Entreprises neutres en carbone Olmar Albers : « Cet avantage ne durera pas »

Anita Raaflaub

21.3.2022

Les entreprises suisses veulent atteindre le « zéro émission nette » et se fixent pour cela des objectifs climatiques ambitieux. Qu’est-ce que le « zéro émission nette » signifie exactement, qu’apporte-t-il, et pouvons-nous croire à cette promesse ? Olmar Albers, directeur d’öbu, l’association pour une économie durable, apportent des réponses.

«Celui qui va de l’avant ne sera pas dépassé.»: Olmar Albers dirige öbu, l’association pour une économie durable, depuis 2018
«Celui qui va de l’avant ne sera pas dépassé.»: Olmar Albers dirige öbu, l’association pour une économie durable, depuis 2018
öbu

Anita Raaflaub

De plus en plus d’entreprises suisses se fixent des objectifs climatiques pour les années à venir : en 2021, plus de 4000 entreprises suisses ont travaillé sur leurs objectifs énergétiques et climatiques, 51 entreprises ont publié leur bilan climatique dans le cadre du Carbon Disclosure Project, et 64 entreprises ont annoncé leur participation à l’initiative Science Based Target (SBTi). L’économie suisse évolue.

Ce mouvement porte le nom de « zéro net », « zéro émission nette » ou « neutralité climatique ». Les entreprises se fixent ces objectifs en série, affichant ainsi leur volonté d’adopter dès maintenant une approche plus durable.

Mais que signifient exactement les termes « zéro émission nette » ou « neutralité climatique » pour une entreprise ? Qu’apportent-ils et dans quelle mesure ces objectifs sont-ils crédibles ? Nous avons abordé les 10 questions essentielles avec Olmar Albers, directeur d’öbu, l’association pour une économie durable.

1. Olmar Albers, que signifient exactement les termes « neutralité climatique » et « zéro émission nette » ?

Ils signifient qu’au final on ne génère plus d’émissions de gaz à effet de serre. Les entreprises réduisent ainsi leurs émissions autant que possible. Ce qui n’est pas réductible et qui reste doit être éliminé de l’atmosphère. On parle également de « compensation ». Pour ce faire, les entreprises financent par exemple des projets de protection du climat qui reboisent des forêts.

2. Y a-t-il une différence entre les deux termes ?

Neutralité climatique et net-zero
unsplash: Peter Wormstetter

Si une vallée est inondée pour une centrale hydroélectrique par exemple, un objectif climatiquement neutre prendra également en compte les dommages causés à la nature, par exemple la réduction des prélèvements de CO2 dans l’atmosphère en raison de la destruction des espaces verts et forestiers. En revanche, la notion de zéro émission nette ne tiendra compte que du CO2 émis par la construction et l’exploitation de l’installation.

Dans l’usage, oui. Conformément à la définition du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, un objectif de zéro émission nette se concentre sur les émissions de gaz à effet de serre que nous générons, tandis que la notion de neutralité climatique tient également compte d’autres facteurs environnementaux.

Mais les termes ne sont pas exclusifs et la différence est très subtile. Il y a aussi une discussion sur la portée des mesures, également appelée « scope » dans le jargon technique. L’enjeu est de déterminer dans quelle mesure un objectif climatique tient compte des émissions indirectes qui sont générées par exemple dans la chaîne d’approvisionnement. On parle alors des émissions « scope 3 ».

3. Pourquoi parle-t-on de zéro net et pas simplement de zéro ?

Parce que le zéro n’est (presque) pas possible dans un avenir proche. Cela voudrait dire que nous réduirions tout sans rien compenser. Cela n’est pas possible, ne serait-ce que parce que nous devrions complètement modifier du jour au lendemain notre comportement en matière d’habitat, de mobilité et d’alimentation, ainsi que nos processus de production économiques. Durant la phase de transition, l’objectif est donc le zéro « net » pour stabiliser la situation climatique.

4. Quelles sont les opportunités pour les entreprises suisses qui s’engagent à atteindre un objectif climatique ?

Elles sont nombreuses ! D’un point de vue économique, une entreprise ayant un objectif climatique ambitieux peut actuellement encore se positionner avantageusement sur le marché. La clientèle est sensibilisée à ce sujet. Mais cet avantage ne durera pas. Le mot d’ordre est donc : mieux vaut aujourd’hui que demain. Celui qui va de l’avant ne sera pas dépassé.

Émissions scope 3
unsplash: Marcin Jozwiak

Supposons qu’une entreprise suisse vende des brosses à dents et achète le matériau nécessaire pour les soies dans un pays asiatique. Dans ce cas, les émissions de niveau 3 sont celles générées par le producteur de soies dans la production et le transport de la marchandise. Si l’entreprise suisse poursuit un objectif climatique incluant les émissions du scope 3, les émissions de ce producteur sont également prises en compte dans le bilan climatique.

