Le boulanger du bonheur «Je rêve de partir avec mes ânes et d'offrir du pain à ceux qui n'ont rien»

Valérie Passello

25.9.2024

À Hérémence en Valais, Stéphane Marguet est un «faiseur de pains», comme il aime à le dire. Un homme sensible, volubile, exalté, dont le parcours de vie n'a jamais été un long fleuve tranquille. Passionné par les ânes, qui l'ont aidé à se relever après un accident, il se retrouve une fois encore à la croisée des chemins. Et lance un appel au secours pour pouvoir continuer son activité. Portrait.

Valérie Passello

Lorsque l'on rencontre Stéphane Marguet, on s'aperçoit immédiatement que c'est un personnage hors du commun. Un personnage tout court, en fait. Il est de ceux dont on a très vite envie de dresser le portrait, car ils ont mille choses à raconter. 

Reprenons l'histoire au début. On est un après-midi d'été, les baigneurs se prélassent dans l'eau fraîche de la gouille de Martigny. C'est là, au bord du plan d'eau, que deux ânes profitent de l'herbe tendre à l'ombre des noyers. Un tableau qui interpelle, tout comme cette phrase de leur propriétaire, coiffé d'un chapeau noir à larges bords: «Je suis boulanger, mais là, je fais un périple de dix jours avec mes ânes, pour décider si je continue mon activité ou si je me lance dans quelque chose d'autre.»

Le hasard a voulu qu'il s'adresse à une journaliste en vacances. Mais les journalistes ne le sont jamais vraiment, en vacances, lorsqu'ils tombent sur un bon sujet. Un tour par la page facebook Le Pain que j'aime, et c'est décidé: nous passerons une journée ensemble lorsqu'il sera de retour au bercail, après avoir rendu visite à ses parents à Daviaz, pour amener un cadeau d'anniversaire à sa maman. 

«Ca tombe bien», lâche le boulanger. «J'ai des ennuis d'ordre technique dans mon local de fabrication à Hérémence et j'ai besoin d’aide pour les réparations (ndlr: un de ses fours a rendu l'âme) ou de propositions pour trouver un autre endroit où je pourrai continuer à faire du pain. Je vais lancer un appel aux dons.»

«J'aurais dû avoir des ânes avant de faire des enfants!»

Avant d'avoir le privilège d'un accueil dans le sanctuaire du «faiseur de pains» d'Hérémence, il y a une sorte de test à passer. Nous voilà donc de beau matin dans un pré sur les hauteurs de Sion, à sympathiser avec Pivoine et Ayacha, les deux ânes de Stéphane Marguet, sous le regard tendre de la chienne Chaussette. 

«Pendant mon périple, j'ai réalisé que ce sont eux qui ont raison. Nous, on n'a rien compris au film», considère l'homme de 62 ans. «Mes ânes m'apprennent le calme, un comportement plus humain. On veut toujours tout tout de suite, mais ça ne marche pas, on ne peut pas se fatiguer perpétuellement, il faut apprendre à prendre le temps. En côtoyant ces animaux, on n'a pas le choix, on doit s'aligner à leur rythme».

Et lorsque les baudets profitent d'un moment d'inattention pour prendre la poudre d'escampette en forêt, ce père de trois grands enfants ne s'affole pas: «Avant, je me serais énervé, mais j'ai appris que ça ne servait à rien. On réalise parfois qu'on n'a pas tout fait juste dans sa vie... Moi, j'aurais dû avoir des ânes avant de faire des enfants!», sourit-il.

Son histoire d'amour avec les ânes, pourtant, ne date pas d'hier. Après un grave accident de moto il y a 18 ans, Stéphane Marguet a «atterri» dans un mayen d'alpage à Gryon où deux ânes, Pive et Plume, l'ont aidé à se relever, au propre comme au figuré. «Au début, je ne marchais pas plus de deux minutes. Mais tous les jours, je m'installais sur une couverture dans leur pré. Et petit à petit, nous avons commencé à faire des balades. On m'avait dit que je ne remarcherais plus jamais correctement, mais j'ai fini par faire un entraînement drastique pour me rééduquer», relate-t-il.

