Climat«Les technologies peuvent nous aider à gagner du temps, mais ne sont pas la solution»
Relax
13.8.2021 - 17:29
Parfois présentées comme un «plan B pour la planète», les méthodes visant à atténuer les effets du changement climatique via des technologies sophistiquées font de plus en plus parler d'elles. Quels sont les avantages, la fiabilité et les limites de ces techniques ? Roland Séférian, climatologue français et co-auteur du sixième rapport du Giec, nous aide à y voir plus clair.
ETX Studio
13.08.2021, 17:29
Relax
La planète se réchauffe plus vite que prévu. Le sixième rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) dévoilé lundi 9 août le confirme : alors que la hausse de la température mondiale s'est encore accentuée, elle devrait atteindre au minimum +1,5°C ou +1,6°C par rapport à l'ère préindustrielle autour de 2030. Et ce, quel que soit le scénario.
Pour maintenir la température de la planète en dessous du seuil des 1,5 degré, plusieurs méthodes scientifiques et technologiques sont à l'étude : refroidir la Terre en simulant des éruptions volcaniques, capturer le CO2, fertiliser ou ajouter des sels alcalins dans les océans pour contrer leur acidité…
Souvent désignées par le terme générique de «géoingénierie», ces techniques soulèvent à la fois des craintes et des espoirs. Dans un entretien accordé à ETX Studio, l'ingénieur-chercheur et co-auteur du sixième rapport du Giec Roland Séférian décrypte les enjeux et les problématiques autour de ces technologies.
Dans quelle mesure les méthodes dites de «géoingénierie» sont intéressantes pour réduire les émissions de gaz à effet de serre ?
Tout d'abord, je voudrais préciser que le terme de «géoingénierie» ne s'emploie plus vraiment, car c'est un mot-valise qui englobe les technologies vouées à réduire nos émissions ou à en absorber une partie. Ce mot est donc trop vague, on préfère plutôt parler de «portefeuilles de solutions» qui englobent diverses familles de techniques, car les enjeux, les risques, et les niveaux de connaissances ne sont pas les mêmes selon les techniques employées ou étudiées. D'autant que le terme d'ingénierie sous-entend que tout est contrôlé, ce qui n'est pas toujours le cas.
L'une des techniques que l'on maîtrise le mieux est l'agroforesterie, qui est intégrée dans des modèles de macroéconomie ainsi que dans les scénarios analysés par le Giec. Je pense notamment aux méthodes d'agriculture orientées vers le climat dont on tire de la bioénergie, par exemple du bois pour se chauffer ou de la nourriture.
La solution de l'alcalinisation des eaux marines est également très intéressante, dans la mesure où les océans restent le puits de carbone ultime de la planète, puisqu'ils sont capables de stocker des milliards de tonnes de carbone. En jouant sur leur alcalinité, on augmenterait leur capacité «tampon» de CO2 et on contrerait du même le phénomène d'acidification. Ce qui, sur le papier, nous permettrait d'absorber la quasi-totalité de nos émissions.
Mais pour l'instant, cette technique n'en est qu'au stade de la théorie. Car contrairement à l'agroforesterie, nous ne disposons pas encore de tels modèles dans les océans, pour la bonne et simple raison que cela ne s'est encore jamais produit dans l'histoire de la planète.
Cette méthode pourrait-elle comporter des risques pour les espèces sous-marines ?
Justement, c'est là que se situent les enjeux, car on ne sait pas encore dans quelle mesure l'alcalinité va jouer sur l'eau et sa teneur chimique, au risque de provoquer des chocs osmotiques sur la faune et la flore marine. Les zones d'incertitude sont colossales, c'est pourquoi nous les explorons pour le moment uniquement à partir d'outils de simulation.
Quelles différences peut-on noter entre l'alcalinisation des océans ou un plan de reforestation et un projet comme celui de simuler des reproductions de volcans pour refroidir la planète ?
Les deux premières techniques correspondent à celles de la famille de portefeuilles de solutions visant à réduire nos émissions. Tandis que celle de la reproduction des volcans appartient à l'autre grande catégorie, qui porte sur l'intervention humaine pour «compenser» le bilan énergétique de la Terre.
Une éruption volcanique relâche une quantité de soufre importante dans la stratosphère qui se répartit sur la surface du globe et crée un effet parapluie, c'est-à-dire que cela limite l'entrée du rayonnement solaire dans le système climatique. Et qui dit moins d'énergie dit moins de CO2 et donc un effet de réchauffement moins fort.
On a pu constater ce phénomène avec le volcan de Pinatubo aux Philippines en 1991, qui avait provoqué un refroidissement d'un dixième de degré à l'échelle globale. On en a donc déduit que ce genre d'intervention humaine pourrait atténuer les conséquences du réchauffement global. Mais c'est avant tout une solution palliative qui ne permet en aucun cas de résoudre la cause du problème.
Mais le fait de miser sur l'intervention de la main humaine pour régler une crise provoquée par l'activité anthropique ne risque-t-il pas de nous entraîner dans un cercle vicieux ?
C'est un peu l'histoire de l'humanité : on est souvent à la source du problème, tout en étant capable de trouver des solutions pour le résoudre. Dans le cas de la crise climatique, je pense que cela dépend de la manière dont on perçoit la technologie, qui peut varier selon les générations et les cultures. Aux États-Unis, on y est par exemple très favorable, alors qu'en Europe on va davantage défendre la sobriété. Peut-être que la réalité de demain se situera entre les deux.
Je considère qu'il faut rester ouvert aux innovations et que les technologies qui permettent de gagner du temps sont importantes. Toutefois, je me demande s'il est «sain» de tout miser sur elles (notamment celles qui doivent encore être validées d'un point de vue scientifique), alors que nous disposons dès maintenant des leviers sociaux, culturels et économiques pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre.
Il va falloir trouver un lieu commun entre les points de vue et les stratégies des différents États pour collaborer et s'attaquer ensemble au problème du changement climatique. Ce qui, in fine, reviendrait à construire un monde plus équitable.