Ajla Del Ponte «J'ai fermé les yeux pendant la finale du 100 m à Paris»

gma, ats

19.11.2024 - 10:14

Ajla Del Ponte a fait son deuil le samedi 3 août, dans les tribunes du Stade de France, au bout d'une troisième saison de galère. «J'ai fermé les yeux pendant la finale du 100 m» aux JO de Paris, confie la Tessinoise, qui a accordé un long entretien à Keystone-ATS mercredi dernier sur les bords du Lac Majeur.

Les derniers mois ont été éprouvants pour Ajla Del Ponte (archives).
Les derniers mois ont été éprouvants pour Ajla Del Ponte (archives).
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Keystone-SDA, gma, ats

«Physiquement je me sens bien, mentalement aussi», lâche d'emblée Ajla Del Ponte, qui peut tout faire à l'entraînement. «Certaines choses doivent encore revenir, surtout au niveau de la vitesse. Je ne suis pas loin des autres, je suis même parfois devant lorsque je m'entraîne avec les autres filles», se réjouit-elle.

Il n'y a donc plus aucune gêne au niveau de sa cuisse droite? «Il y avait une certaine appréhension à l'heure de la reprise cet automne. J'ai même un traumatisme lié au 18 octobre: je me suis blessée deux fois à cette date», raconte-t-elle. «Je ne veux pas dire que je ne me suis pas entraînée le 18 octobre dernier, mais...», sourit-elle.

«Je peux encore ressentir parfois une légère douleur quand j'accélère. Mais c'est surtout de l'appréhension, et je travaille là-dessus. Sur les échographies on voit très bien la cicatrice, ce qui est positif. Et le test de force et de résistance que je fais chaque semaine montre que mon muscle tient de mieux en mieux.»

Envie de tout arrêter

A 28 ans, Ajla Del Ponte veut croire que tout est encore possible pour elle après trois saisons marquées par ces problèmes récurrents à la cuisse droite et par une opération due à une triple fracture du tibia en novembre 2022. Mais elle ne cache pas avoir parfois eu envie de tout plaquer.

«J'y ai réfléchi plein de fois. Je me demandais pourquoi tout cela m'arrivait, qu'est-ce qu'on pouvait bien faire de faux. Deux fois j'ai dit à Laurent (red: Meuwly, son coach) que j'allais arrêter. La dernière, c'était en mai dernier après le meeting de Bâle», où elle avait coupé son effort pour sa deuxième course de la journée.

«Quand j'ai reçu les résultats de l'IRM et que j'ai vu que le muscle était complètement arraché, comme en 2023, je me suis dit que je ne pourrais pas refaire tout le processus encore une fois», poursuit Ajla Del Ponte. «Je pensais que c'était mort pour Paris. Mais mes médecins m'ont dit qu'il y avait encore une chance».

Une chance infime, mais qu'elle a voulu saisir. «Ca m'a redonné un peu d'espoir. Mes médecins ne m'ont rien promis, ils m'ont juste dit que je pouvais essayer. Ils pensaient que je pourrais participer aux championnats de Suisse» à la fin juin à Winterthour, où elle s'est toutefois arrêtée en demi-finale sans obtenir son ticket pour Paris.

«Je savais qu'il y avait un risque que le muscle ne tienne pas, il n'y avait que cinq semaines pour me remettre entre ma blessure et les championnats de Suisse. Mais c'était à moi de décider, et j'ai décidé de tenter le coup», glisse la championne d'Europe 2021 du 60 m en salle.

«Le soutien de mes médecins m'a redonné envie de poursuivre ma carrière», ajoute Ajla Del Ponte, qui n'a pas peur d'en demander trop à son corps. «Tant que ce n'est que musculaire, ça ne va pas m'empêcher de vivre normalement après ma carrière d'athlète», assure-t-elle.

«On ne doit pas se plaindre»

«Le sport de haut niveau est usant, même si on ne le dit pas souvent. Mais il est surtout usant mentalement», enchaîne la Tessinoise, qui ne cache pas avoir souffert d'épisodes dépressifs. «On a tendance à cacher ces choses. Moi, j'ai même tendance à ne pas les accepter...»

Mais pourquoi la santé mentale est-elle longtemps restée un tabou? «On veut avant tout se cacher du regard des autres. Il y a un regard négatif sur la dépression, qui est associée à la faiblesse voire à la fainéantise. C'est propre à notre culture suisse: on ne doit pas se plaindre. Quand on parle de cela, il y a toujours un moment de gêne», assure-t-elle.

Alors pourquoi s'être infligé cet été de vivre dans les gradins une finale olympique à laquelle elle avait pris part trois ans plus tôt à Tokyo avec une extraordinaire 5e place à la clé? «C'était une façon de faire mon deuil», explique la deuxième Suissesse la plus rapide de l'histoire (10''90 en 2021).

Le geste était prémédité, même si elle a beaucoup hésité. «J'avais des billets pour mes parents. Je voulais y aller pour lâcher prise. Je voulais être dans le stade pour cette finale. En plus on ne sait pas quand on aura une prochaine opportunité d'assister à des Jeux en Europe en tant que spectateur», précise-t-elle.

«J'ai fermé les yeux pendant la finale. C'était ma manière de laisser tout cela derrière moi. J'avoue que cela fait mal au coeur parfois. Le fait de ne pas avoir pu y participer restera toujours une déception. Ce fut une phase douloureuse. Mais je devais accepter que ce n'était pas mon moment», souligne-t-elle.

«On fonctionne avec des objectifs»

«Je n'aurais jamais pu laisser tout cela derrière moi si je m'étais répété que ma place était sur la piste ce jour-là», ajoute-t-elle, précisant toutefois qu'il était tout autant important d'avoir tout essayé pour décrocher sa qualification pour ces JO. «J'aurais regretté toute ma vie de ne pas avoir tout tenté», soupire-t-elle.

Son esprit est tourné vers l'avenir. Mais pas question de se fixer trop rapidement des objectifs. «Pour l'instant je laisse les choses venir. Mais on est des athlètes, on fonctionne avec des objectifs. Ce serait déjà génial de remettre le maillot de l'équipe de Suisse, mais la concurrence est rude en sprint», rappelle-t-elle.

«Je dois prendre les choses les unes après les autres. L'objectif premier est de pouvoir faire une saison complète en salle», saison indoor qu'elle abordera dans un bon mois après le traditionnel camp d'entraînement en Afrique du Sud. «Mais le chrono ne compte pas pour l'instant. Je veux surtout retrouver le plaisir de concourir.»