Silence brisé«Certains continuent de croire que le corps de leur fille leur appartient»
AFP
19.12.2024
«Je devais choisir entre ma famille et mon droit à la vérité. J'ai choisi le second». La Grecque Elli, victime d'agressions sexuelles perpétrées par son frère, a mis 15 ans avant d'oser se tourner vers la justice.
AFP
19.12.2024, 08:24
Gregoire Galley
Dans une Grèce encore pétrie de culture patriarcale, briser le silence sur les violences sexuelles dont sont victimes les femmes au sein ou en dehors de la cellule familiale s'avère un parcours semé d'embûches. Et ce malgré la vague #MeToo qui a déferlé sur ce pays méditerranéen en 2021.
Aujourd'hui âgée de 33 ans, Elli, qui témoigne auprès de l'AFP avec un prénom d'emprunt, raconte son difficile combat pour «retrouver sa voix» et dénoncer son frère, finalement condamné pour «agression sur mineur».
«Je devais choisir entre ma famille et mon droit à la vérité. J'ai choisi le deuxième. Sans jamais le regretter», assure-t-elle après des années d'errance personnelles, marquées notamment par des tentatives de suicide et des épisodes d'automutilation. Alors qu'elle n'avait que 11 ans et demi, Elli a subi durant un an des agressions sexuelles de la part de son frère de 19 ans.
En Grèce, il a fallu attendre quatre ans après le déclenchement du mouvement #MeToo aux États-Unis pour que des femmes commencent à dénoncer publiquement viols et agressions sexuelles, en particulier dans le sport et le théâtre.
Grand débat
En 2021, la première à le faire, l'ancienne championne olympique de voile Sofia Bekatorou, a révélé avoir subi harcèlement et abus sexuels par un haut responsable de la Fédération grecque de voile durant sa préparation pour les Jeux olympiques de Sydney (Australie) en 2000.
Sa prise de parole a soulevé un grand débat sociétal. Des procès ont ensuite été intentés, notamment par une jeune sportive violée par son entraîneur dont l'histoire vient de faire l'objet d'un documentaire remarqué, «Tack».
Elli a longtemps gardé le silence. A la fin de ses études à Athènes en 2014, elle «s'effondre» quand ses parents lui demandent de les rejoindre en province où ils se sont installés avec son frère.
«Je ressentais une énorme pression, je ne pouvais rien faire. J'entendais la voix de mon frère, je le voyais dans les visages des gens dans la rue», se souvient-elle. Hospitalisée en psychiatrie, «j'étais la +folle de la famille+».
Après une première tentative de suicide en 2016, Elli se confie à ses parents. Mais elle se heurte à sa mère qui lui assène: «Tu veux nuire à notre famille? Tu veux que ton frère aille en prison?» La police ne fait pas mieux: «On m'a découragée car l'affaire était ancienne».
Sa mère «voulait couvrir son fils», poursuit cette assistante sociale spécialisée dans les violences domestiques. En 2018, quand elle apprend que l'épouse de son frère est enceinte, elle porte plainte quatre jours avant que n'expire le délai de prescription pour le crime d'"agression sur mineur", qui est de 15 ans en Grèce.
«Je voulais entendre (devant un tribunal) qu'il était coupable. Jusque-là c'était moi qui me sentais coupable», dit-elle. Dans le prétoire, sa mère défend encore l'accusé, comme la majorité de leurs proches. Condamné en première instance en 2020 à trois ans de prison avec sursis, le frère d'Elli se voit accorder des circonstances atténuantes liées à son jeune âge au moment des faits.
Oreilles fermées
Deux ans plus tard, en appel, les juges le condamnent à une peine supplémentaire de trois ans de prison avec sursis, soit six ans au total.
Depuis, Elli assure «ne plus s'être sentie différente ou seule». L'ex-athlète Sofia Bekatorou et une trentaine de femmes sont venues soutenir Elli lors du procès. «Les bouches sont ouvertes mais les oreilles restent encore fermées dans notre société patriarcale», juge Elli.
15 femmes ont été tuées par leur conjoint ou ex-conjoint depuis le début de l'année en Grèce, dont l'une fin novembre à coups de marteau. Certaines s'étaient tournées vers les autorités pour dénoncer les violences dont elles étaient victimes, notamment une jeune femme tuée devant un commissariat de police où elle s'était rendue, se sentant menacée. Le travail demeure immense, insiste Elli. «Certains continuent de croire que le corps de leur fille, de leur sœur ou de leur femme leur appartient».