«Nous étions de vrais casse-cou» Première ascension de l’Everest sans oxygène artificiel: c’était il y a 40 ans

Sabine Dobel, dpa

8.5.2018

Les médecins ont pris Reinhold Messner et Peter Habeler pour des fous: les deux alpinistes de l’extrême voulaient gravir les 8848tres de l'Everest sans oxygène. Il y a 40 ans, leur histoire a fait sensation dans le monde entier.

Edmund Hillary a été l’un des premiers à les féliciter. Le 8 mai 1978, Reinhold Messner et Peter Habeler atteignaient le sommet de l’Everest sans oxygène. Presque 25 ans jour pour jour après la première ascension de la plus haute montagne au monde (8848 mètres) par Hillary et Tenzing Norgay, ils ont franchi une étape importante dans l’histoire de l’alpinisme.

«Il ne s’agissait pas de battre un record. C’est une idée qui s’est mise en place conjointement», explique Messner, à qui les détracteurs reprochaient une ambition et un égoïsme démesurés et que les fans admiraient pour ses exploits aux quatre coins du monde.

Pour les autres alpinistes expérimentés, ce projet avait très peu de chance d’aboutir. Les médecins ont averti Messner et Habeler qu’un être humain ne pourrait pas survivre à cette altitude sans oxygène, sous peine de subir des dommages irréversibles. «Mes détracteurs disaient que mon cerveau allait en pâtir», se souvient Messner. Toutefois, Messner et son acolyte peuvent se réjouir d’être en excellente santé à ce jour. «Cette ascension n’a visiblement pas provoqué de gros dégâts.»

«Les voies sont équipées de cordes et d’échelles»

Aujourd’hui, la plus haute montagne au monde ne l’attire plus autant. «Bien sûr, je pourrais encore escalader l’Everest en empruntant la voie préparée à cet effet avec de l’oxygène et des médecins qui s’occupent de moi. Mais ce serait pénible», conçoit l’alpiniste de 73 ans. «L’Everest tel qu’Hillary l’a gravi n’existe plus. C’est la même montagne, mais les voies sont équipées de nombreuses cordes et échelles.»

Les sherpas travaillent pendant des mois entiers en se mettant en danger pour préparer la route aux touristes. Et la situation est irréversible, car le Népal gagne beaucoup d’argent avec cette activité. Pour obtenir une autorisation officielle, il faut débourser 11'000 dollars. «Si mille personnes tentent l’ascension, cela représente 11 millions de dollars.» Et pour lui, le fait que le gouvernement népalais ait interdit l’ascension aux aveugles, aux personnes amputées et aux personnes seules, ne constitue pas une solution en soi.

«Les gens sont tous à la recherche du point de fuite de leurs vanités personnelles, et l’Everest est la meilleure façon de le trouver. Je ne fais pas exception à la règle.» Cela n’a pourtant pas empêché Messner et Habeler d’aborder le problème à l’envers. «Nous nous sommes attelés à une tâche extrêmement difficile sans évacuer toutes les difficultés auparavant.»

«Je voulais redescendre, je n’avais plus que cette idée en tête»

Le 8 mai 1978 à 13 heures, les deux alpinistes gravissaient les derniers mètres qui les séparaient du sommet. Ils venaient de réussir ce que presque personne ne pensait possible. «Pourtant, je n’ai pas eu l’impression d’avoir accompli un exploit, j’ai surtout ressenti un énorme sentiment de vide», écrit Habeler dans son livre «L’objectif, c’était le sommet».

Pas la moindre trace d’euphorie. «Je voulais redescendre, je n’avais plus que cette idée en tête.» Messner se trouvait dans le même état d’esprit. Habeler, en particulier, avait été tourmenté par des peurs et des doutes tout au long de l’ascension, il faut dire qu’il était devenu papa quelque mois plus tôt.

Messner et Habeler ont commencé à escalader de grandes parois en un temps record et sans trop d’efforts à la fin des années 60. Ce sont eux qui ont démocratisé le style alpin. Ils ont escaladé la face nord de l’Eiger en neuf heures, alors que toutes les cordées qui les avaient précédés y avaient bivouaqué une nuit. «Nous étions de vrais casse-cou», affirme Habeler pour expliquer ce comportement audacieux.

Avec un minimum d'équipement

Autrefois, les expéditions classiques escaladaient les plus hautes montagnes avec de nombreux porteurs, des provisions conséquentes et des cordes fixes. Messner et Habeler ont commencé avec un minimum d’équipement.

Messner est le premier à avoir atteint le sommet du Nanga Parbat en solitaire, deux ans plus tard, il partait à l’assaut de l’Everest, toujours en solitaire. Il est le premier à avoir escaladé trois sommets de plus de 8000 mètres en un an et à avoir vaincu les 14 sommets de plus de 8000 mètres.

Messner a probablement également été le premier à emmener un magnétophone au sommet de la plus haute montagne au monde. Non pas pour enregistrer le sifflement de la tempête, mais ses propres pensées. Il ne voulait pas se tromper en écrivant un journal le soir ou trois jours plus tard. «Mais il n’en est pas ressorti grand-chose», admet-il. «On comprend à peine ce que je dis sur la bande. Je parle en hachant les mots. Ça n’a pas marché.»

Ils n’ont pas perçu l’ascension de la même façon

Habeler dit avoir eu plus peur en escaladant l’Everest que lors de toutes ses expéditions ultérieures; en revanche, pour Messner, l’Everest ne fait pas partie de ses expéditions les plus difficiles. L’exploration des déserts et des pôles a été son plus grand défi. Quant à «l’ascension du Nanga Parbat avec mon frère, c’est la pire expérience que j’aie vécue.» Günther Messner est en effet décédé en 1970 alors qu’il escaladait le versant du Rupal avec son frère.

Messner vient de réaliser le nouveau film «Der letzte Schritt» (le dernier pas) retraçant son ascension de l’Everest avec Habeler; il a confié son propre rôle à son fils Simon, dont l’ami incarne Habeler. A l’avenir, Messner veut continuer à se consacrer au cinéma. Il aimerait tourner des longs-métrages basés sur des histoires vraies, «parce que les histoires vécues sont bien plus intenses que le fruit de notre imagination».

A près de 75 ans, il songe toutefois à lever le pied progressivement. Il veut dissoudre sa fondation par le biais de laquelle il vient de faire reconstruire une clinique détruite par le dernier tremblement de terre au Népal. Il a encore un projet de musée au Népal et un autre dans le Caucase, une commande du gouvernement géorgien. Il a par ailleurs cédé son musée du Tyrol du Sud à sa fille. Ce sont mes «premiers pas vers la retraite». «Je ne veux plus avoir de contraintes.»

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