Un ex-officier du KGB témoigne «Poutine gagne le jackpot de l’Euro millions tous les jours»

Gregoire Galley

14.3.2024

L’élection présidentielle russe se tiendra du 15 au 17 mars. Dénuée de tout suspense, elle verra le triomphe de Vladimir Poutine. Ancien officier du service de renseignement soviétique, Sergueï Jirnov jette un regard très critique sur les agissements de l’homme fort du Kremlin. Interview sans concession.

Vladimir Poutine peut se réjouir avant l’élection présidentielle russe.
Vladimir Poutine peut se réjouir avant l’élection présidentielle russe.
IMAGO/ITAR-TASS/ Sipa USA

Gregoire Galley

Gains territoriaux en Ukraine, affaiblissement de l’aide occidentale à Zelensky, mort de Navalny : Vladimir Poutine a de quoi fanfaronner à quelques jours du scrutin présidentiel russe. Partagez-vous cette analyse ?

«Effectivement, les étoiles s’alignent en faveur de Vladimir Poutine, mais cela n’est pas nouveau. Il faut savoir que sa vie a basculé dans les années 1990 lorsqu’il a rencontré Anatoli Sobtchak (NDLR : premier maire de Saint-Pétersbourg démocratiquement élu en 1991). Avant cela, il allait d’échecs en échecs à l’image de sa carrière complètement ratée dans les services d’espionnage. Grâce à Sobtchak, qui est devenu son mentor et qui l’a invité à devenir son conseiller, Poutine est parvenu à changer le cours de sa vie. Depuis cette période, il jouit d’une chance presque insolente.»

«Pour imager mes propos, je pourrais dire que Poutine gagne le jackpot de l’Euro millions tous les jours depuis près de 35 ans. Cependant, en septembre 2022, suite au retrait des troupes russes de Kherson et Kharkiv, de nombreux experts ont cru que le vent avait définitivement tourné et que les Ukrainiens allaient repousser l’envahisseur russe en 2023. Certains voyaient même la fin du régime poutinien.»

«Malheureusement, en raison du refus du Congrès américain de donner de nouvelles armes à l’Ukraine, le Maître du Kremlin a pu reprendre l’initiative sur le front. Toutefois, il faut garder à l’esprit que Poutine est surtout un opportuniste qui sait parfaitement exploiter les faiblesses de ses adversaires. En 2015, lors de la guerre en Syrie, il a profité du retrait des Américains pour se profiler comme la figure forte de ce conflit. En Ukraine, ce scénario se reproduit dans la mesure où il parvient à avancer grâce à la diminution des livraisons d’armes occidentales.»

«Le village d’Avdïivka en est le symbole puisque les Russes essaient depuis 2015 de le conquérir. Faute d’armes et d’obus pour se défendre, les forces ukrainiennes ont récemment décidé de se retirer de cette localité. Poutine a, bien évidemment, présenté cette prise comme une immense victoire mais en fait ce succès est ridicule puisque les Ukrainiens se sont repliés d’eux-mêmes.»

Boris Nadejdine, un opposant à Poutine, a osé sortir du bois avant cette élection mais sa candidature a été refusée. Pourrait-il connaître le même destin qu’Alexeï Navalny ?

«Cette candidature était très intéressante car Boris Nadejdine aurait pu incarner une transition démocratique pacifique dans l’après-Poutine. Il faut savoir que cet homme a pu se lancer dans la course à la présidence car le Kremlin a d’abord cru qu’il ne représentait aucun danger pour Poutine. En effet, Nadejdine n’est pas un révolutionnaire et n’est pas quelqu’un de très charismatique.»

«Cependant, il a rapidement attiré une foule de gens (211'000 personnes) qui lui a donné ses signatures. Ces individus ne le faisaient pas pour lui mais plutôt contre Poutine. Voyant que ce scrutin pouvait tourner au vinaigre, l’administration présidentielle a tout simplement violé toutes les lois afin d’annihiler sa candidature. Maintenant, il risque d’avoir quelques problèmes sachant que Poutine est violent avec tous les gens qui osent le critiquer. En revanche, je ne peux pas prédire s’il va connaître le même destin que Navalny.»

«Cette guerre en Ukraine est un véritable suicide»

Sergueï Jirnov

Ex-officier du KGB

A la fin de votre livre L’Escalade, vous écrivez que Poutine «s’entête dans son suicide stupide». Comment expliquez-vous ces propos ?

«Avant de lancer l’invasion de l’Ukraine, Vladimir Poutine était à la tête d’un pays florissant qui faisait du commerce avec le monde entier. Et soudain, sans comprendre ses motivations, il s’est lancé dans cette guerre malgré l’opposition d’une partie de ses généraux qui estimaient que l’armée russe n’était pas assez bien préparée. La Russie s’est donc rapidement retrouvée complètement isolée sur la scène internationale en raison des sanctions occidentales. Un véritable problème pour cet immense pays qui ne produit quasiment rien d'industriel et qui survit grâce à la vente de ses matières premières.»