La farine dans le sang

Le parcours professionnel de Stéphane Marguet est totalement atypique. Lorsqu'il en parle, on a l'impression de revoir défiler les péripéties de «Forrest Gump». Mais la comparaison s'arrête là: le boulanger, lui, n'a rien de simplet. Celui qui rêvait jadis d'être pilote de motocross a, tour à tour, été éleveur de poulets, carreleur, chauffagiste, mécanicien vélos, entraîneur cycliste, fabricant de bougies en gel thérapeutiques, artiste sur les marchés et vendeur de panneaux solaires. «J'ai toujours tout mis en place sans vraiment rien comprendre», dit-il modestement.

Voilà huit ans que ce Vaudois d'origine a commencé à faire du pain. Il n'était pas du tout boulanger à la base. Mais il s'y est mis après une nouvelle épreuve: «Je commençais à peine un nouveau travail et j'ai fait une double embolie pulmonaire». C'est alors qu'il s'intéresse à l'alimentation en général, puis spécifiquement à la fabrication du pain. Mais pas n'importe comment. 

Stéphane Marguet prépare ses pâtons avec délicatesse.
Stéphane Marguet prépare ses pâtons avec délicatesse.
VP

Il travaille avec des farines bio de céréales anciennes et du levain naturel. Il confectionne son pain avec amour et respect pour les traditions ancestrales. Et très vite, il rencontre un énorme succès: «Les gens viennent pour du pain 'santé', beaucoup plus digeste que celui que l'on trouve dans les stations-service», décrit celui qui fabrique, jour après jour, ce que de certains clients ont baptisé «le pain du bonheur». 

Au début, Stéphane Marguet se lance tête baissée dans cette nouvelle aventure, comme pressé par une forme d'urgence: «Il m'arrivait de travailler 18 heures par jour, je ne savais plus où j'étais», se souvient-il. Il apprend, se trompe, remet le pâton sur le métier pour obtenir le résultat souhaité, se perfectionne sans cesse. 

Aujourd'hui, il a calmé le jeu: «J'ai compris que ce n'est pas en gueulant sur les autres que l'on fait du pain», confie-t-il, assis dans son local d'Hérémence, qui fleure bon l'odeur caractéristique de la boulangerie. «Aujourd'hui, avec mon employé, on fait un maximum de 150 pains par jour et par boulanger. C'est déjà pas mal quand on travaille avec le levain naturel, qui réagit à la lune, la température, la météo ou la pression atmosphérique. Il faut accepter le cycle de vie du produit.»

Face à la fenêtre d'où l'on aperçoit la majestueuse et inspirante Maya, le faiseur de pains a le geste sûr. Et peut-être bien qu'il a le métier dans les veines:« J'ai appris que mes ancêtres d'Epalinges étaient boulangers-meuniers depuis 1521». Une découverte qui émeut Stéphane Marguet au moins autant que lorsqu'il sort de beaux pains dorés du four: «Quand on voit par où on passe pour en arriver à 150 pains, on n'a d'autre choix que d'être ému!», s'exclame-t-il.

Toujours du pain sur le chemin

Si son activité le rend heureux, Stéphane Marguet ne cache pas pour autant qu'il a envie de lever le pied. Ou plutôt, d'aligner son pas à celui des sabots de ses ânes pour prendre la route. Mais sans arrêter de faire du pain. 

Son appel au secours a désormais été lancé sur les réseaux sociaux. On ne connaît pas encore la suite, ni si un élan de solidarité lui permettra de réparer son four ou de trouver d'autres locaux.

Mais, là-bas, dans le pré aux ânes, il y a un vieux char de marché qui attend patiemment son heure sous une bâche. Le projet de cet homme aux mille vies est d'y monter une roulotte, assortie d'un four mobile. «Je rêve de partir avec mes ânes et d'offrir du pain à ceux qui n'ont rien», affirme-t-il, l'oeil pétillant. 

On ne peut que souhaiter une bonne et longue route au boulanger du bonheur.