«Torturé dans une cave» La descente aux enfers d'un professeur de dessin en Russie

ATS

13.11.2024 - 07:47

Il griffonnait des dessins se moquant du Kremlin. Daniil Kliouka a depuis lors été précipité pour de longues années dans les profondeurs du système pénitentiaire russe, là où la violence impose son silence et où les traces des détenus disparaissent parfois.

Cette photo prise à Varsovie le 18 octobre 2024 présente l'écran d'un téléphone portable avec le portrait de Danill Klyuka publié sur une chaîne Telegram créée pour le soutenir en prison - En prison depuis un an et demi, le professeur d'art russe de 28 ans, critique de l'offensive ukrainienne de Moscou, pense que la directrice de l'école provinciale où il travaillait l'a dénoncé aux autorités pour avoir gribouillé des cornes sur des photos de magazines de représentants de l'État. (Photo Wojtek RADWANSKI / AFP)
Cette photo prise à Varsovie le 18 octobre 2024 présente l'écran d'un téléphone portable avec le portrait de Danill Klyuka publié sur une chaîne Telegram créée pour le soutenir en prison - En prison depuis un an et demi, le professeur d'art russe de 28 ans, critique de l'offensive ukrainienne de Moscou, pense que la directrice de l'école provinciale où il travaillait l'a dénoncé aux autorités pour avoir gribouillé des cornes sur des photos de magazines de représentants de l'État. (Photo Wojtek RADWANSKI / AFP)
AFP

Son histoire n'est qu'un exemple parmi tant d'autres en Russie, en pleine répression de toute résistance, réelle ou imaginaire, à l'invasion de l'Ukraine.

Jusqu'à l'hiver 2023, ce professeur d'arts plastiques russe de 28 ans menait une existence paisible à Dankov, ville située à 300 kilomètres au sud de Moscou, non loin de la gare où mourut l'écrivain Léon Tolstoï.

Sur le site Internet de son ancienne école, un établissement ordinaire, on peut voir des photographies de sa salle de classe avec des reproductions de tableaux aux murs, dont un autoportrait de Van Gogh.

Echange épistolaire

Sa vie s'écroule en février 2023 quand il est arrêté à Dankov par des agents encagoulés du FSB, les redoutables services de sécurité russes. Ils lui reprochent d'avoir envoyé 135'000 roubles (environ 1213 francs au taux actuel) en monnaie numérique à la brigade ultranationaliste ukrainienne Azov, classée «terroriste» en Russie. Des accusations qu'il nie.

Daniil Kliouka dit que tout a commencé lorsque sa directrice l'a signalé au FSB pour avoir esquissé des petits dessins anti-pouvoir sur un journal. L'AFP a pu reconstituer sa descente aux enfers après avoir eu connaissance du contenu de lettres qu'il a échangées avec une militante antiguerre russe vivant en exil en Italie.

Antonina Polichtchouk, 43 ans, a progressivement sorti cette affaire de l'ombre à partir d'août 2023, grâce à un projet encourageant les relations épistolaires avec des prisonniers politiques qui, même poursuivis pour les crimes les plus graves, ont un droit de correspondance.

A l'origine, elle choisit d'échanger avec Daniil Kliouka, car il veut s'entretenir d'architecture et de dessins animés japonais. «Je m'intéresse à l'architecture et ma fille s'intéresse aux dessins animés japonais. Je me suis dit qu'on pourrait lui écrire ensemble», explique Mme Polichtchouk.

Dessins de «moustaches»

Au gré des courriers, échangés via la plateforme officielle en ligne de l'administration pénitentiaire, elle découvre que le jeune homme est poursuivi pour «haute trahison» et «financement d'une organisation terroriste». Ces crimes, très sévèrement punis, sont régulièrement utilisés par l'Etat russe pour écraser les contestataires.

Daniil Kliouka affirme avoir été victime d'une dénonciation. Ce procédé est en vogue en Russie et encouragé par les autorités, à l'instar du président russe Vladimir Poutine qui, dès mars 2022, appelait à chasser les «traîtres» et à «l'auto-purification» de la société.

Daniil Kliouka a raconté qu'à ses heures perdues, sur son lieu de travail, il dessinait «des cornes, barbes et moustaches» sur les photographies d'une gazette locale pro-Kremlin. «Quand il y avait des représentants du pouvoir sur une page, j'écrivais parfois 'démon' sur leur front», a-t-il précisé dans une lettre publiée par le groupe Telegram Politzek-Info, couvrant les répressions politiques.

Mais, un jour, il a oublié le journal à l'école et ses collègues sont tombés dessus. D'après lui, pour ces griffonnages, sa directrice l'a licencié et a contacté le FSB. Il dit avoir été ensuite arrêté, torturé «dans une cave» et que son domicile a été perquisitionné.

20 ans dans un camp

C'est dans son téléphone confisqué chez lui que les agents auraient trouvé les preuves, selon eux, des virements suspects. Daniil Kliouka soutient avoir fait de faux aveux et reconnu sous les coups avoir envoyé des fonds à la brigade Azov, avant de déclarer dans ses lettres, une fois en détention, qu'il avait en fait transmis de l'argent à un cousin ukrainien.

Le cousin, Mykyta Laptiev, a confirmé avoir reçu cet argent et assure qu'il a été utilisé pour soigner son père, l'oncle de Daniil Kliouka. Contactée sur les réseaux sociaux, la responsable scolaire que l'enseignant accuse, Irina Kouzitcheva, n'a pas répondu aux sollicitations de l'AFP.

Impossible également de confronter les dires du prisonnier à ceux de l'accusation car le FSB a classé la procédure secrète, comme presque toujours dans ce genre d'affaires. Sa défense a interdiction de discuter du dossier, sous peine de prison.

Après six mois de correspondance, la militante Antonina Polichtchouk se rend compte que Daniil Kliouka ne dispose que d'un avocat commis d'office qui, «de facto, travaille pour le gouvernement». «Sa famille aurait pu payer un avocat et s'en occuper, mais leur situation est compliquée, ils ont été intimidés. Le FSB fait peur à tout le monde», déplore-t-elle.

Daniil Kliouka a été condamné en appel à 20 ans de réclusion à purger en «régime sévère», c'est-à-dire dans des conditions de détention particulièrement strictes. Chaque année, il n'aura droit qu'à une seule visite et un seul colis.

ATS