Témoignage glaçant «Maintenant, il ne me reste qu'un fils et un petit-fils»

AFP

20.11.2024

C'était un jour de juillet qui porte malheur selon le calendrier traditionnel birman, se rappelle Yar Swe Kyin. Quelques heures plus tard, l'une des nombreuses mines répandues par le conflit civil qui ravage le pays tuait son mari agriculteur.

La Birmanie est devenue le pays qui compte le plus grand nombre de victimes de mines antipersonnel (image d’illustration).
La Birmanie est devenue le pays qui compte le plus grand nombre de victimes de mines antipersonnel (image d’illustration).
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«J'ai entendu une explosion dans les champs. Je savais qu'il était allé dans cette zone, et j'étais inquiète», se souvient-elle auprès de l'AFP. «Je lui avais dit de ne pas y aller», explique-t-elle, depuis sa maison située dans les collines de l'Etat Shan (nord). «Il ne m'a pas écoutée. Maintenant, il ne me reste qu'un fils et un petit-fils», se désole-t-elle.

Les mines terrestres jonchent le territoire birman, labouré par des décennies d'affrontements entre l'armée et des groupes ethniques rebelles, d'intensité variable selon les périodes.

Les violences ont pris une dimension supplémentaire à la suite du coup d'Etat de février 2021, qui a entraîné la création de dizaines de nouveaux groupes hostiles à la junte revenue au pouvoir.

La Birmanie est devenue le pays qui compte le plus grand nombre de victimes de mines antipersonnel et restes explosifs de guerre, devançant la Syrie, l'Afghanistan et l'Ukraine, selon le dernier rapport annuel de l'Observatoire des mines, diffusé mercredi.

228 morts en 2023

Le texte dénombre au moins 228 morts et 770 blessés en 2023. La Birmanie ne reconnaît pas la Convention d'Ottawa sur l'interdiction et l'élimination des mines antipersonnel, qui compte 164 Etats et territoires parties.

Dans l'Etat de Kayah (est), Hla Han a perdu une jambe en décembre dernier, lors d'une courte sortie pour aller chercher du riz pour nourrir sa femme et ses enfants.

Il a marché sur une mine placée près de l'entrée d'une église de son village, dont la façade est criblée d'impacts de balles, après le retrait des forces de la junte. «Quand je me suis réveillé, je ne savais pas comment j'étais tombé, et je n'ai retrouvé mes sens qu'une minute plus tard», explique cet agriculteur âgé de 52 ans.

Aujourd'hui amputé, il s'inquiète de l'avenir de sa famille de six personnes, déjà frappée par les tourments d'une économie en lambeaux en raison de la guerre. «Après que j'ai perdu ma jambe, je ne peux plus travailler. Je ne peux que manger et dormir, et parfois voir des amis. C'est tout ce que je peux faire», décrit-il. «Mon corps n'est plus le même, mes pensées ne sont plus les mêmes, et je ne peux plus faire que ce que je veux faire», poursuit-il.

Sa fille Aye Mar a assuré qu'elle l'avait supplié de ne pas retourner au village. «Quand mon père a perdu sa jambe, tous les espoirs de notre famille se sont envolés», lâche-t-elle.

«Hausse importante»

«Je n'ai pas de travail non plus, et je ne peux pas le soutenir financièrement. J'ai l'impression d'être une fille irresponsable», poursuit-elle.

Le rapport de l'Observatoire des mines a signalé une «hausse importante» de l'usage de mines antipersonnel par l'armée ces dernières années, notamment près d'infrastructures comme les tours de téléphonie mobile et les pipelines.

Dans l'Etat de Kayah, un simple cordon déployé le long d'une route de campagne prévient les passants de la possible présence de mines dans la forêt avoisinante.

Quelques habitants sont retournés chez eux après que les violences se sont reportées vers d'autres régions, explique Aye Mar. «Mais je n'ose pas y retourner», insiste-t-elle. Elle et son père comptent parmi les plus de trois millions de civils déplacés par le conflit et recensés par les Nations Unies. «Parfois, je pense que ça aurait été mieux si l'un des deux camps avait abandonné au début de la guerre», estime-t-elle.

Aujourd'hui, dans un contexte qui ne laisse deviner aucun dénouement proche, Hla Han tente d'accepter pourquoi il a commis le geste fatidique qui lui a fait perdre sa jambe. «A partir du moment où vous devenez handicapé, plus rien n'est comme avant», souffle-t-il.