Remédiation cognitiveCovid Long: «Les gens ont plus un problème d'attention que de mémoire»
Valérie Passello
15.3.2023
Depuis l'identification, chez certaines personnes, de symptômes prolongés faisant suite à une infection au coronavirus, une consultation dédiée au Covid Long s'est ouverte au CHUV à Lausanne. Le Centre Leenaards de la Mémoire offre en outre, depuis l'été 2022, une consultation spécifique sur les complications neuropsychiatriques du Covid long. Eclairage avec la neuropsychologue Mélanie Bieler-Aeschlimann.
Valérie Passello
15.03.2023, 11:04
Valérie Passello
À nouveau problème de santé, nouvelles structures de prise en charge. C'est en voyant arriver des patients, relativement jeunes, «en errance médicale» au centre Leenards de la Mémoire, que le CHUV a décidé de mettre sur pied à la fin de l'été 2022 une consultation pour les personnes, nombreuses, atteintes de Covid Long.
À propos
CHUV
Mélanie Bieler-Aeschlimann est neuropsychologue au Centre Leenaards de la mémoire et chercheuse en neuroscience. À la demande du CHUV, elle a mis sur pied le programme de remédiation cognitive destiné aux patients atteints de Covid Long avec complications neuropsychiatriques, tels que fatigue, trouble de la concentration ou anxiété/dépression.
La neuropsychologue Mélanie Bieler-Aeschlimann a élaboré pour ces patients démunis un programme de remédiation cognitive en cinq volets, destiné à améliorer leur quotidien face aux difficultés rencontrées.
Et ce n'est pas une sinécure, puisque les connaissances scientifiques sur le Covid Long n'en sont qu'à leurs balbutiements. «Nous avons d'abord beaucoup lu, confie la neuropsychologue. Nous nous sommes notamment entendus avec les HUG, qui avaient commencé à dresser une liste des symptômes du Covid Long et qui ont créé la plateforme interactive Rafael. Nous continuons à consulter de nouvelles études aujourd'hui, on en apprend chaque fois un peu plus».
«Le Covid Long arrive comme la goutte d'eau qui fait déborder le vase»
Mélanie Bieler-Aeschlimann
Neuropsychologue
Si ce nouveau mal est encore mystérieux et présente différents symptômes à divers degrés, des points communs se dégagent toutefois chez ceux qui en souffrent. C'est le cas, par exemple, d'une extrême fatigue, dont tous se plaignent. Mélanie Bieler-Aeschlimann relève: «Souvent, les gens -une majorité de femmes- qui viennent consulter avaient déjà une vie très remplie auparavant, avec une grande charge mentale. Le Covid Long arrive comme la goutte d'eau qui fait déborder le vase».
À noter que certaines personnes, plutôt âgées, sont probablement touchées par un Covid Long sans en être conscientes, note la neuropsychologue. Ces gens-là seront sûrement adressés à l'hôpital par leur entourage dans un avenir proche: «Chez ces patients, on pense que le COVID Long a précipité l’installation déjà latente d’un processus neurodégénératif».
Un programme pour gérer au mieux
Les patients concernés par le programme de remédiation cognitive dont s'occupe la thérapeute sont ceux qui sont conscients que quelque chose cloche, encore jeunes, et avec qui il est possible d'améliorer la situation.
Les médecins procèdent d'abord à une évaluation des patients. Difficile de jauger exactement l'atteinte cognitive due au Covid chez ces personnes qui étaient en bonne santé et n'avaient jamais été examinées auparavant. Mais souvent, ces dernières se plaignent de troubles de la mémoire. Or, remarque Mélanie Bieler-Aeschlimann: «Les gens ont plus un problème d'attention que de mémoire. S'ils oublient ou perdent des choses, c'est souvent parce qu'ils sont inattentifs».
«Les fonctions cognitives touchées sont les mêmes que celles qui sont affectées lorsque l'on prend de l'âge»
Mélanie Bieler-Aeschlimann
Toute une palette d'autres symptômes peuvent toucher les personnes souffrant du Covid Long, comme l'installation d’apnées obstructives du sommeil par exemple, mais il existe pour l'heure peu de littérature scientifique à ce sujet. Souvent, les patients eux-mêmes détaillent les troubles rencontrés. «Ce sont eux qui ont attiré mon attention sur les fluctuations de leur état général : il semble que lorsqu’ils vont un peu mieux, ils ont tendance à en faire trop et rechutent avec un épuisement post-effort qui les rend alors incapables de remplir leurs tâches quotidiennes».
Les points clé de la remédiation cognitive
S'informer et développer son sens critique
Identifier les causes des symptômes
Mettre en place des stratégies de mémorisation
Apprendre à re-focaliser son attention
Reconnaître les signes d'une surcharge
Adapter ses activités en fonction de son état de forme
Trouver des stratégies d'évitement
Identifier ce qui apporte des ressources et ce qui en enlève
S'aménager des temps de repos
Apprendre à gérer ses émotions
Accepter la maladie
Favoriser les interactions sociales
Se concentrer sur le positif
Demander de l'aide en cas de stress ou de détresse
Le travail de remédiation cognitive s'axe autour de différents types d'attention: la concentration, l’attention divisée et l’attention sélective. «Les fonctions cognitives touchées sont les mêmes que celles qui sont affectées lorsque l'on prend de l'âge. Il s'agit de la vitesse à laquelle on traite les informations, de la mémoire de travail -celle que l'on utilise, par exemple, lorsque l'on fait plusieurs choses en même temps online- et de l'attention portée à ce que l'on est en train de faire, car ces personnes sont plus sensibles aux interférences», énumère Mélanie Bieler-Aeschlimann.
Favoriser les interactions sociales, jouer à des jeux de société pour entraîner son attention, éviter de trop se fatiguer ou encore planifier et gérer son temps, sont quelques-unes des clés données lors de la remédiation cognitive proposée au Centre Leenaards de la Mémoire.
Aller de l'avant
L'accompagnement consiste ainsi à acquérir et développer des stratégies pour gérer au mieux l'état causé par la maladie. Toutefois, en l'état actuel, si de belles améliorations sont souvent observées, il n'est pas question de «guérir» du Covid Long.
Mélanie Bieler-Aeschlimann reconnaît: «Je dis souvent aux patients qu'ils sont effectivement mal lotis, car ils sont atteints d'une maladie que l'on ne connait pas encore bien et parce que l'on ne sait pas comment elle va évoluer. À partir de là, c’est important de ne pas tomber dans le catastrophisme, et d’entamer « son chemin de croisade » pour accepter sa situation et en tirer le positif».
Dans toute maladie, accepter ce qui nous arrive est une étape cruciale, ajoute la neuropsychologue:« Je leur parle de la gestion des émotions et je leur dis que c’est normal s’ils passent par un moment d’intense déprime, mais que l'acceptation de leur maladie va leur permettre de rebondir». Elle attire aussi l'attention de ses patients sur le fait que la dépression est un fléau et qu'il vaut mieux se faire aider si elle s'installe.
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