Turbulences extrêmesExpérience brutale d’un pilote : «J’ai eu l’impression que l’avion m’échappait»
Gregoire Galley
16.8.2024
De Madrid à Montevideo ou de Londres à Singapour, de nombreux avions ont été touchés par des turbulences extrêmes ces derniers mois. Pilote de ligne chez Air France, Vincent Gilles décrypte ces phénomènes parfois très dangereux pour blue News. Entretien.
Gregoire Galley
16.08.2024, 07:55
16.08.2024, 08:03
Gregoire Galley
Quelles sont les causes de ces turbulences ?
«Premièrement, il y a des causes que l’on connait bien, tels que les orages ou les tempêtes. Ces phénomènes météorologiques sont facilement détectables grâce aux radars de bord et peuvent donc être aisément anticipés.»
«Le second type de turbulences est lié au frottement de l’atmosphère sur la Terre. Elles s’accentuent quand il y a du relief. Ces dernières ne sont pas directement détectables mais peuvent être largement anticipées car nous savons où se trouvent les montagnes.»
«Enfin, les turbulences les plus problématiques sont celles que l’on appelle en anglais les «clear-air turbulence (CAT)». Elles causent des tourments car elles ne sont pas visibles sur les radars. Elles se produisent lorsqu’il y a des conflits de masse d’air entre de l’air chaud et de l’air froid, qui progressent l’un sur l’autre. Cela induit de fortes variations de températures et des vents violents, provoquant des turbulences extrêmes. Généralement, elles se déclenchent quand le ciel est seulement parsemé de quelques petits cirrus.»
Existe-t-il des zones géographiques plus propices aux turbulences ?
«Comme je l’ai déjà mentionné, il y a les reliefs. Les contreforts de l’Himalaya sont, par exemple, des zones où les turbulences sont très fortes. Ensuite, il y a les endroits où passent des tempêtes. Aux États-Unis, ces dernières se forment dans les Caraïbes et remontent généralement en direction des côtes à la fin de l’été. Ces turbulences sont faciles à prévoir puisque les modèles météorologiques indiquent avec précision la trajectoire de ces tempêtes. Pour la petite histoire, sur un vol reliant Paris à Houston, j’ai dû modifier mon itinéraire en raison de la formation d’un cyclone. Ce contretemps a allongé la durée du vol de 45 minutes, ce qui n’est pas rien !»
Dans quelle mesure le réchauffement climatique augmente-t-il l’occurrence de ces fameuses « clear-air turbulence» ?
«Selon moi, pour le moment, peu d’études sérieuses ont été réalisées par rapport à la corrélation entre réchauffement climatique et augmentation des «CAT». Je ne veux donc pas tirer de conclusions hâtives à ce sujet. Cependant, il faut savoir que les «CAT» sont liées à des situations météorologiques bien particulières et qu’avec le réchauffement climatique ces dernières vont devenir de plus en plus fréquentes. Il y aura donc peut-être davantage de turbulences extrêmes mais ce n’est pas une démonstration certaine.»
«Il faut garder en tête que les turbulences sont de véritables menaces»
Vincent Gilles
Pilote de ligne chez Air France
Existe-t-il des signes avant-coureurs de turbulences que vous surveillez pendant le vol ?
«Pour les détecter, j’utilise principalement les radars de bord. En parallèle, je regarde aussi les rapports envoyés par d’autres avions qui ont récemment traversé des zones de turbulences. Avant le décollage, je prends également connaissance de la carte météorologique qui indique les fortes variations de vents et/ou de températures synonymes de turbulences sévères sur la trajectoire de mon vol. Afin de les éviter, je peux voler plus haut ou plus bas. Cependant, voyager à plus basse altitude a un coût économique et écologique car cela consomme davantage de carburant.»
«Malgré ces aspects négatifs, il faut garder en tête que les turbulences sont de véritables menaces et qu’il est impératif de protéger les passagers. Je n’hésite donc pas à emmener un peu plus de carburant pour parer à toute éventualité.»
En tant que pilote, comment doit-on réagir en cas de turbulences ?
