InterviewConflit Hamas - Israël : «Une aubaine pour Poutine»
Gregoire Galley
2.11.2023
Alors que la guerre face à la Russie dure depuis près de deux ans, le front commun de soutien des pays occidentaux à l’Ukraine semble quelque peu se déliter. Professeur de science politique à l’Université de Fribourg, Nicolas Hayoz fait le point sur la situation. Entretien.
Gregoire Galley
02.11.2023, 07:53
16.11.2023, 09:59
Gregoire Galley
Près de deux ans après l’invasion russe, le soutien des Occidentaux à l’Ukraine semble être moins prononcé depuis quelques mois. Partagez-vous cette analyse ?
«Ma réponse à cette question est nuancée dans la mesure où ce front commun favorable à l’Ukraine semble quelque peu se fissurer. On le voit avec la récente élection de Robert Fico en Slovaquie ou encore les positions pro-russes adoptées par Victor Orban en Hongrie. Aux États-Unis aussi, ce soutien fait débat puisque certains politiciens républicains rechignent à envoyer davantage de matériel de guerre à l’Ukraine. Cependant, il faut garder à l’esprit que ces voix discordantes restent minoritaires en Occident. Pour preuve, le président Biden soutient l’Ukraine comme la majorité des États européens, et plus particulièrement les pays scandinaves.»
«De manière générale on peut dire que les pays se trouvant dans un voisinage plus ou moins proche de la Russie ou de la zone du conflit sont sans équivoque pour le soutien militaire et financier de l’Ukraine. C’est le cas des pays baltes, des pays scandinaves, de la Pologne, de la République tchèque ou de la Roumanie. La Hongrie et la Slovaquie font l’exception : ils ne partagent pas les mêmes réflexes négatifs par rapport à la Russie ou, historiquement, par rapport à l’Union soviétique et ils ont avec Orban et Fico mis au pouvoir des populistes aux ambitions autoritaires orientées contre le projet d’une Europe libérale.»
«Malgré tout, il ne faudrait pas que la guerre se prolonge trop longtemps. En effet, si cela devait se produire, il y aurait fort à parier que le soutien à l’Ukraine diminuerait davantage.»
«Effectivement, certains pays, à l’image de l’Allemagne, craignent une escalade du conflit. Mais quelle escalade ? On ne veut pas livrer certains systèmes d’armes par crainte que ceux-ci pourraient atteindre le sol russe. Or ce sont des arguments assez faibles. La question est de savoir dans quelle mesure on veut aider l’Ukraine à libérer rapidement son territoire. Il faudrait lui donner à cet effet les armes dont elle a besoin.»
«D’un autre côté, il y aussi les «idiots utiles» de Poutine qui veulent garder de bons rapports économiques avec la Russie. Je pense ici à la Hongrie ou encore à l’Autriche qui possède des relations historiques avec la Russie. Concernant la Suisse, elle a tendance à se cacher derrière sa neutralité pour ne pas trop froisser Vladimir Poutine. Il y aussi tous ces courants d’extrême-droite qui ont le vent en poupe en ce moment en Europe et qui appuient très volontiers la Russie.»
«Vladimir Poutine se présente comme le défenseur d’une Europe traditionnelle»
Nicolas Hayoz
Professeur de science politique à l’UNIFR
Le discours de Volodymyr Zelensky, qui demande sans cesse de nouvelles armes, est-il aussi en train de lasser ses partenaires ?
«Il est important de souligner que l’Ukraine a désespérément besoin du soutien de ses alliés pour se défendre. Ainsi, il est nécessaire que l’Occident l’aide afin qu’elle construise ses propres usines d’armement dans le but de diminuer sa dépendance en matière de matériel de guerre. Il faut aussi mettre le doigt sur le fait que, pour une bonne partie des États de l’hémisphère sud, ce conflit n’est pas le leur en raison de leur éloignement géographique.»
Quels moyens sont mis en place par Vladimir Poutine pour diviser les alliés de Kiev ?
«D’abord, Vladimir Poutine utilise la propagande afin de favoriser certains partis d’extrême-droite qui lui sont favorables en Occident. Le président russe se présente comme le défenseur d’une Europe traditionnelle et conservatrice.»
«Ensuite, il offre aussi un soutien financier ou encore énergétique à certains États tels que la Hongrie. Il influence également certains pays comme la Turquie qui jouent sur deux tableaux en entretenant de bonnes relations avec l’Ukraine. Cependant, Vladimir Poutine peine à diviser réellement les alliés de Kiev.»
Les récents événements au Proche-Orient risquent de reléguer au second plan la guerre en Ukraine. Une aubaine pour Vladimir Poutine ?
«Oui, la guerre entre le Hamas et Israël constitue une aubaine pour Vladimir Poutine car il va détourner l’attention des médias de l’Ukraine. En outre, les Américains et les Européens devront se focaliser sur un autre conflit. Avec ces tensions au Proche-Orient, le maître du Kremlin essaie aussi d’adoucir son image en se présentant comme un médiateur et non pas comme un assaillant car il est clair que le Hamas et la Russie sont semblables au niveau de l’agression qu’ils ont commis.»
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