Locarno Mohammad Rasoulof: «Vivre en Iran, c'est comme avoir un père alcoolique»

bu, ats, red

22.8.2024 - 10:38

Le cinéma iranien a marqué Locarno cette année. Après Cannes, le film «Les graines du figuier sauvage» a débarqué le dimanche soir sur la Piazza Grande. blue News a rencontré le réalisateur Mohammad Rasoulof.

Mohammad Rasoulof: «Vivre en Iran, c'est comme avoir un père alcoolique»

Mohammad Rasoulof: «Vivre en Iran, c'est comme avoir un père alcoolique»

Le cinéma iranien a marqué Locarno cette année. Après Cannes, le film «Les graines du figuier sauvage» a débarqué le dimanche soir sur la Piazza Grande. blue News a rencontré le réalisateur Mohammad Rasoulof.

22.08.2024

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Après le Léopard d'or remis l'an dernier à Ali Ahmadzadeh pour «Critical Zone» (Zone critique) et «A Sisters' Tale» (Une histoire de soeurs) de Leila Amini qui a ouvert vendredi la «Semaine de la critique», c'était au tour du film «Les graines du figuier sauvage» d'être projeté sur la place tessinoise le dimanche.

Mohammad Rasoulof, réalisateur iranien, pose lors d'un photocall pour le film « The Seed of the Sacred Fig » au 77e Festival international du film de Locarno, à Locarno, Suisse, dimanche 11 août 2024. (KEYSTONE/Jean-Christophe Bott)
Mohammad Rasoulof, réalisateur iranien, pose lors d'un photocall pour le film « The Seed of the Sacred Fig » au 77e Festival international du film de Locarno, à Locarno, Suisse, dimanche 11 août 2024. (KEYSTONE/Jean-Christophe Bott)
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Pour la productrice Afsaneh Salari du documentaire «A Sisters' Tale, «Critical Zone» est «un film métaphorique, très symbolique», pour montrer la situation actuelle de la jeunesse iranienne, mais elle le trouve aussi «un peu trop amer, car il y a une énergie active en Iran pour vouloir changer les choses», a-t-elle dit à Keytone-ATS.

Au micro de blue News, le réalisateur Mohammad Rasoulof explique: «L'Iran est un très beau pays avec un peuple généreux. Et un régime, une dictature totalitaire. Si on met les choses bout à bout, c'est comme avoir un père alcoolique. On est ses enfants, c'est lui qui nous éduque, mais c'est un père qui nous cause beaucoup de souffrance».

Son équipe toujours en Iran

Tandis qu'Ali Ahmadzadeh n'avait pas pu quitter l'Iran l'a dernier pour venir à Locarno, Mohammad Rasoulof en exil depuis quelques mois pour éviter une nouvelle incarcération dans les geôles iraniennes a pu lui se déplacer dimanche dans la ville tessinoise. «Mon équipe qui a dû terminer le film (post-production) sans moi est toujours sur place», a-t-il dit dimanche lors d'une conférence de presse, sa voix se cassant.

Dans «Critical Zone», le personnage principal, un trafiquant de drogue, circule en voiture de nuit dans Téhéran. Au détour de ses livraisons, on croise une hôtesse de l'air devenue passeuse, une mère qui tente de sauver son fils drogué ou un groupe de travailleurs du sexe transsexuels.

Dans une des scènes, l'hôtesse de l'air se débarrasse de son voile, ouvre la fenêtre du taxi, qui roule, s'assied sur la fenêtre et pousse un hurlement interminable. Dans «A Sisters' Tale, une coproduction helvético-franco-iranienne, la protagoniste Nasreen Amini, filmée par sa soeur, ne veut pas crier, mais chanter dans un pays qui l'interdit.

Huis clos familial

Comme dans «A Sisters' Tale», «Les graines du figuier sauvage» se déroule principalement entre les quatre murs d'un appartement, dans un huis clos familial, avec un père souvent absent. Ce cadre privé a permis à Nasreen de chanter et de ne pas porter le voile, sans craindre les foudres du régime. Pour Mohammad Rasoulof, il s'agissait surtout d'une question de moyens.

«Les graines du figuier sauvage» a pour toile de fond les manifestations en Iran il y a deux ans après la mort de l'étudiante Mahsa Amini lors d’un contrôle par la police des mœurs, qui lui reprochait une mèche de cheveux qui dépassait de son voile.

Eléments de documentaires

Le film, une fiction, intègre des éléments documentaires, ces vidéos filmées de manière sauvage qui ont circulé partout sur les réseaux sociaux, montrant les manifestations de femmes, les conductrices extirpées de force de leur véhicule, les matraquages à répétition. Dans un climat insurrectionnel, des jeunes femmes le voile à la main crient des slogans comme «À bas la théocratie!».

Mohammad Rasoulof a abordé le sujet de ce film de manière assez frontale alors que les précédents, plus poétiques et métaphoriques, s'inscrivaient davantage dans une certaine narration iranienne. Il a estimé cette fois que le sujet s'y prêtait moins, a-t-il dit devant les journalistes à Locarno.

Enquêteur au tribunal révolutionnaire

Les deux filles Rezvan et Sana, étudiantes, vont s'identifier au mouvement «Femmes, vie, liberté» tandis que le père vient d'être choisi comme enquêteur dans le tribunal révolutionnaire.

Il réalise qu’il est obligé de signer des mandats autorisant la peine capitale, sans avoir le temps de lire les dossiers. Cet homme, rigoriste mais moral fait face à un cas de conscience.

Iman fait taire ses scrupules en pliant devant l’ordre établi, avec pour conséquence de glisser jour après jour vers la paranoïa. A ses yeux, sa femme aimante et ses filles deviennent des ennemies, qu'il enferme, incarnant la panique des mollahs face au mouvement des femmes.

Cache-cache angoissant

«Les Graines du figuier sauvage» prend ensuite la couleur d’un thriller avec course-poursuite en voiture, séquestration et cache-cache angoissant dans un village labyrinthique en ruine.

Le cinéaste fait de la cadette le symbole d’une jeunesse dans laquelle il croit. Pour lui, c’est elle et le mouvement lancé par les femmes, qui libéreront le pays du régime actuel. Un optimisme qu'affiche aussi la productrice Afsaneh Salari de «A Sisters' Tale».

Le film «Les graines du figuier sauvage», qui a remporté le prix spécial du jury à Cannes, arrive dans les salles le 18 septembre en Suisse romande et le 14 novembre en Suisse alémanique et au Tessin.

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