Vidéos virales«J'ai été très surprise» - Elle embaume les morts et brise les tabous
AFP
30.10.2024
Raconter les coulisses de la mort: Stéphanie Sounac, thanatopractrice, présente son métier de l'ombre à des centaines de milliers de personnes sur les réseaux sociaux et publie un livre pour mieux le faire connaître.
AFP
30.10.2024, 07:48
Gregoire Galley
Thanatopractrice. Un mot pas facile à prononcer, pour un métier qui consiste à donner des soins de conservation permettant de ralentir le processus de décomposition du corps après la mort, et amortir ainsi le choc de sa présentation aux proches.
Stéphanie Sounac (alias Thana Nanou sur les réseaux sociaux) rassemble près de 300.000 abonnés sur TikTok et plus de 130.000 sur Instagram, où elle partage des photos et de courtes vidéos de son métier.
C'est après la pandémie de Covid-19, fin 2021, que Mme Sounac, 40 ans, se lance sur les réseaux, d'abord pour y présenter des «moulages mortuaires». Elle en est une «grande fan», confie-t-elle à l'AFP. «Je me demandais comment je pouvais informer un maximum de gens en un minimum de temps» sur ces masques funéraires.
Elle débute sans montrer son visage, par peur des réactions haineuses. Mais l'une de ses vidéos recense 100.000 vues «en moins de 24 heures». Les interrogations des internautes fusent. Stéphanie Sounac y répond alors dans de nombreuses vidéos.
Dernier adieu
Elle poste aussi une photo de ceintres, avec un mot: «Vêtements en cas de décès», et en légende «le sens du mot +prévoir+ prend je trouve ici une toute autre dimension». En dessous, des dizaines de commentaires racontent la perte d'un proche et autres histoires personnelles. Pour Mme Sounac, sa communauté est «extraordinaire» de bienveillance.
Dans son livre «Les yeux qu'on ferme» (Editions 41, 245 pages, sorti le 24 octobre), Mme Sounac évoque les gestes qu'elle réalise sur les défunts, comme la désinfection du corps ou l'injection d'un mélange de formaldéhyde et d'eau, souvent par les artères, pour «permettre l'hydratation des tissus et leur recoloration» et éviter les lividités qui apparaissent «quelques heures» seulement après la mort.
Cela ne «camoufle pas» la mort, afin que les proches du défunt soient bien conscients qu'il n'est plus en vie. Mais les soins «atténuent les chocs visuels qui pourraient être traumatisants».
Mme Sounac rêvait, depuis son adolescence, d'exercer ce métier. «Cette mission, je la dois aux adultes qui m'ont empêchée de voir mon père défunt et de lui dire adieu» alors qu'elle n'avait que sept ans, écrit-elle.
Il lui arrive de conseiller à des parents de laisser leurs jeunes enfants qui le souhaitent voir leur proche une dernière fois, pour éviter le traumatisme qu'elle a elle-même vécu.
Ce n'est qu'après deux ans et demi à partager son métier, ses cadences, sa difficulté, que Stéphanie Sounac s'est résolue à poster le tarif des soins de conservation sur ses réseaux. «J'ai été très surprise, car les gens s'attendaient à beaucoup plus que ça», dit-elle. Un soin coûte en moyenne entre 250 et 450 euros.
Un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) réalisé en 2013 indique que ces soins représenteraient «10% des frais d'obsèques» et 6% du chiffre d'affaires des pompes funèbres.
«Petits soldats» de la mort
Cela pourrait expliquer pourquoi de nombreuses familles refusent le soin avant même d'en connaître le prix. Selon un rapport du Défenseur des droits de 2018, «plus de 45% des défunts ont fait l'objet de soins de thanatopraxie» en France en 2016.
Dans son livre, elle dénonce les tarifs pratiqués par les pompes funèbres, qui couvrent «à peine les soins». D'autant que basée à la frontière franco-belge, tout près du Luxembourg où elle exerce aussi, elle parcourt la Lorraine et les pays frontaliers, réalisant en moyenne 1.000 soins par an, en roulant 4.000 km par mois.
Elle regrette qu'en France, les thanatopracteurs dépendent exclusivement des pompes funèbres, qui peuvent décider de se passer d'eux du jour au lendemain, une expérience douloureuse qu'à vécue Mme Sounac avec «son plus gros client» après plus de cinq années de service.
Stéphanie Sounac plaide pour une meilleure prise en compte de la santé mentale de ces «petits soldats qui montent au front» et côtoient les morts chaque jour.