Elles ont tracé leur chemin dans le monde très masculin de l'arbitrage jusqu'au graal, la Coupe du monde: trois femmes arbitres seront au sifflet au Qatar, une première pour ces pionnières qui font passer «la compétence avant le genre».
Stéphanie Frappart, Salima Mukansanga, Yoshimi Yamashita, une Française, une Rwandaise et une Japonaise parmi les 36 arbitres de champ sélectionnés pour le Mondial 2022, c'est inédit pour l'épreuve majeure du football masculin.
Au côté de la Brésilienne Neuza Back, de la Mexicaine Karen Diaz Medina et de l'Américaine Kathryn Nesbitt, qui officieront en tant qu'assistantes au Qatar, ces trois trentenaires bouleversent l'ordre établi grâce à un parcours sans faute, remarqué par la FIFA. Elles «enchaînent depuis plusieurs années les prestations de haut vol», a salué la légende de l'arbitrage, l'Italien Pierluigi Collina, président de la Commission des arbitres de l'instance mondiale.
«C'est le summum»
Pour Stéphanie Frappart, 38 ans, le Mondial est la suite logique d'une fulgurante ascension. Première femme arbitre en deuxième division française (2014), puis en Ligue 1 masculine (2019), en Supercoupe d'Europe (août 2019), en Ligue des champions (décembre 2020) et en finale de Coupe de France (7 mai dernier), elle est désormais très bien ancrée dans le paysage français et européen de l'arbitrage.
«Je suis très émue car ce n'était pas forcément attendu. Une Coupe du monde, c'est le summum», savoure celle qui officie régulièrement en L1 cette saison.
De deux ans sa cadette, Yoshimi Yamashita a connu, de son côté, une évolution similaire au Japon, en devenant en 2019 la première femme à arbitrer un match de Ligue des champions d'Asie. Un pas de plus vers le statut d'arbitre professionnelle, obtenu cet été, et suffisant pour abandonner son activité de professeure de fitness, qu'elle exerçait à temps partiel.
Arbitrer au Mondial, «c'est une grande responsabilité mais je suis contente de l'avoir», dit celle qui n'aurait «jamais pu imaginer» en arriver là. En effet, sa découverte du métier ne doit qu'à l'insistance d'une camarade d'université qui l'a «à moitié traînée» pour officier lors d'une première rencontre, raconte-t-elle. Elle n'a ensuite plus jamais lâché le sifflet.
Première femme arbitre d'un match de la Coupe d'Afrique des nations masculine, en janvier dernier, Salima Mukansanga (34 ans) a également été sélectionnée pour l'épreuve reine au Qatar, la récompense ultime pour cette jeune arbitre, qui rêvait initialement de devenir basketteuse professionnelle avant de se tourner vers l'arbitrage. A 20 ans seulement, elle arbitrait déjà des matches du championnat national féminin.
Modèles
La Confédération nord-américaine n'est pas en reste, avec au Mondial l'Américaine Nesbitt et surtout la Mexicaine Karen Diaz, arbitre-assistante qui incarne le symbole d'un pays où l'égalité de genre progresse timidement, malgré un machisme dénoncé avec virulence par les féministes qui avancent le chiffre de dix féminicides par jour.
A 38 ans, Diaz montre aux Mexicaines que tout est possible. «Le fait pour nous les femmes d'arriver à des instances importantes et de réaliser nos rêves est le fruit de notre travail constant mais aussi de ceux qui nous ouvrent la porte pour la première fois», a-t-elle déclaré en remerciant sa famille, les médias et la Fédération.
Elle ne manque jamais de rendre hommage à son père, un «fanatique» du ballon rond qui lui a transmis sa passion. «J'ai commencé à jouer au football à huit ans», se souvient-elle. Ingénieure agronome de formation, la native d'Aguascalientes arbitre depuis 2016 des matches de la Ligue mexicaine de football.
Elle raconte avoir renoncé à un travail fixe. «Ma cheffe m'a dit: «Ou bien l'arbitrage, ou bien le travail.» Je n'ai pas hésité une seconde. J'ai dit que je préfère l'arbitrage. Cela a signifié perdre des revenus stables.»
«C'est devenu le panorama du football»
Mais pour ces six pionnières, il n'est pas question de mettre en avant leur genre ni de chercher la lumière. «Je vais faire tout mon possible pour faire ressortir la beauté du football. Ce n'est pas le pouvoir ou le contrôle qui m'intéressent», a prévenu Yoshimi Yamashita dans un entretien accordé à la FIFA il y a quelques mois.
Stéphanie Frappart n'a de cesse de le répéter: «Depuis 2019 et le premier match que j'ai fait à la Supercoupe d'Europe, les femmes arbitres dans le monde masculin, c'est devenu le panorama du football. Ce n'est plus une question de genre, mais une question de compétence», martèle la Française, appréciée pour sa diplomatie comme pour sa fermeté sur le terrain.
Mais marquer l'histoire de l'arbitrage au Qatar, émirat régulièrement critiqué pour sa gestion de la place des femmes dans la société, n'est pas anodin. «C'est aussi un signe fort de la FIFA et des instances de faire arbitrer des femmes dans ce pays-là. Je ne suis pas porte-parole féministe mais si cela peut faire avancer des choses...», estime Frappart, consciente de «jouer un rôle» de modèle pour toute une génération de futures arbitres.
ATS