«Ruptures technologiques»Et si les dirigeables signaient leur grand retour ?
AFP
22.11.2024
Lesté de défis industriels et d'interrogations environnementales, le constructeur de dirigeables de fret Flying Whales vise malgré tout un premier vol en 2027, avec plusieurs années de retard, assurant que ce projet franco-canadien permettra de «décarboner le transport» de charges lourdes.
AFP
22.11.2024, 07:44
Gregoire Galley
Un précédent calendrier prévoyait un premier modèle en 2023, suivi d'un vol inaugural «début 2024» pour le LCA60T, dirigeable rigide de 200 mètres de long et d'une capacité de 60 tonnes.
Mais ce planning s'est allongé, entre difficulté de récréer une filière industrielle pour ces aéronefs passés de mode, et contraintes environnementales retardant la construction d'une usine d'assemblage en Gironde.
«Notre raison d'être, c'est de décarboner le transport et désenclaver les zones enclavées», plaide auprès de l'AFP Vincent Guibout, directeur général de la jeune société de 250 employés.
Dans un marché disputé par l'américain LTA Research ou les Britanniques d'HAV, Flying Whales ("Baleines Volantes") cible les zones montagneuses ou forestières, où son appareil pourrait charger et décharger en vol stationnaire, sans installations au sol. L'Office national des forêts (ONF) est partenaire du projet.
Le LCA60T doit permettre, par exemple, une économie d'émissions carbone d'environ 70% pour la livraison d'une pale d'éolienne par rapport au transport routier, selon le constructeur.
Sur un financement total de 450 nillions d'euros, Flying Whales a déjà rassemblé 230 M EUR entre levées de fonds et financement public, notamment de l'État français, de la région Nouvelle-Aquitaine ou du Québec, en attendant des capitaux australiens en 2025.
«Mobilité douce»
Lancé en 2017, le développement se poursuit avec la construction de pièces à assembler et tester. Quatre pilotes d'essai ont été formés. «On a toutes les briques», assure Vincent Guibout.
L'aéronef disposera d'une sorte de «trompe» pour pomper de l'eau et lester l'appareil en ballast à mesure qu'il déposera sa charge. Un point crucial en raison du transfert de masse... mais «des technologies ultra-classiques», déjà utilisées dans le treuillage ou le nucléaire, répond le dirigeant.
Le choix de l'hélium, gaz inerte, garantit davantage de sécurité que l'hydrogène, inflammable. Cela coûte plus cher: environ 6 millions d'euros par appareil, sans compter les déperditions, contre 100.000 euros. Flying Whales met en avant la présence à son capital d'Air Liquide pour «sécuriser l'approvisionnement d'hélium».
Autre défi, la question de la vulnérabilité au vent et aux intempéries de cette large structure de 180.000 m3 pouvant voler à 100 km/h sur 1.000 km. «Des progrès technologiques énormes doivent permettre de faire des dirigeables bien meilleurs qu'il y a 100 ans», estime Olivier Doaré, enseignant-chercheur en mécanique à l'École nationale supérieure de techniques avancées (ENSTA), décrivant néanmoins un marché «de niche, intéressant mais pas dans tous les usages».
Carlos López de la Osa, expert en aviation durable pour l'ONG Transport & Environment (T&E), y voit lui une «mobilité douce», «alternative au bateau ou à la route».
Savoir-faire disparu
Reste à rebâtir une filière de fournisseurs: après la catastrophe du Hindenburg en 1937 aux États-Unis, «le savoir-faire a disparu en 1945», souligne Nicolas Caeymaex, ex-directeur opérationnel d'un projet concurrent baptisé Flywin, finalement abandonné.
Et reste à obtenir la certification d'autorités aériennes parfois frileuses face aux «ruptures technologiques», rappelle-t-il. «Flying Whales évolue de manière favorable mais le risque reste grand.»
«C'est une nouvelle filière aéronautique que l'on crée», une «révolution technologique», veut croire Alain Rousset, président (PS) de la région Nouvelle-Aquitaine. «On est sur des temps longs», comme pour Ariane ou l'Airbus A380, abonde Vincent Guibout, qui prévoit une commercialisation entre 2028 et 2029, à un prix catalogue de «quelques dizaines de millions d'euros».
Pour l'heure, le projet rencontre une difficulté plus terre à terre: les retards de construction de l'usine de Laruscade (Gironde), avec 300 emplois à la clé. En 2023 puis 2024, l'Autorité environnementale a émis des avis consultatifs défavorables, le dernier en raison de «l'importance des atteintes aux milieux naturels et aux espèces protégées».
Le groupe écologiste au conseil régional a dénoncé «la destruction de 75 hectares d'habitats naturels». Mais l'exécutif évoque une simple «suspicion» de présence du vison d'Europe et insiste sur la nécessité de développer économiquement le nord-Gironde, redoutant un retard «préjudiciable» en cas de changement de site. «Réindustrialiser, ça veut dire faire des compromis», complète Vincent Guibout.