Un fléau sanitaire «Tous vulnérables»: récit de survivants à des bactéries résistantes aux antibiotiques

AFP

26.9.2024

Cela peut commencer très banalement, après une glissade dans la salle de bains ou une blessure en jouant au baseball. Mais une fois qu'une infection par une bactérie résistante aux antibiotiques s'installe, elle peut être dure à diagnostiquer, et surtout à traiter.

Trop peu de gens, y compris certains médecins, ignorent la menace de la résistance aux antibiotiques.
Trop peu de gens, y compris certains médecins, ignorent la menace de la résistance aux antibiotiques.

AFP

L'antibiorésistance, fléau sanitaire souvent sous-estimé, pourrait tuer directement 39 millions d'humains dans le prochain quart de siècle, selon une récente estimation. Avant une réunion de haut niveau jeudi, en marge des négociations de l'ONU à New York, trois survivants ont témoigné auprès de l'AFP.

En octobre 2020, le vétérinaire John Kariuki Muhia a glissé dans sa salle de bain à Nairobi, la capitale du Kenya, et s'est cassé la hanche. On l'a opéré pour poser des broches dans l'articulation.

«Immédiatement après, je suis tombé très, très malade», raconte-t-il. On lui a administré toute une série d'antibiotiques, sans succès. Même scénario pour le retrait des broches. Ses médecins craignaient qu'il ne meure. Et à ce moment-là, il a eu le Covid. «Je me battais pour survivre», souligne-t-il.

Après cinq mois d'hôpital, il est rentré chez lui mais est resté cloué au lit. John Kariuki Muhia estime avoir eu la «chance» d'étudier auparavant la résistance aux antimicrobiens et de la soupçonner.

Il a donc fait un antibiogramme, qui a permis de tester 18 antibiotiques différents sur son infection. L'un d'eux a fonctionné et, en novembre 2021, il a été jugé guéri.

Mais il est désormais «handicapé à vie», la jambe droite raccourcie de près de huit centimètres. «Nous sommes tous vulnérables», alerte John Kariuki Muhia, qui doit parler jeudi et appelle à agir.

«Chaque opération propageait davantage l'infection»

Pour Anthony Darcovich, tout a commencé au début des années 2000 en jouant au baseball, lorsqu'il s'est déchiré la coiffe des rotateurs de l'épaule droite. Une blessure relativement «ennuyeuse» aux yeux des médecins, raconte cet homme de 34 ans, vivant actuellement à New York.

Il a subi une série d'opérations pour réparer son épaule et faire cesser la douleur. En vain. Avant chaque opération, on lui a administré des antibiotiques courants pour éviter une infection. Après la septième opération, les médecins ont détecté dans son épaule une infection résistante aux antibiotiques. Et «chaque opération propageait davantage l'infection», explique-t-il.

Anthony Darcovich a subi 12 autres interventions pour retirer le «matériel infecté», dont des vis et un cartilage greffé. Son articulation a été «complètement détruite», son épaule entièrement remplacée par une prothèse. Son espoir est désormais d'arriver un jour à «lever le bras à hauteur d'épaule».

Son cas diffère de nombreux autres, car la bactérie ayant infecté son épaule est normalement bénigne – elle provoque généralement de l'acné. Mais comme elle était devenue résistante aux antibiotiques, elle s'est propagée une fois dans l'articulation et a fait des dégâts.

«Nous avons vécu dans un monde où, le plus souvent, nous pouvions traiter beaucoup d'infections assez efficacement. Mais, dans un contexte de résistance, ce scénario ne tient plus», souligne Anthony Darcovich, désormais défenseur de patients antibiorésistants.

Deux ans de traitement

Bhakti Chavan venait, elle, de terminer ses études à Bombay, en Inde, en 2017 lorsqu'elle a remarqué un gonflement au cou. Son médecin lui a prescrit des antibiotiques, mais le gonflement n'a pas diminué, raconte cette chercheuse de 30 ans.

Après quelques tests, on lui a diagnostiqué une tuberculose résistante aux médicaments, une forme courante et dangereuse d'antibiorésistance.

Les médicaments de première et de deuxième intention n'ont pas fonctionné, mais elle a eu accès à deux nouveaux médicaments, via Médecins sans Frontières. Les effets secondaires, souvent éprouvants, l'ont plongée en dépression, et la «stigmatisation» entourant la tuberculose l'a dissuadée de parler de sa situation.

Après deux ans de traitement avec huit antibiotiques différents - dont «des injections quotidiennes douloureuses pendant huit mois» -, Bhakti Chavan est désormais en bonne santé.

Mais elle craint que trop peu de gens, y compris certains médecins, ignorent la menace de la résistance aux antibiotiques.

Pourtant, avertit-elle, «cela peut arriver à n'importe qui».