BerneVioloncelliste et politicienne, la double vie d'Estelle Revaz
bu, ats
29.12.2024 - 10:00
Depuis un an, la violoncelliste Estelle Revaz fait de la politique à Berne sous la Coupole fédérale. La conseillère nationale (PS/GE), qui sort son sixième album, revient sur deux dossiers, pour lesquels elle s'est mobilisée.
Keystone-SDA, bu, ats
29.12.2024, 10:00
29.12.2024, 10:24
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Comme chaque matin pendant la session du Parlement, Estelle Revaz s'est levée vers 04h00 pour venir jouer de son instrument dans une salle vide du Palais fédéral. «Je mène une double vie: celle de parlementaire et de violoncelliste, concertiste internationale», a-t-elle expliqué à Keystone-ATS dans la salle des pas perdus du Palais fédéral à Berne un jour avant la fin de la session d'hiver.
Parmi les projets politiques sur lesquels elle a travaillé, elle met en avant la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté, la première motion qu'elle a réussi à faire passer devant les deux Chambres fédérales.
«Le coeur de mon engagement»
La musicienne professionnelle de 35 ans a également réussi à faire intégrer au programme de législature l'adaptation des régimes d'assurances sociales aux réalités professionnelles des actrices et acteurs culturels: «C'est quand même le coeur de mon engagement.»
Le Conseil fédéral a le mandat de proposer un texte. Un point de situation est prévu en début d'année, mais «le combat va être de longue haleine».
L'égalité hommes-femmes, avec notamment la question salariale, les Bilatérales III avec l'Union européenne et l'intelligence artificielle occupent également la jeune femme. Elle a par exemple déposé une initiative parlementaire pendant cette session, défendant la formation continue, pour permettre aux personnes en emploi, potentiellement impactées par l'arrivée de l'IA, de pouvoir soit se former, soit se reconvertir.
Le choc du Covid-19
Si Estelle Revaz travaille son instrument depuis l'âge de six ans, son engagement en politique est très récent. Sa prise de conscience s'est faite brutalement pendant la pandémie de Covid-19.
«Du jour au lendemain, tout s'est écroulé». Les tournées à l'international se sont arrêtées et les artistes n'ont pas eu droit à des indemnisations. «Considérés comme non-essentiels, invisibilisés, nous avons été exclus de la première mouture de la loi Covid.»
Cela a vraiment été «quelque chose de brutal» pour la musicienne. «Pour survivre identitairement, j'ai eu besoin de mener ce combat politique pour essayer de faire changer cette loi Covid, pour qu'au moins toutes les actrices et acteurs culturels, indépendamment de leur statut, puissent être indemnisés.»
«J'ai appris assez vite»
«Pour cela, il fallait changer la loi. Comment j'ai fait? J'ai appris assez vite». C'est-à-dire que j'ai construit des coalitions dans chaque commission qui pouvait être saisie du dossier en allant l'UDC au PS. Et ensemble, on a réussi à faire changer la loi en trois mois.»
Dans la foulée, trois partis lui ont proposé de rejoindre leur rang: le PS, le Centre et le PLR. Elle a d'abord refusé. «Finalement, je me suis rendu compte que ce n'était pas circonstantiel au Covid, mais qu'il y avait des problèmes de fond. Et que pour que cela change, il fallait faire partie du jeu ici à Berne».
Estelle Revaz se présente aux élections fédérales il y a un an sous la bannière du PS et se fait élire.
Instrument de grande valeur
Côté musique, elle vient de sortir son dernier album «Caprices for Violoncello Solo by Dall'Abaco». Elle joue avec un violoncelle, fabriqué par le luthier Giovanni Battista Grancino, et qui date de 1679.
Le violoncelle n'a pas toujours été l'instrument soliste et lyrique qu'on connaît, explique-t-elle. Dall'Abaco est l'un des premiers à écrire des morceaux virtuoses pour violoncelle seul: «ces caprices sont techniquement redoutables».
Jouer avec un instrument d'une telle valeur n'est pas sans danger. Il lui arrive de ne pas fermer l'oeil de la nuit pour s'assurer que son violoncelle soit en sécurité.
Il y a quelque temps, elle est rentrée par le train de nuit après un concert à Cologne pour siéger à Berne le lundi matin: «Je n'ai pas dormi de la nuit», parce qu'il n'était pas question qu'elle lâche son instrument, qu'elle avait attaché à sa cheville.
Estelle Revaz est aussi sensible à la création helvétique. Pendant la pandémie, elle a enregistré des oeuvres du Genevois Frank Martin (1890-1973) avec l'Orchestre de Chambre de Genève. Ce compositeur extrêmement connu de son vivant est pratiquement tombé dans l'oubli, parce que personne ne s'est occupé de faire vivre ses oeuvres après son décès.
«Deux fois plus vite»
Son rythme de vie, elle l'a appris dès l'enfance. A 13 ans, sa professeur annonce à sa famille qu'elle a un avenir comme musicienne professionnelle. Son enseignement est aménagé pour lui permettre de travailler son instrument à mi-temps: «On suit le programme normal, mais on va à l'école la moitié moins de temps. On apprend juste deux fois plus vite.»
Quand elle a 15 ans, ses parents décident de quitter Paris pour rentrer en Suisse. Estelle Revaz choisit de rester seule la capitale française, dans une chambre de bonne. Elle suit l'école par correspondance pour pouvoir consacrer encore plus de temps à son instrument: «A ce moment-là, j'avais vraiment mon destin entièrement entre mes mains».