Chronique TV«C’est une liberté de pouvoir faire des erreurs»
d'Elvire Küenzi
24.3.2021
Le film «Platzspitzbaby» du réalisateur fribourgeois Pierre Monnard est nommé au Prix du cinéma suisse. Une occasion en or de revenir avec lui sur son parcours et sur l’aventure de ce long-métrage. Rencontre.
d'Elvire Küenzi
24.03.2021, 09:53
24.03.2021, 10:33
Elvire Küenzi
Il est 17h ce lundi quand je compose (légèrement stressée), le numéro de téléphone du réalisateur, ma liste de questions sous les yeux. Mon smartphone collé à l’oreille, je lui demande si je peux l’appeler en visio sur WhatsApp. «Pas de soucis, mais je suis dans une salle de montage un peu sombre», me répond-il. Comme l’aventure ne me fait pas peur – et l’obscurité non plus –, j’accepte!
Quelques secondes plus tard, Pierre Monnard apparaît sur l’écran, jovial, souriant et tournant de temps en temps la tête pour parler allemand avec son équipe.
Quand je lui demande de se décrire en trois mots, il réfléchit avant de confier: «passionné, sensible, patient. Oh, je vais en donner plus en fait! Je suis empathique et gourmand de la vie, de la découverte. Je pense aussi que j’ai beaucoup d’amour pour les gens. Pour les acteurs… et aussi pour tous les autres».
Il oublie peut-être de dire «humble», mais moi, je le pense très fort.
Le Fribourgeois né à Châtel-Saint-Denis revient avec moi sur les traces de son enfance. Son père ingénieur et sa «maman professionnelle» comme il l’appelle avec tendresse l’ont toujours soutenu dans son désir de devenir réalisateur. «Mes parents sont de grands cinéphiles et mon père est un lecteur assidu. Nos discussions sur le cinéma m’ont beaucoup nourri. Quand j’ai formulé le vœu de suivre une école de cinéma en Angleterre, ils m’ont soutenu financièrement. Depuis le départ, ils m’ont toujours encouragé».
«J’apprends à œuvrer avec des acteurs»
Après sa formation, il prend ses quartiers à Zurich où il réalise pendant dix ans des spots publicitaires et des clips. Il sort son premier long-métrage, «Recycling Lily» en 2013 puis rencontre l’actrice Sarah Spale alors qu’il travaille sur la série de la SRF «Wilder». C’est le déclic qui va faire évoluer sa manière de réaliser. «Tout ce qui touche à l’aspect visuel me vient naturellement, explique Pierre Monnard. Aujourd’hui, j’apprends à œuvrer avec des acteurs. Chaque comédien a des besoins différents, certains souhaitent qu’on les stimule, d’autres ont envie qu’on les encourage. C’est passionnant de développer des méthodes de travail avec eux, de comprendre leur sensibilité. Cela rend mon métier tellement enrichissant, on ne se répète jamais.»
Avec 330 000 entrées au cinéma, cinq nominations aux Quartz et le Prix du meilleur film suisse décerné par l’Association suisse des journalistes cinématographiques (ASJC), «Platzspitz baby» a rencontré un succès phénoménal. Que ressent-il face à cette réussite? «Ça me fait extrêmement plaisir que le film ait trouvé son public. Etre réalisateur, c’est un peu comme être un cuisinier. Cuisiner pour manger tout seul, cela perd forcément de sa saveur. J’aime partager ce que je fais et, quand je commence un projet, je pense aussi aux gens qui vont visionner le résultat. Notre rôle est de leur apporter de l’émotion, que ce soit de la joie ou de la colère».
Pari réussi avec ce film qui narre le parcours de la jeune Mia et qui nous plonge dans son combat pour rester avec sa mère toxicomane. Une histoire poignante, forte, servie par des comédiennes de talent et une réalisation qui laisse de la place aux acteurs. J’interroge le réalisateur sur le rôle de la musique, curieuse de connaître son parti pris. «Avec Platzspitzbaby, je voulais rester dans le réalisme, j’avais envie que le drame se suffise à lui-même».
Pour terminer cet entretien, j’avais envie de demander au cinéaste quelle était la question qu’on ne lui posait jamais, mais à laquelle il aimerait bien répondre. Après avoir réfléchi un instant, il a évoqué les préjugés qui entourent parfois le monde du cinéma: «On a l’impression que le cinéma, c’est l’art de la maîtrise. Ce n’est pas la vérité. On me dit que "Platzspitzbaby" a l’air d’être maîtrisé… mais pas du tout! Le cinéma, c’est l’art du meilleur compromis possible». Au début de sa carrière, Pierre avoue qu’il courait beaucoup après son story-board avant de se rendre compte que rien ne se déroulait jamais comme il l’avait prévu. Ce qui compte selon lui? L’énergie de la spontanéité.
Aux jeunes qui souhaitent emprunter la même voie que lui, il leur dirait qu’il faut suivre ses rêves et faire des erreurs, car c’est la meilleure façon d’apprendre selon lui: «Quand je regarde mes premiers courts-métrages, ça me fait sourire. Il y a forcément des maladresses, mais c’est une liberté de pouvoir faire des erreurs, c’est un luxe. Le tout, c’est de se jeter à l’eau! Le fait de «faire» est plus important que le résultat».
Avis aux intéressés, prenez vos téléphones, vos caméscopes et lancez-vous!
«Platzspitzbaby» est nominé au Prix du cinéma suisse. Verdict ce vendredi lors de la remise des récompenses!
Mais pour nous, dans nos cœurs, ce film a déjà tout gagné.