Late Night USA«On ne discute pas avec des bambins»
De Philipp Dahm
1.10.2020
Qui a remporté le premier duel télévisé des candidats à la présidence des Etats-Unis? Les stars des late-night shows sont unanimes – le grand perdant est l’électorat américain.
Le premier débat télévisé entre Donald Trump et Joe Biden était attendu avec impatience – mais on ressort surtout de ce duel avec une sensation de gueule de bois.
La presse – et pas seulement – donne de mauvaises notes aux deux hommes politiques américains: «Le perdant le plus évident de ce premier débat présidentiel a été l’Amérique», analyse par exemple «The Times». «En réalité, ce débat n’avait pas de véritable sens. C’était une querelle tempétueuse et parfois incompréhensible entre deux septuagénaires en colère qui se détestent manifestement.»
Et les animateurs des late-night shows américains arrivent à la même conclusion. Dans son monologue dans le «Tonight Show», Jimmy Fallon parle de «chaos», tandis que le «Jimmy Kimmel Live!» évoque même «le pire débat de tous les temps».
«The Daily Show» livre le résumé le plus parlant. Dans le style caractéristique des deux candidats, Trevor Noah hurle face aux spectateurs: «Yoooo! C’était quoi? C’était quoi??? […] Si vous avez manqué le débat, je vais vous faire un bref résumé de ce qui s’est passé.»
Recherche arbitre de MMA
S’ensuit non pas un extrait télévisé, mais un sketch solo de Trevor Noah qui hurle comme Donald Trump sur la gauche de l’écran, alors que sur la droite de l’écran, il essaie en vain de poser une question face à laquelle son double hurle encore. «C’était vraiment instructif», lance-t-il après sa prestation.
Le téléspectateur peut déjà ainsi se faire une idée: sur l’estrade, il y avait de tout, et pas seulement des arguments. Mais ce qui distingue le présentateur de 36 ans des deux hommes politiques, c’est que Trevor Noah ne se contente pas de détruire et propose aussi des solutions. «Tout d’abord, nous avons besoin de nouvelles règles pour les débats, les amis!»
Le Sud-Africain d’origine remercie Chris Wallace, le modérateur du duel télévisé, avant toutefois d’ajouter: «Il ne faut pas un modérateur pour ce genre de choses, il faut un arbitre de MMA. […] Trump ne voulait pas se taire. En ce moment même, il est encore dans sa chambre en train d’accuser Hillary [Clinton] la corrompue d’avoir truqué les élections qu’il a remportées.»
«On ne discute pas avec des bambins»
Chris Wallace était à deux doigts de dire à Donald Trump de la fermer, poursuit Trevor Noah. «Ecoutez, les modérateurs, vous devez trouver un moyen de gérer [Donald] Trump dans un débat – parce que ça, ce n’est pas bon pour la nation.» Il ne suffit pas de demander continuellement au président un peu de contenance. Cela ne marche pas non plus avec des bambins: «S’il te plaît, pose ces allumettes.» La maison sera en feu, explique-t-il.
Selon Trevor Noah, Melania Trump prouve qu’elle sait comment s’y prendre: il montre ensuite un court extrait dans lequel Donald Trump veut prendre la main de son épouse – elle l’écarte d’une simple tape sur sa main. «On ne discute pas avec des bambins», précise l’animateur, visiblement agacé. «Je vous le dis, ils doivent changer les choses. Faites quelque chose, n'importe quoi!»
Ils peuvent par exemple pulvériser de l’eau sur celui qui interrompt une prise de parole. «Ou mieux encore: donnez 100 dollars à [Donald] Trump chaque fois qu’il laisse [Joe] Biden terminer une phrase. L’argent est une grande source de motivation pour lui, et maintenant que nous connaissons ses déclarations d’impôts, nous savons qu’il en a besoin.»
«Je n’ai jamais attendu une coupure publicitaire avec autant d’impatience»
Ceux qui ont imaginé ce duel devraient être renvoyés, selon Trevor Noah. «Car jamais au cours de ma vie je n’ai attendu une coupure publicitaire avec autant d’impatience. Je ne pourrai plus jamais subir 90 minutes de cette m****. C’était brutal.» En réalité, ajoute-t-il, il faudrait faire une pause toutes les cinq minutes pour diffuser des publicités pour des antidépresseurs. «Ou pour un médicament qui a pour effet secondaire de faire oublier les quatre dernières années.»
Né d’un père Suisse, le présentateur pointe du doigt un autre défaut du format: «Ces débats ont besoin de fact checkers. Sinon, les gens peuvent monter sur l’estrade et dire ce qu’ils veulent – sans qu’il y ait la moindre conséquence.» Il y a déjà suffisamment de mensonges sur les réseaux sociaux et dans les médias partisans – tout au moins dans les duels télévisés, les citoyens doivent pouvoir s’attendre à entendre la vérité, estime-t-il.
C’est comme si lors d’une finale, les équipes décidaient elles-mêmes de ce qu’est une faute. «Il faut un vrai arbitre sur le terrain, les amis!» En réalité, soutient-il, il serait préférable de laisser Joe Biden et Donald Trump se battre au lieu de débattre – étant donné que la majorité des électeurs ont de toute façon déjà choisi leur candidat.
Un petit diable sur l’épaule
«Il n’y a pas d’électeurs indécis. Il y a juste des gens qui sont trop gênés pour dire pour qui ils votent. Alors au moins, divertissons l’Amérique en [les] laissant […] se battre, et le gagnant aura droit à une prothèse de hanche gratuite.»
Que retient Trevor Noah du duel sur le plan du contenu? «Je ne sais pas vraiment. […] On aurait plutôt dit que la radio était coincée entre deux stations.» Les interruptions de [Donald] Trump étaient selon lui impossibles à supporter. «C’est comme si on avait un petit diable sur l’épaule, mais que celui-ci n’essaie pas de nous convaincre de quoi que ce soit, mais juste de nous déboussoler.»
Pour ce qui est de Donald Trump, Trevor Noah a seulement été sidéré de voir à quel point son cerveau a flanché au moment où il était censé se distancier des racistes. Le président s’est vu demander s’il prendrait ses distances avec les Proud Boys, un groupe fasciste. Donald Trump a répondu: «Les Proud Boys – mettez-vous en retrait et tenez-vous prêts.» Noah tire une conclusion en vue du prochain débat: il se mettra en retrait de son téléviseur et se tiendra prêt avec une bouteille de vin.
Late Night USA – Comprendre les Etats-Unis
50 Etats, 330 millions d’habitants et encore plus d’opinions: comment «comprendre l’Amérique»? Pour garder une vue d’ensemble sans s’échouer, il faut un phare. Les stars des late shows offrent probablement la meilleure aide à la navigation: ce sont de parfaits pilotes qui explorent implacablement les bas-fonds du pays et des gens et qui servent à notre auteur Philipp Dahm de boussoles indiquant sur le ton de l’humour l’état d’esprit des Américains