Recherches La reine des fourmis

Nicolai Morawitz

1.2.2019

De l’éprouvette à la banque de données: Anne Freitag accompagne ses fourmis dans un voyage un peu particulier.
De l’éprouvette à la banque de données: Anne Freitag accompagne ses fourmis dans un voyage un peu particulier.
Bluewin/mn

Parmi les 60 millions d’objets — plantes, animaux ou champignons —, faisant partie des collections naturalistes suisses, nombreux restent inaccessibles. «Bluewin» a rencontré une chercheuse en charge de la préparation de ces spécimens... et elle a une passion plutôt particulière.

Le musée de zoologie de Lausanne conserve ses trésors derrière d’imposantes portes en métal qui, si vous les poussez quelque peu, vous laisseront entrevoir des centaines de caisses en bois: des papillons de toutes les couleurs possibles et imaginables y sont rangés avec soin.

Il y a parfois plus de 100 ans, des chercheurs les ont préparés pour la science à l’aide d’alcool et de produits chimiques spéciaux. Ces insectes figés pour l’éternité sont non seulement protégés de l’humidité et de la lumière, mais sont également conservés à l’abri des regards. Ils ne sont repris dans aucune archive numérique.

Passionnée par les fourmis

L’une des collections de papillons du musée, un assortiment particulièrement coloré, appartenait à l’écrivain Vladimir Nabokov. Il l’a léguée au musée de Lausanne. Lorsqu’Anne Freitag salue l’enthousiasme scientifique de l’écrivain et montre les ailes chatoyantes de ces insectes, c’est plus par devoir que par admiration. Car sa véritable passion, on le comprend rapidement, ce sont des êtres plus petits: les fourmis.

Le musée de zoologie de Lausanne possède plus de 200'000 spécimens de fourmis. Des générations de chercheurs et de collectionneurs ont déterminé leur provenance et les ont classés de la façon la plus méticuleuse qui soit. «Cependant, seule une petite partie de ces insectes sont repris dans une archive et sont donc accessibles», explique Anne Freitag. Son travail requiert beaucoup de patience et de doigté, comme vous le découvrirez dans ce reportage vidéo:

La préparation délicate des fourmis au Musée zoologique de Lausanne

La préparation délicate des fourmis au Musée zoologique de Lausanne

Anne Freitag du Musée zoologique de Lausanne contribue au immense travail d'archivage des insectes. Entre 3,5 e 4 millions de spécimens sont stocké au Musée zoologique - pour toute la Suisse on estime que ce chiffre s'élève à 60 millions.

28.01.2019

La biologiste de 50 ans estime que seulement quelques milliers de fourmis issues de la collection ont été cataloguées. Au vu de tous les objets que renferme le musée, il faudrait encore «50 ans» pour tout préparer et numériser. Sans qu’aucune main-d’œuvre supplémentaire ne soit recrutée.

Un potentiel scientifique inexploité, car il reste inaccessible: un problème dont l’Académie suisse des sciences naturelles est elle aussi parfaitement consciente. C’est pourquoi elle souhaite développer une nouvelle plateforme de recherche numérique, comme elle l’a annoncé récemment. Un projet qui nécessiterait 14 millions de francs d’investissement.

L’ Académie des sciences naturelles insiste pour qu’un nombre croissant d’objets issus de collections soient numérisés et mis en réseau, car ils contiennent des données uniques. Cela pourrait notamment permettre aux chercheurs et chercheuses de procéder à des analyses de matériel génétique — et d’anticiper certains changements environnementaux à long terme.

La Suisse compte environ 140 espèces de fourmis — parmi elles, beaucoup n’ont plus aucun secret pour Anne Freitag.
La Suisse compte environ 140 espèces de fourmis — parmi elles, beaucoup n’ont plus aucun secret pour Anne Freitag.
Bluewin/mn

Car même la collection de fourmis permet d’effectuer un petit voyage dans le temps: au milieu du 19e siècle, Auguste Forel, qui s’était fait un nom en tant que psychiatre et spécialiste du cerveau, collectionnait déjà des fourmis. Plus de 150 ans plus tard, Anne Freitag tient sa collection entre les mains. Les notes manuscrites figurant sous chaque fourmi sont jaunies, mais n’en restent pas moins parfaitement lisibles.

«J’aimerais que toutes les personnes intéressées puissent avoir accès à cette mine d’informations», déclare Anne Freitag. Elle pense notamment aux chercheurs et chercheuses originaires de pays moins développés. Souvent, ils n’ont pas les moyens de se rendre jusqu’en Europe pour consulter les archives. Ce qui est paradoxal, c’est que c’est justement aux personnes originaires de pays tropicaux, dont proviennent de nombreux spécimens d’animaux, que toutes ces connaissances sont le moins accessibles. Anne Freitag invoque la force du collectif — tout en s’affairant autour de ses fourmis, dont elle s’occupe au quotidien.

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