Année de césure, tour du monde, ...Gen Z : le début de la Grande Évasion ?
Relax
19.9.2022 - 14:22
Année de césure, tour du monde, voyage à vélo, chemin de Compostelle…Cette année, de nombreux jeunes ont décidé de prendre le large. Après deux ans de Covid et des perspectives environnementales sombres, tous cherchent l’intensité. Et le mouvement, comme s’il fallait vite profiter d’un monde menacé par le chaos. Au même titre que la grande démission, la gen Z serait tentée par la grande évasion.
19.09.2022, 14:22
19.09.2022, 14:23
Relax
«L’avenir est sombre. Chaotique. On ne se projette plus à dix ou vingt ans comme avant. On veut vivre l’instant». Alors entre un emploi très intéressant et son envie de faire le tour du monde, Jo, qui finit son diplôme de Science Po a choisi. «J’ai décliné une belle offre de CDI, non pas parce que les missions ne me plaisaient pas, mais parce qu’à 22 ans, je ne me m’imagine pas enfermé dans une routine de bureau. Tant que je suis jeune, je cherche une intensité de vie que je n’ai pas dans le cadre professionnel traditionnel».
Pierre-Louis, lui aussi diplômé de Sciences-po, démarre lui les vendanges cette semaine dans un domaine viticole, dans les environs de Bordeaux. Première étape avant de prendre le grand large en janvier 2023 vers le Maroc et ensuite l’Amérique Latine. Son diplôme en poche, il n’a qu’une envie: «Voyager». Et d’insister: «Sans limite de temps».
Louise, 25 ans, s’envole elle pour l’Asie, après deux ans d’apprentissage dans un grand média.
Comme eux, beaucoup de jeunes de la génération Z, ceux nés dans la deuxième partie des années 90, rêvent d’exode. Et notamment parmi les diplômés des filières prisées. Comme si les ambitions tracées depuis des enfances de bon élève n’avaient plus grand sens. Ou comme s’ils s’étaient engouffrés, sous les conseils de leurs pairs, dans des cursus prestigieux sans véritable intérêt.
Ceux qui ont réussi à mettre de l’argent de côté, entre deux cursus, à la fin de leurs études, imaginent découvrir le monde et s’éloigner un temps du rythme quotidien; parfois sans date retour, limitant surtout celle de leur entrée sur le marché du travail. La jeune génération désire s’évader.
Le voyage pour donner des perspectives et du sens
«La fin des études, c’est le bon moment pour partir», estime Timothée, qui termine tout juste son master à Sciences-Po. «C’est beaucoup plus dur de partir quand tu es inséré dans le monde du travail», juge le jeune homme de 22 ans. Ce qu’il veut faire après? «Je ne sais pas. J’aimerais un job utile, mais c’est difficile de se projeter».
Malgré des études prestigieuses, et une dernière année en alternance censée faciliter l’insertion dans le marché de l’emploi, aucun de ces jeunes, sortis des cursus prisés des employeurs, n’a su se projeter dans un projet professionnel concret. Pierre-Louis a d’ailleurs très vite compris qu’il n’évoluera pas dans cette voie.
Ces grands départs étaient autrefois rares en France, les CV ne devaient laisser aucune ligne vacante. Il fallait voguer de bonnes études en stages prestigieux pour trouver un bon emploi.
Mais depuis le développement des échanges Erasmus, avec près de 100.000 étudiants français, qui partent chaque année étudier dans un autre pays, une nouvelle culture s’est installée, valorisant les longs voyages durant les études.
Les écoles ont d’ailleurs aménagé ces années de césure. Beaucoup proposent maintenant une option payante pour «réserver» sa place entre le bachelor et le master et partir un an avec la sécurité de reprendre sa formation. A l’Edhec par exemple, une année de césure est prévue dans le programme Grande Ecole «qui est très majoritairement choisie par les étudiants», selon l’école de commerce.
Sensation de perdre du temps
Difficile d’établir des chiffres précis sur ce phénomène d’évasion ou d’estimer le nombre de jeunes lancés dans ce genre d’aventures. Dans l’Hexagone, environ 20% des 20 à 24 ans n’étaient ni en emploi, ni en études, ni en formation (NEET) selon l’Insee en 2019. Aux Etats-Unis, la tendance est similaire. Selon le Bureau of Labor Statistics, ministère du travail américain, près d’un quart des jeunes Américains de 20 à 34 ans ne travaillaient pas ni ne cherchaient à le faire à l’automne 2021.
A travers ces envies de grand large, on peut saisir une lassitude – voire un rejet – du monde du travail actuel chez les plus jeunes. Un changement majeur, effet direct de la pandémie de Covid-19, qui a contraint le monde à rester chez soi durant des mois. Selon une étude sur la génération Z et le travail menée par la plateforme TalentLMS et l’entreprise technologique BambooHR au début de l’année 2022, plus de 20% des jeunes Américains interrogés quitteront leur emploi dans les douze prochains mois. Les principales raisons étant une rémunération insatisfaisante, un manque d’équilibre entre vie professionnelle et personnelle, et un manque d'intérêt dans leur travail.
Cette dernière raison, Romain, 22 ans, l’a expérimentée durant son année d'alternance dans une entreprise chargée des politiques RSE chez les PME. «On me demandait de faire des synthèses», déclare-t-il. «Ce n’est pas très enrichissant. Et puis je m’attendais à faire plus. J’aurais pu faire le travail qu’on me demandait en 15 heures», fait remarquer le jeune homme qui part aussi en Amérique latine au début de l’année 2023. «Cela m’inquiète pour les 40 ans de carrière qui m’attendent».
Investir dans la transition écologique
Pierre-Louis souhaite couper avec son cursus à Sciences-Po et avec les institutions. «C’était trop lourd, trop politique, je n’ai pas envie d’être cadre», avoue-t-il. «Il me faut du terrain et l’agriculture me plait bien pour cela». Son voyage servira à découvrir les différents modes d’exploitation agricole dans le monde, pour, «pourquoi pas reprendre une exploitation à ma sauce», songe-t-il. Romain aussi n’imagine pas «faire des choses abstraites sur un ordi». Il souhaite s’investir dans une cause concrète, «trouver l’utilité» d’un projet, notamment en faveur du climat.
Pour Timothée, c’est déjà tout trouvé. Il part faire un tour d’Europe à vélo et souhaite développer un projet de sensibilisation à l’écologie auprès des enfants. «C’est une manière de voir autre chose après cinq ans de théorie», dit-il. Il a déjà monté son association et essayera de récolter des dons pour les écoles primaires de Libourne, sa commune natale. «Je ne compte pas sur ce projet [pour trouver ce que je veux faire], mais je compte sur cette année pour m’ouvrir d’autres perspectives».