Biodiversité Et si la protection des abeilles faisait gagner des milliards de francs ?

Gregoire Galley

14.4.2023

Depuis une trentaine d’années, le nombre d’abeilles est en constante diminution à travers le monde. Président de la Société romande d’apiculture, Francis Saucy tire la sonnette d’alarme.

Biodiversité : nos abeilles se meurent

Biodiversité : nos abeilles se meurent

Depuis une trentaine d’années, le nombre d’abeilles est en constante diminution à travers le monde. Un spécialiste tire la sonnette d’alarme.

14.04.2023

Gregoire Galley

Les insectes, et plus particulièrement les abeilles, ont fortement diminué depuis une trentaine d’années. Comment expliquer cette hécatombe ?

«Selon une étude publiée en Allemagne, les chiffres sont effectivement très préoccupants. En effet, trois-quarts de la biomasse des insectes a disparu durant ces trente dernières années. Il faut savoir que les plantes sont à la base du régime alimentaire des insectes alors que ces derniers servent de nourriture aux oiseaux. Ainsi, une quantité invraisemblable de nourriture disparait chaque année. Cela est donc dramatique pour la biodiversité, et plus particulièrement pour les oiseaux. Cette hécatombe est due principalement à l’utilisation excessive de pesticides».

La situation est-elle aussi alarmante en Suisse ?

«Oui ! Nous n’avons certes pas fait exactement les mêmes études qu’en Allemagne mais le constat est similaire. En Suisse, nous avons identifié 625 espèces d’abeilles. Seule l'abeille mellifère produit du miel, les autres sont des espèces sauvages. Près de la moitié d’entre elles sont menacées de disparition de manière presque invisible. Malheureusement, il n’y a que les spécialistes qui remarquent cela et qui s’y intéressent vraiment».

«La diminution des prairies à fleurs est un réel problème»

Francis Saucy

Président de la Société romande d’apiculture

Quelles sont les causes et les conséquences de la disparition des abeilles ?

«Pour les abeilles mellifères, il y a quatre causes de mortalité. La première est le varroa. Ce dernier est un parasite qui se fixe sur le corps de l’abeille et se reproduit sur les jeunes abeilles en métamorphose. La deuxième cause est la raréfaction des plantes. Ces dernières fournissent deux éléments essentiels pour la survie des abeilles : le nectar et le pollen. Par conséquent, la diminution des prairies à fleurs est un réel problème. Les pesticides sont une autre cause de la mortalité des abeilles mellifères. Enfin, il y aussi l’apparition et la prolifération du frelon asiatique qui tue les abeilles pour se nourrir.

De plus, avec l'intensification des cultures et les fauches fréquentes des prairies, de moins en moins de plantes parviennent à accomplir leur cycle de vie, de la germination des graines à la production de nouvelles graines. Il est important de garder aussi à l’esprit que trois-quarts des végétaux ont besoin des insectes pour être pollinisés. Ces derniers sont aussi des indicateurs importants pour la biodiversité dans la mesure où ils servent notamment de nourriture aux oiseaux».

Selon une étude récente d’Allianz Trade, la mort des abeilles et le déclin du PIB sont corrélés. Ce constat est donc juste d’après vous ?

«En Suisse, la valeur de la pollinisation des plantes est de 400 millions de francs. De ce fait, avec la disparition des abeilles, la production agricole connaîtrait une perte de 400 millions de francs tout en sachant qu’elle vaut dans sa globalité 6 milliards de francs».

«Pour revenir plus en détails sur cette étude, ces 400 millions de francs représentent 0,07% du PIB en Suisse. Il faut savoir que ces chiffres que je viens de citer étaient déjà connus bien avant la parution de cette étude. En revanche, il est intéressant de constater que le monde de la finance commence à s’intéresser à la disparition des abeilles. Si les financiers se rendent compte qu’il y a des milliards à gagner dans ce combat pour les préserver, peut-être que les choses bougeront plus rapidement. Je salue donc cette étude».

Comment pourrait-on remédier au déclin des populations d’abeilles ? À petite échelle, chaque personne peut-elle faire quelque chose ?

«Pour commencer, il faut rendre notre agriculture plus durable. Actuellement, cette dernière ne survit pas sans l’apport des engrais qui permettent de maintenir une production élevée. Cependant, contrairement à ce que nous racontent beaucoup de gens, l’agriculteur ne serait pas forcément perdant en diminuant sa production car il pourrait la vendre à un bien meilleur prix en utilisant un label bio par exemple. Les agriculteurs sont souvent gagnants en produisant moins mais de manière plus écologique».

«A petite échelle, chacun d’entre nous peut planter des fleurs sur son balcon. Si on a un jardin, on peut y laisser pousser quelques fleurs afin de permettre aux abeilles de venir récolter du nectar et du pollen. On peut aussi construire des hôtels à insectes ou encore laisser du terrain un peu moins bien entretenu autour de nos maisons afin de permettre aux abeilles sauvages de venir y faire leur nid sous des branchages ou même directement dans le sol».

Quel rôle jouent les abeilles dans la conservation de la biodiversité ?

«Comme je l’ai déjà souligné, les abeilles sont un indicateur important de la biodiversité. Ainsi, si on les protège, on favorise toute une série d’autres espèces. Les abeilles peuvent être comparées à une clé de voûte qui maintient tout un écosystème. Il est donc nécessaire d’en prendre soin».