«Dans un premier temps, il faut s’assurer que les contraintes sur l’avion ainsi que les turbulences ressenties soient les plus faibles possibles. Si la situation empire, il devient nécessaire de changer de trajectoire latérale ou verticale afin de quitter la zone de turbulences. Dans cette situation, il faut vraiment deux pilotes aux commandes - et non pas un seul comme le préconisent certains constructeurs - pour pouvoir maitriser la situation.»
«Ensuite, il faut mettre en place une stratégie pour savoir où se diriger après être sorti de la zone dangereuse. Dans le même temps, il est indispensable de prendre contact avec les organismes de control aériens pour les avertir que l’avion a modifié sa trajectoire afin d’éviter une collision avec un autre appareil.»
«En outre, il faut aussi allumer le fameux signal «attachez votre ceinture» pour avertir les passagers. Il est également nécessaire de lancer un message au personnel de bord afin qu’il s’asseye et qu’il s’attache. Finalement, il faut envoyer un rapport aux autres compagnies aériennes dans le but qu’elles préviennent leurs avions de l’endroit où se situe la zone à risques.»
«Tout cela fait donc beaucoup de choses à gérer en très peu de temps, ce qui démontre la nécessité d’avoir deux pilotes à bord, tout en sachant que le pilotage automatique a tendance à sauter très rapidement en cas de turbulences extrêmes.»
Quelle est l’expérience la plus intense que vous avez vécue avec des turbulences en vol ?
«Au-dessus du Groenland, j’ai traversé une zone de «CAT» très violente. Afin d’éviter un drame, j’ai dû descendre de 8000 pieds pour m’extirper de cette zone dangereuse. Durant ce laps de temps, je n’arrivais même plus à pouvoir attraper un simple bouton dans le cockpit. J’ai vraiment eu l’impression que l’avion m’échappait, avant de pouvoir rétablir la situation. Nous n’étions pas trop de deux pilotes. Il m’a fallu même deux mains pour agir sur une simple commande ce qui m’a permis d’éviter le pire. Quand cela nous arrive, on se rend vraiment compte de l’intensité de ces turbulences.»
Comment mieux prévenir ces phénomènes de turbulences à l’avenir ?
«Comme je l’ai déjà dit, des rapports de turbulences sont partagés par les différentes compagnies aériennes. Cependant, je déplore que la communauté scientifique ne se saisisse pas davantage de ces rapports afin de mieux prévoir ces turbulences. Les scientifiques élaborent des modèles mais n’utilisent probablement pas assez les données que nous récoltons en vol. Peut-être ne sont-ils tout simplement pas au courant de tout cela ?»
Ces turbulences mettent les avions à rude épreuve. Cela peut augmenter les incidents mécaniques ?
«Honnêtement, je ne le crois pas dans la mesure où les pilotes connaissent les endroits où il ne faut pas voler. Les avions ne sont donc généralement pas exposés à des turbulences trop fortes. Malgré tout, si cela devait arriver, il faut le signaler à la maintenance pour qu’elle réalise des inspections particulières sur l’appareil.»
Quelles sont les fausses idées les plus courantes que les gens ont sur les turbulences ?
«Les gens parlent souvent de trous d’air mais cela ne marche pas comme ça. Il y a des changements dans l’atmosphère qui provoquent des turbulences mais il n’y a pas de trous d’air.»
Pour terminer, avez-vous des conseils spécifiques pour les passagers qui ont une peur intense des turbulences ?
«Il faut garder à l’esprit que les humains ne sont pas faits pour être dans les airs. Il est donc normal d’avoir peur quand il y a des turbulences. Dans ce sens, des compagnies aériennes organisent des stages pour les personnes qui craignent de voyager en avion afin de leur montrer l’envers du décor.»
«De plus, les passagers doivent faire confiance au pilote car il est aussi directement concerné si son appareil rencontre une zone de turbulences. Pour terminer, il est essentiel de garder sa ceinture de sécurité attachée tout au long du vol pour éviter d’être éjecté de son siège en cas de turbulences extrêmes.»
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