Destinations En bord de Seine et de Marne, la nostalgie d'un «littoral» disparu

Relax

28.4.2024 - 16:06

(AFP) – Rosine y barbotait, Georges et ses copains allaient y épier «les Parigots»... Jusqu'à leur fermeture à partir des années 60 à cause de la pollution, des dizaines de baignades chamarraient les bords de Seine et de Marne autour de Paris.

Des personnes se baignent dans la Marne en août 1936 à la base nautique de Champigny-sur-Marne.
Des personnes se baignent dans la Marne en août 1936 à la base nautique de Champigny-sur-Marne.
AFP

Ces eldorados d'antan ne sont pas toujours connus des habitants de la capitale et de sa banlieue, à qui l'on a promis comme héritage olympien le retour de la baignade autorisée.

A Champigny-sur-Marne (au sud-est de Paris), où la «plage» ouvre à l'été 1933, «chacun avait sa cabine, on avait un numéro et une clef», se remémore Michel Riousset, 74 ans, historien des bords de Marne, principal affluent de la Seine.

«C'était sympathique et convivial, les gens étaient chaleureux, ils ne se bousculaient pas», raconte Rosine Sanglard, 75 ans.

Sur les photos d'archives, une foule compacte de joyeux baigneurs se presse sur l'étroit banc de sable qui descend en pente douce vers l'eau.

Dans la rivière, un bassin en béton délimite la zone de baignade, agrémentée d'un plongeoir. Derrière, un bâtiment permet de se changer à l'abri des regards.

Parmi les dizaines de lieux de baignade recensés autour de la capitale, de simples rebords en béton d'où les riverains plongeaient pouvaient aussi hériter du nom très officiel de «baignade».

Dès la fin du XIXe siècle, les lignes de chemin de fer qui desservent des gares proches des rives permettent aux Parisiens de passer le dimanche au bord de l'eau.

Dans les années 1920 puis 1930, mairies ou entrepreneurs particuliers institutionnalisent ces espaces, souvent entourés de guinguettes où l'on danse le musette, de terrains de minigolf, de marchands de glaces...

- «Pasticher les plages» -

«L'idée de plages de sable, de s’étendre au soleil, d’un espace plus ludique avec un aménagement sur le rivage est vraiment liée au tourisme balnéaire, destiné à des gens qui n’ont pas les moyens de partir en vacances loin et longtemps», rappelle Isabelle Duhau, cheffe de projet chargée de recensée le patrimoine culturel au sein du ministère français de la Culture.

Alors «gamin du coin» de Villennes-sur-Seine (au nord-ouest de Paris), Georges Parot se souvient qu'il allait avec ses copains «voir tous ces Parigots» (appellation populaire des Parisiens) profiter de la plage de l'île de Médan, où il nageait avec son école dans la piscine installée sur la rive.

«Ah, c'était la folie!» s'exclame-t-il. «A une heure du matin y’avait encore les Parisiens qui s’en allaient en voiture, ils étaient cul-à-cul, c’était incroyable!»

Pour la petite Rosine, patauger sur les bords de Marne était une manière d'aller «à la plage» malgré le peu de moyens de ses parents, employés de grands magasins parisiens.

A quelques kilomètres voire mètres de chez eux, les baigneurs pouvaient avoir l'impression d'un vrai-faux «littoral», note Thomas Deschamps, auteur d'un livre sur les baignades qui a grandi sur la Marne à Saint-Maur-des-Fossés (au sud-est de Paris).

Tout, de l'architecture des plages à leurs noms ("Le Petit Trouville», «Deauville à Paris") en passant par la voirie ("quai de la Rive charmante» à Noisy-le-Grand), tente de faire oublier la proximité de la capitale.

«On importe du vocabulaire de Cannes, de Nice (dans le sud-est de la France), on va pasticher les vraies plages dans une sorte d'exotisme littoral normand ou méditerranéen», détaille Vincent Villette, directeur du musée intercommunal de Nogent-sur-Marne.

- Pollution -

A partir des années 1960, la baignade est interdite dans la Seine autour de Paris – où elle n'est déjà pas autorisée depuis longtemps. Puis en 1970, c'est au tour de la Marne: un arrêté préfectoral évoque un «danger pour la santé publique en raison de sa pollution».

C'est le glas de l'âge des bals et du canotage, de la légèreté des vacances dans la nature, aux portes de la capitale.

Michel Riousset se souvient avoir vu la faune et la flore s'appauvrir à Champigny-sur-Marne.

«La Marne était très noire... Quand on sortait les bateaux, il fallait les mettre sur des tréteaux parce que les coques étaient gluantes à cause des hydrocarbures», décrit-il.

La création massive de piscines et le développement de l'automobile finissent de détourner les riverains de la Seine et de la Marne.

Subsistent aujourd'hui le long des berges de rares vestiges en béton, souvent coûteux à détruire.

«J'y suis retourné avec des amis en voiture mais j'étais malade de voir ça», confie Georges Parot à propos du site de Villennes-sur-Seine – où depuis les rives ont été aménagées et la nature a commencé à reprendre ses droits.

En attendant l'ouverture d'une trentaine de sites de baignade répartis sur 26 communes à et autour de Paris sur la Seine et la Marne promise à partir de 2025.