En affirmant que la France «approche» d'un «sentiment de submersion» migratoire, François Bayrou a tenu des propos chers au RN et au très droitier ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau, mais le centriste a choqué la gauche et certains dans son camp comme Yaël Braun-Pivet.
«Les apports étrangers sont positifs pour un peuple, à condition qu'ils ne dépassent pas une proportion (...) Dès l'instant que vous avez le sentiment d'une submersion, de ne plus reconnaître votre pays, les modes de vie ou la culture, vous avez rejet», a affirmé lundi soir M. Bayrou.
Pour le chef du gouvernement, ce seuil n'est pas encore dépassé mais «on approche» et «en tout cas, c'est dans cette zone qu'on se trouve», sachant qu'un «certain nombre de villes ou de régions sont (déjà) dans ce sentiment-là».
En disant «que tout est une affaire de proportion», le Premier ministre «a justifié la politique que je souhaite mener», s'est réjoui mardi Bruno Retailleau (LR).
«Qu'un homme centriste, modéré, équilibré, puisse dire, au bout d'un mois et demi à Matignon, qu'il y a une proportion d'étrangers qui ne doit pas être dépassée sur le sol national, c'est une avancée», a renchéri son homologue à la Justice, Gérald Darmanin (Renaissance).
Côté RN, si le vice-président Sébastien Chenu s'est félicité d'avoir «gagné la bataille idéologique», Marine Le Pen attend de François Bayrou «des actes qui suivent les constats».
«Il faut que le Premier ministre soit conscient qu'il n'est ni psychiatre ni prêtre et que donc sa parole ne guérit pas», a lancé la cheffe des députés d'extrême droite.
«Fausse idée»
Mais les déclarations du Premier ministre ont choqué l'aile gauche du camp présidentiel, en premier lieu la présidente de l'Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet.
«Je n'aurais jamais tenu ces propos et ils me gênent. On parle d'hommes et de femmes, de notre pays, la France qui, par son Histoire, par sa géographie, par sa culture, a toujours accueilli et s'est construite avec cette tradition», a-t-elle réagi.
Le tollé est général à gauche. «C'est honteux, ça m'a extrêmement choquée qu'un Premier ministre utilise le terme de +submersion+ migratoire et vienne accréditer cette fausse idée alimentée par l'extrême droite», a réagi la cheffe des députés écologistes Cyrielle Chatelain.
Selon l'Insee, en 2023, la population étrangère vivant en France s'élevait à 5,6 millions de personnes, soit 8,2% de la population totale, contre 6,5% en 1975, soit une «augmentation qui est faible». «On n'emprunte ni les mots ni les fantasmes de l'extrême droite», a réagi le patron des députés socialistes Boris Vallaud, jugeant cela «indigne».
Cela pourra-t-il influencer la décision de son groupe de voter la censure du gouvernement sur le budget qui pourrait être soumis à un 49.3 la semaine prochaine ?
«A l'évidence, ce sujet ne pourra que peser dans la décision du groupe», a reconnu lors d'un point de presse le député PS Emmanuel Grégoire alors que les Insoumis maintiennent la pression sur les socialistes.
«Ne pas censurer le gouvernement Bayrou, c'est laisser continuer l'offensive raciste de Retailleau, celui qui parle de Français de papier, de régression ethnique des habitants des quartiers populaires ou encore des belles heures de la colonisation», a affirmé la cheffe des députés LFI Mathilde Panot.
«Basculement»
Du côté des associations de défense des droits des migrants, la présidente de la Cimade, Fanélie Carrey-Conte, a jugé que ces propos «illustraient un basculement vers des analyses de plus en plus stigmatisantes sur la question migratoire».
Pour autant, lors de son entretien sur LCI, M. Bayrou s'est posé en homme de compromis sur ce sujet, fermant la porte à une demande récurrente de la droite et de l'extrême droite, celle d'un référendum sur l'immigration car la Constitution ne le permet pas.
S'il s'est dit favorable à une restriction du droit du sol à Mayotte, il y reste opposé en métropole. Il a aussi refusé de trancher entre Bruno Retailleau qui durcit les conditions de régularisation des étrangers en France, et le ministre de l'Economie et des Finances, Eric Lombard, pour qui le pays «a besoin d'une immigration de travail». Ils ont «tous les deux raison», a-t-il jugé.
C'est qui François Bayrou ?
Sept ans qu'il attendait d'être Premier ministre. François Bayrou, nommé vendredi successeur de Michel Barnier, parvient enfin, à 73 ans, au premier rôle au côté d'Emmanuel Macron, dont il avait grandement contribué à l'élection à l'Elysée.
13.12.2024