«Prenons l’exemple du gaz. Le premier marché pour l’exportation du gaz russe est l’Europe. Avant la guerre en Ukraine, la Russie en vendait près de 155 milliards de mètres cubes par an à ses partenaires européens. Quoiqu’il en dise, Vladimir Poutine ne pourra jamais remplacer ce marché par une augmentation des ventes vers l’Asie car la plupart des gazoducs russes sont orientés vers l’Europe. Tout cela montre bien que cette guerre en Ukraine est un véritable suicide pour l’homme fort de Moscou.»

Dans quel état la société russe se trouve-t-elle ? Pourrait-elle se soulever contre «l’empereur» Vladimir Poutine ?

«Personne ne le sait vraiment car la sociologie n’existe pas en Russie. Là-bas, il n’y pas de liberté d’expression, de presse libre ni d’élections démocratiques. Poutine croit qu’il domine le pays. Pour preuve, les autorités disent que 82% de la population le soutient. Ce chiffre n’a pas bougé depuis vingt ans. Cependant, pour moi, la réalité est tout autre. En juin 2023, lors du putsch d’Evgueni Prigojine, personne n’est sorti dans la rue pour soutenir Vladimir Poutine. Cela démontre bien que le maître du Kremlin est finalement très isolé.»

Pourquoi les sanctions occidentales paraissent avoir si peu d’effets sur l’économie russe ?

«Au contraire, je crois qu’elles ont un réel impact sur l’économie russe. L’exemple des exportations de gaz en Europe en est la preuve. Depuis le début de cette guerre, le budget de l'Etat russe est devenu déficitaire. Pour survivre, Poutine puise dans les fonds de la réserve nationale. L’économie russe ne s’est, toutefois, pas complètement écroulée car elle est presque entièrement tournée vers la guerre. Mais cela ne va pas durer car le prix des biens de consommation augmentera drastiquement. La Russie va donc rapidement souffrir face à l’efficacité de ces sanctions.»

Lors d’une récente interview avec l’animateur de télévision américain Tucker Carlson, le président russe a écarté l’idée d’étendre le conflit ukrainien en Pologne ou en Lettonie. Pouvons-nous le croire sur parole ?

«Quelques semaines avant d’attaquer l’Ukraine, Vladimir Poutine, Sergueï Lavrov ainsi que d’autres dirigeants avaient promis de ne pas s’en prendre au pays de Volodymyr Zelensky. On connaît la suite de l’histoire. Vladimir Poutine n’a donc pas de parole et il ne faut absolument pas lui faire confiance.»

Quels scénarios pourraient le pousser à utiliser l’arme atomique ?

«La menace nucléaire est, en réalité, un aveu de faiblesse de la part de Vladimir Poutine. Cela fait maintenant plus de deux ans que la Russie a attaqué l’Ukraine sans parvenir à la vaincre dans une guerre classique. Pour le plus grand désespoir de Poutine qui pensait classer l’affaire en très peu de temps. Aujourd’hui, ce dernier parle donc d’utiliser l’arme atomique pour faire peur aux Occidentaux. Il faut garder à l’esprit que tout le monde serait perdant en cas de guerre nucléaire et le Président russe en est parfaitement conscient.»

Vous avez un peu côtoyé Vladimir Poutine lorsque vous fréquentiez l’Institut Andropov. Comment décririez-vous sa psychologie ?

«Vladimir Poutine est entré à l’institut en 1984 avant d’être renvoyé une année plus tard. «Individu émotif qui, sous le coup de l’émotion, peut prendre des décisions inadéquates, dangereuses pour lui ainsi que pour l’ensemble des services» : ce sont les mots utilisés par l’école pour justifier son renvoi. Ensuite, il a été envoyé en Allemagne de l’Est communiste où il n’était qu’un simple représentant du KGB dans une province sans intérêt. Il a donc raté sa carrière d’espion en raison de son caractère dangereux. Et maintenant, ce personnage possède le bouton nucléaire…»

Pour conclure, essayons de nous projeter dans le futur. Quel avenir voyez-vous pour le Maître du Kremlin ?

«Vladimir Poutine n’a pas d’avenir puisqu’il est mort politiquement depuis l’annexion de la Crimée en 2014. Il détruit aussi son pays en envoyant de jeunes gens se faire tuer sur le champ de bataille dans un pays étranger. En quelque sorte, il instaure un culte de la mort en Russie.»

«En outre, Poutine a déjà 71 ans et n’incarne donc plus le futur de la Russie. Le problème principal dans tout cela est que les gens autour de lui ne l’ont pas bien cerné. Ces derniers n’ont pas compris qu’il était dangereux pour le régime et pour leur pays. La grande question est de savoir pourquoi ces individus, qui sont pour la plupart très riches et très intelligents, laissent agir une personne émotive, suicidaire et dénuée de tout pragmatisme menacer le monde entier. Malheureusement, je n’ai pas trouvé de réponses à cette interrogation.»

Poutine : ce que vous ignoriez sur Vladimir...

Poutine : ce que vous ignoriez sur Vladimir...

Un ex-chauffeur de taxi au pouvoir jusqu’en 2036 ?! 50 secondes d’anecdotes sur Vladimir Poutine, qui fête ses 70 ans ce vendredi 7 octobre...

05.10.2022