Les véritables avantages n’apparaissent toutefois qu’à moyen et long terme et sont donc durables. Devenir climatiquement neutre signifie avant tout une chose : être efficient. Et ce, dans tous les domaines. Une analyse de l’efficacité énergétique conduit automatiquement à une analyse des processus de production et d’autres secteurs, par exemple lorsqu’il est question d’économie circulaire. Au final, on économise des coûts en ressources telles que l’énergie ou les matières premières et on profite de processus plus efficaces sur tout le parcours.

Enfin, une économie durable va dans l’intérêt de l’économie à long terme. Le changement climatique menace fortement l’espace générateur de profits. Il est donc dans l’intérêt des entreprises de préserver cet environnement. C’est du reste l’avis des grandes associations économiques suisses.

5. Quel est l’intérêt pour les entreprises suisses de se fixer un objectif climatique contraignant ?

Un principe de base du management permet de répondre à cette question : la réussite passe par des objectifs clairs. C’est la théorie économique 101.

6. Quels sont les risques encourus par les entreprises ?

Pour de nombreux décideurs, cette thématique reste nouvelle, bien qu’elle soit déjà bien présente. Cela déstabilise et complique les premiers pas. De plus, le public est déjà très sensibilisé à ce sujet. Beaucoup craignent d’être accusés de greenwashing. Les objectifs climatiques doivent donc être cohérents et communiqués de manière réfléchie. Il y a bien sûr aussi le risque de ne pas atteindre les objectifs fixés.

7. Quels sont les défis auxquels les entreprises sont confrontées lors d’un changement ?

Premièrement, les processus techniques, voire l’ensemble du modèle commercial, doivent être vérifiés et adaptés. Cela représente beaucoup de travail, mais cela vaut doublement la peine, comme nous l’avons expliqué plus haut. Deuxièmement, il faut examiner la chaîne de création de valeur du côté des fournisseurs et de la clientèle. Ce processus et des objectifs mesurables sont certes importants pour le succès, mais ils exigent beaucoup de transparence, ce qui complique encore la tâche de nombreuses entreprises, y compris en Suisse. Troisièmement, un changement de culture est nécessaire au sein de l’organisation. Le credo de Milton Friedman « The Business of Business is Doing Business », autrement dit « le business pour le business » ne fonctionne plus.

L'économiste et prix Nobel Milton Friedman expliquait, que le sens et le but de l'économie se trouvaient dans l'activité économique elle-même. C'était en 1970 – les temps ont changé.
L'économiste et prix Nobel Milton Friedman expliquait, que le sens et le but de l'économie se trouvaient dans l'activité économique elle-même. C'était en 1970 – les temps ont changé.
Keystone

8. Comment une entreprise procède-t-elle exactement lorsqu’elle se fixe un objectif climatique ?

Au cours d’une analyse, on définit les zones sensibles de l’organisation qui génèrent le plus d’émissions. C’est là que l’on intervient ensuite. L’Atlas environnemental de l’Office fédéral de l’environnement (OFEV) fournit des conseils utiles. De nombreux prestataires soutiennent les entreprises dans ces processus. Depuis peu, öbu propose aussi des cours aux petites entreprises.

9. Dans quelle mesure les engagements climatiques des entreprises suisses sont-ils crédibles ?

Là encore, une règle de base s’applique : plus un projet est transparent, plus il est convaincant. Le Corporate Climate Responsibility Monitor, même s’il est encore controversé pour le moment, examine la crédibilité de telles promesses sur la base des chiffres et que les organisations divulguent et dans quel volume.

10. Comment évaluez-vous l’engagement et les chances de l’économie suisse de devenir climatiquement neutre en temps utile ?

Je suis optimiste, car beaucoup de choses ont changé au cours des deux à trois dernières années. Le sujet est en tête de l’agenda des milieux économiques et une prise de conscience s’est opérée en très peu de temps. Les responsables politiques suivent également, même s’ils restent hésitants. Depuis cette année, les moyennes et grandes entreprises sont tenues d’établir un rapport sur la Corporate Social Responsibility. Celle-ci englobe également des aspects environnementaux tels que les émissions de CO2. L’enjeu est à présent de traduire les paroles en actes : walk the talk !


Blog Durabilité
Anita Raaflaub, Head of Communications Strategy & Corporate Responsibility chez Swisscom
Anita Raaflaub, Head of Communications Strategy & Corporate Responsibility chez Swisscom

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