«Pas de victoire complète»Les bactéries antibiorésistantes, insidieuses ennemies de l'Ukraine
ATS
4.11.2024 - 08:00
Après avoir rampé des heures avec sa cuisse déchirée, le soldat ukrainien Anton Souchko, gravement blessé sur le front oriental de l'Ukraine, s'est cru enfin en sécurité à la vue des secours. C'était sans compter sur le concours des bactéries antibiorésistantes.
Keystone-SDA
04.11.2024, 08:00
04.11.2024, 08:06
ATS
Aujourd'hui allongé sur son lit d'hôpital à Dnipro, ville dans l'est de l'Ukraine, le quadragénaire a vu sa blessure s'infecter, rendant la réponse au traitement moins efficace.
Depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie en février 2022, drones explosifs et tirs d'artillerie s'abattent sur l'est du pays, blessant les militaires qui saturent les hôpitaux. Comme Anton, des milliers d'autres soldats revenus du front voient leurs plaies s'infecter par des micro-organismes résistants à plusieurs antibiotiques: un nouveau défi de la guerre.
Dans le monde, la résistance aux antimicrobiens (RAM) est responsable de plus d'un million de décès chaque année et presque 5 millions de manière indirecte, selon l'OMS.
Plaies décomposées
Ce phénomène mondial est accéléré par l'utilisation massive d'antibiotiques pour traiter les humains, les animaux, ainsi que les denrées alimentaires.
En Ukraine, le problème s'est accru avec l'invasion russe, selon le représentant de l'OMS à Kiev, Jarno Habicht, pour qui la cause première «est la guerre en cours». De ce fait, l'hôpital Metchnikov de Dnipro, où Anton est soigné, a vu sa charge de travail décupler, constate Serguiï Kossoulnykov, en charge d'un service de chirurgie.
«Chaque explosion est une plaie ouverte et chaque plaie ouverte est une infection», explique-t-il en faisant défiler les photographies de lésions purulentes sur son ordinateur.
À l'arrivée des soldats blessés, les plaies sont souvent «sales, décomposées, avec des tissus et des os nécrosés et pleines de micro-organismes agressifs difficiles à combattre», selon le docteur.
Les drones explosifs notamment, sur le front, empêchent les ambulances d'évacuer rapidement les blessés, les laissant sans traitement pendant des périodes parfois prolongées.
Une fois à l'hôpital, les équipes n'ont d'autre choix que d'injecter de puissants antibiotiques, sans attendre le résultat d'analyses qui détermineraient la nature des bactéries pour un traitement adapté.
Avant même d'être à l'hôpital
«Il est impossible d'imaginer tout cela sans une augmentation de la résistance bactérienne», explique le docteur Kossoulnykov à l'AFP, car «plus nous essayons de tuer un micro-organisme, plus il se défend.» Ce processus pousse les médecins à utiliser des antibiotiques toujours plus puissants pour sauver la vie des soldats démunis, s'accrochant au seul espoir qu'un remède fonctionne.
Serguiï Kossoulnykov déplore aussi le manque d'instruments et de médicaments qui affectent son service, mais un autre problème le laisse perplexe.
Selon lui, environ 50% des soldats blessés admis dans son service ont développé une résistance aux antimicrobiens avant même de commencer le traitement. «Ils arrivent directement du champ de bataille. C'est incompréhensible», explique-t-il.
L'Ukraine est connue dans la communauté scientifique pour ses taux élevés de RAM, car les antibiotiques étaient, jusqu'en 2022, accessibles sans ordonnance.
Guerre de tranchées
Le chirurgien avance également que la bataille de tranchées statique, semblable à celles de la première guerre mondiale, pourrait contribuer à l'augmentation de résistance aux antimicrobiens. «Quand nous avons une concentration de personnes au même endroit, cet endroit va être très infecté», dit-il.
Mais pour Jarno Habicht de l'OMS, les causes de la résistance aux antimicrobiens doivent faire l'objet d'études plus poussées. L'Ukraine a multiplié le nombre de laboratoires surveillant les bactéries résistantes aux médicaments, selon lui, passant de trois en 2017 à 100 actuellement.
Le centre américain de contrôle et de prévention des maladies a constaté que «les bactéries agressives se propagent désormais au-delà des frontières» du pays.
En attendant, Anton Souchko tue le temps sur son lit médicalisé: «Je lis de la littérature pour plonger dans les racines de notre peuple, pour que mon âme comprenne que nos hommes ne sont pas morts en vain», explique le soldat.
Trois semaines après la visite de l'AFP à l'hôpital, Anton Souchko est rentré chez lui, son infection maîtrisée. Pourtant, l'esprit du docteur Kossoulnykov n'est pas à la fête: «Il y a quelques victoires locales, mais il n'y aura pas de victoire complète», conclut-il.