HongrieL'influence d'Orban jusque dans les villages de l'Ouest ukrainien
ATS
8.2.2024 - 07:55
Dans le village ukrainien de Siurte, où réside une importante minorité hongroise, les hommes se cachent. Par peur d'être entraînés dans une guerre qui n'est pas la leur, en écho au récit martelé par Viktor Orban.
08.02.2024, 07:55
ATS
A la pizzeria du centre, on préfère éviter les discussions politiques et dehors, les langues se délient seulement sous couvert d'anonymat.
«Mon mari est cloîtré à la maison» depuis deux ans: «il n'ose pas sortir, faire des courses, conduire les enfants à l'école, car il a peur d'être enrôlé dans l'armée», confie à l'AFP une jeune habitante.
Elle appelle à un cessez-le-feu dès que possible, reprenant à son compte le discours du Premier ministre nationaliste hongrois, persuadé que l'Ukraine ne pourra vaincre la Russie et qu'il faut des pourparlers de paix au plus vite.
Le sujet est particulièrement sensible alors que Kiev peine aujourd'hui à trouver des volontaires pour le front et veut abaisser l'âge de la mobilisation de 27 à 25 ans.
Sans dévoiler son nom de famille par peur des conséquences, un quadragénaire, Jozsef, raconte lui aussi limiter ses déplacements vers la grande ville voisine pour ne pas se faire remarquer par la police et être envoyé au front.
Partisan du gouvernement hongrois actuel, il semble dédouaner la Russie et dit «ne rien à avoir à faire» avec un conflit qui paraît bien lointain dans cet «îlot de paix» épargné par les bombardements.
Omniprésence des médias hongrois
En Transcarpatie, région de l'extrême ouest de l'Ukraine qui appartenait à l'Empire austro-hongrois jusqu'à sa défaite lors de la Première Guerre mondiale, sont recensés plus de 100'000 Magyars, même si nombre d'entre eux ont fui en Hongrie depuis le début de la guerre.
A Siurte, la population est tombée de 4000 à 1000 habitants, selon les estimations locales, et les rues sont bien vides. Ceux qui restent vivent à l'heure hongroise, des écoles aux médias.
«Dans cette région frontalière, la population a souvent uniquement accès à la télévision publique ou à la radio hongroises», explique Laszlo Zubanics, responsable du parti hongrois local UMDSZ.
Mal à l'aise avec la position jugée prorusse de Viktor Orban, il a plaidé en décembre, dans une lettre rédigée avec d'autres représentants de la communauté pour l'ouverture des négociations d'adhésion de l'Ukraine à l'UE.
Viktor Orban, seul au sein de l'UE à avoir maintenu des liens étroits avec le Kremlin, y est farouchement opposé. Il a également bloqué pendant des semaines un soutien financier décisif pour Kiev. Au point que certains soupçonnent ce nostalgique de la «Grande Hongrie» de vouloir récupérer la Transcarpartie en cas de défaite de Kiev face à Moscou.
S'il a finalement cédé début février à l'occasion d'un sommet extraordinaire à Bruxelles, son discours a laissé des traces dans de nombreux foyers de ce territoire.
Fin d'une spirale négative
L'offensive russe en Ukraine est souvent perçue comme un conflit «qui ne concerne pas les Hongrois», regrette M. Zubanics. «Pourtant les Magyars de Transcarpatie ne peuvent rester à l'écart», estime-t-il.
Des centaines d'entre eux se sont d'ailleurs portés volontaires pour défendre leur pays, à l'image du professeur devenu soldat Fedir Chandor, nommé nouvel ambassadeur d'Ukraine à Budapest.
«Une partie de la communauté donne sa vie pour l'Ukraine», confirme Gabor Feher, éditeur de la section hongroise au sein de la chaîne publique ukrainienne Suspilne. «Mais d'un autre côté, Viktor Orban est vu comme le messie par certains».
Depuis son retour au pouvoir en 2010, le Premier ministre a financé des projets locaux, dont des écoles et hôpitaux, et facilité l'obtention de la nationalité hongroise. Il s'est aussi élevé contre une législation adoptée en 2017 par Kiev pour renforcer l'usage de la langue ukrainienne.
Dans un souci d'apaisement, l'Ukraine a récemment adopté des amendements protégeant les droits linguistiques des minorités, et une «commission spéciale» va être mise en place pour étudier les récriminations de Budapest.
«La fin d'une spirale négative», s'est félicité fin janvier le chef de la diplomatie hongroise Peter Szijjarto, après sa première rencontre avec son homologue Dmytro Kouleba.
Derrière l'hostilité et les tensions bilatérales, beaucoup en Transcarpatie espèrent que ce premier pas débouchera sur une désescalade entre leurs deux patries.