une heure de la fin des tests, on a enlevé de l'essence en ne lui mettant que 10 kg. On lui a mis des pneus de qualification et il a fait le meilleur temps. Le lendemain, on a fait les gros titres avec ça en Italie. Il nous a alors demandé : 'Pourquoi avoir ôté de l'essence ? On n'est pas là pour faire le meilleur chrono mais pour tester. Dorénavant, on roulera toute la journée avec 50 kg d'essence'. Ça changeait, mais on était effectivement là pour apprendre, progresser, sans perdre de temps", a poursuivi celui qui a été nommé directeur de la gestion sportive de la Scuderia Ferrari en janvier 2019.
Avant de se marrer en se remémorant les exploits de l'Allemand. "Il a fait le meilleur tour avec 50 kg dès le premier jour. C'était incroyable. En plus, à Estoril, les deux premiers virages sont rapides, et il les passait complètement à fond. Jean Alesi et Gerhard Berger n'en étaient pas capables, même en qualification. On a donc vu très vite qui était Michael : un gros bosseur, un leader, très fort et rapide, indéniablement. Il nous a appris comment aborder l'exercice."
S'il s'est globalement montré dithyrambique sur Michael Schumacher, Mattia Binotto a toutefois reconnu que l'ancien pilote né à Hürth-Hermülheim manquait de sensibilité technique.
"Michael n'était pas très fort pour livrer une analyse, ce qui est à l'opposé de ce que tout le monde peut penser. Mais il était si rapide et constant que si on changeait le set up et qu'il allait plus vite, c'était positif pour lui. A l'inverse, s'il était moins rapide, c'était négatif. Son vrai feeling était conditionné au chrono, de savoir s'il était plus rapide ou moins rapide. En fait, s'il revenait au garage avec un chrono meilleur d'un dixième, son feedback était positif", a conclu le concepteur et ingénieur automobile de 51 ans.