Ultranationalistes hindous «Si je n'avais pas pris la fuite, ils m'auraient tué avec toute ma famille»

ATS

9.9.2024 - 07:57

En mai 2023, Mohammad Salim a été délogé de sa maison du nord de l'Inde par une foule en colère. Un an après, il vit, tout comme ses voisins musulmans, encore dans la peur des ultranationalistes hindous qui veulent les chasser de leur terre.

Sur cette photo prise le 7 août 2024, Mohammad Salim, qui a fui les persécutions religieuses aux mains d'extrémistes hindous, parle lors d'une interview avec l'AFP sur le toit d'un logement loué à Haridwar.
Sur cette photo prise le 7 août 2024, Mohammad Salim, qui a fui les persécutions religieuses aux mains d'extrémistes hindous, parle lors d'une interview avec l'AFP sur le toit d'un logement loué à Haridwar.
AFP

«Si je n'avais pas pris la fuite ce jour-là, ils m'auraient tué avec toute ma famille», tressaille encore ce père de famille de 36 ans. Expulsé de son domicile, son magasin de vêtements pillé, Mohammad Salim vit désormais chichement avec sa femme et ses trois filles à une centaine de kilomètres de son village de Purola, à Haridwar dans l'Etat l'Uttarakhand (nord).

Rakesh Tomar ne s'en cache pas: il est de ceux qui se sont réjouis de sa fuite. Ce militant de 38 ans déverse sans retenue son discours de haine contre la minorité musulmane du pays (220 millions pour un total de 1,4 milliard d'habitants), qu'il considère comme une menace.

«L'Uttarakhand est une terre sacrée pour les hindous», explique-t-il en rappelant les multiples lieux de pèlerinage de cette région où prend sa source le Gange, fleuve sacré de l'hindouisme.

Théories du complot

«Nous ne laisserons sous aucun prétexte cet Etat devenir musulman, même si nous devons sacrifier nos vies pour cela», poursuit-il. Selon le dernier recensement de 2011, seuls 13% des 10 millions d'habitants de l'Uttarakhand sont de confession musulmane.

Les violences de l'an dernier se sont largement nourries de rumeurs autour du «djihad de l'amour», une théorie du complot qui accuse les hommes musulmans de vouloir séduire les femmes hindoues à seule fin de les convertir. Largement diffusées sur les réseaux sociaux, ces allégations ont mis à bas la relative harmonie confessionnelle dans la région.

Même s'il confesse qu'il n'en a pas la preuve, Rakesh Tomar y croit dur comme fer, comme de nombreux partisans du Bharatiya Janata Party (BJP, parti du peuple indien), le parti nationaliste du premier ministre Narendra Modi. Dans sa ville de Dehradun, le militant a pris la tête du combat contre les musulmans.

«Nous incitons les commerces hindous à afficher leur nom sur leurs magasins pour que les hindous achètent en priorité chez eux», dit-il. «Ce boycott économique va tuer le 'djihad du commerce' mené par les musulmans».

«J'ai été menacé de mort»

La tactique a été utilisée avec succès l'an dernier à Purola. Les violences y ont été lancées dans la foulée d'une campagne d'affichage sur les domiciles et boutiques musulmans, intimant leurs occupants de partir. La foule est alors descendue dans les rues pour exiger le départ immédiat des 500 musulmans de cette bourgade de 10'000 personnes.

Au début, Mohammad Salim a cru pouvoir s'affranchir de la menace. Il est né à Purola, il fréquentait en ami ses voisins hindous et était même un des notables locaux du BJP. Mais des mois de discours enflammés ont ruiné son espoir. «J'ai été menacé de mort», décrit-il. «Les gens m'ont dit: 'Tu dois immédiatement quitter la ville ou alors ces gens te tueront'».

Il a fini par fuir Purola en pleine nuit, avec 200 autres membres de sa communauté. Seuls une poignée d'entre eux ont depuis lors osé y revenir.

Plus que jamais, Rakesh Tomar est persuadé que les musulmans complotent pour s'accaparer les terres, les commerces et les femmes des Hindous. Pour les en empêcher, il dirige ce qu'il présente comme une «armée» de centaines d'hommes, la branche locale du Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS, corps des volontaires de la nation).

Organisation paramilitaire

Bras armé du BJP, cette organisation paramilitaire créée en 1925 réunit des millions de membres dévoués à la cause de l'hindutva, l'idéologie suprémaciste qui veut faire de l'Inde séculaire et multiconfessionnelle un Etat exclusivement hindou. «Si une nation hindoue doit être créée, ce sera sous le règne du BJP», clame Rakesh Tomar.

En Inde, les voix modérées déplorent le succès de ce discours ultranationaliste, notamment au sein d'une population d'exclus de la croissance économique du pays qui jalouse la prétendue réussite de la communauté musulmane.

«Certains veulent séparer les hindous des musulmans» à des fins électorales, regrette Indresh Maikhari, un acteur hindou de la société civile à Dehradun. «Les propos humiliants et discriminants [auront] de graves conséquences».

Loin de cette rhétorique, Mohammad Salim ne rêve que de pouvoir rentrer dans son village. «C'est ma patrie», insiste-t-il. «Où pourrais-je bien aller si je dois quitter la terre où je suis né?»

ATS