TémoignageIl perd la mémoire à cause du Covid Long: «Je disparaissais»
Valérie Passello
1.3.2023
Après avoir, comme beaucoup, attrapé le Covid au début 2022, un Romand a vu son état se dégrader. Epuisement, perte de mémoire, incapacité à se concentrer: il raconte un calvaire qui a duré des mois et qui n'est toujours pas complètement résorbé à ce jour.
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28.02.2023
Valérie Passello
01.03.2023, 06:32
01.03.2023, 11:16
Valérie Passello
Trois jours au lit, un peu de fièvre, des maux de tête: pour Roger*, 45 ans et doublement vacciné contre le Covid, le début de l'histoire ressemble à des millions d'autres. On est courant janvier 2022. Mais c'est un peu plus tard que les choses se gâtent.
«Je suis retourné travailler après les dix jours de confinement obligatoires à ce moment-là. J'étais assez fatigué, mais tout le monde me disait que c'était normal, alors je ne me suis pas inquiété plus que ça. D'autant que début février était une période assez chargée au niveau de mon emploi», confie-t-il.
Ce Valaisan exerce un métier intellectuel, aux horaires irréguliers, alternant des phases de stress et des moments plus calmes. Il y est habitué, il aime son travail. À la tâche, il est rigoureux, précis, efficace et n'oublie quasiment jamais rien.
«Il avait tourné, comme s'il était totalement absent»
Néanmoins des signes toujours plus inquiétants se manifestent au fil des jours. «J'étais de plus en plus fatigué et n'arrivais plus à récupérer, relate Roger. Pourtant, je dormais énormément». Alors qu'il participe à une soirée de Carnaval, il s'aperçoit que quelque chose cloche: «Je disparaissais. Et je m'en rendais compte. Avec le bruit ambiant, je n'arrivais plus à me concentrer sur ce que l'on me disait. Je n'étais plus moi-même».
À ses côtés, sa femme confirme: «Il avait tourné, comme s'il était totalement absent. Je m'étais beaucoup renseignée sur le Covid Long et j'en avais très peur, que ce soit pour moi ou ma famille. J'ai assez vite remarqué une forme de 'brouillard cognitif' chez Roger».
Le principal intéressé, lui, avoue avoir été «dans le déni complet», jusqu'à ce que le diagnostic tombe. «Je prenais des notes pour me souvenir de mes tâches, ce qui ne m'arrive jamais d'habitude. Et après j'oubliais de faire ce que j'avais noté. J'essayais de me concentrer, mais je n'y parvenais pas. La fatigue était de plus en plus grande, un véritable épuisement, une lassitude», décrit-il.
Lorsque, dans un premier temps, son médecin le met à l'arrêt pour dix jours, il trouve cette durée un peu exagérée. Il espère naturellement que tout rentrera dans l'ordre rapidement. Mais ce ne sera pas le cas.
Tous les symptômes d'un AVC
Au mois de mars, la confusion devient encore plus importante. Roger raconte: «Un jour, j'ai noté mes questions avant un entretien professionnel. J'ai bien vérifié, il me semblait que tout était en ordre. Je suis allé manger et quand j'ai relu mes notes après le repas, j'ai réalisé que je n'avais écrit aucun mot, ce n'était qu'une succession de lettres sans signification».
Son épouse reprend: «En principe, il a un excellent sens de l'orientation. Je lui ai toujours fait confiance pour prendre le volant, mais tout à coup, il a fallu que j'apprenne à me repérer moi-même, notamment en vacances, car il était perdu. C'était très impressionnant».
Son langage est aussi affecté. Il inverse des mots ou pire, ne les trouve carrément plus: «Je les voyais défiler dans ma tête, mais ils ne voulaient pas sortir», se souvient Roger. Impossible de travailler dans ces conditions. Son arrêt est prolongé. Il présente tous les symptômes d'un AVC, lui indique son médecin.
Mais un scanner à l'hôpital révèle un résultat pour le moins étonnant: «Je n'avais aucune lésion dans le cerveau, tout était absolument normal», relate le Valaisan. À la suite de tests, il s'avère que sa concentration et sa mémoire sont néanmoins très affectées: chez lui, ces deux capacités sont alors très en-deçà de la moyenne, équivalant aux résultats de, respectivement, 7% et 9% de la population de référence ayant des performances attentionnelles et mnésiques aussi faibles.
L'angoisse de ne pas récupérer
Les médecins le rassurent: ce qui lui arrive est typique d'un Covid Long et il est possible d'œuvrer pour améliorer la situation. «Ils m'ont dit que les gens mettaient généralement trois mois pour récupérer», note Roger. S'ensuit une série d'exercices avec l'appui d'une psychologue spécialisée en neuropsychologie du site Plein Soleil de l'Institution de Lavigny à Lausanne.
Un travail axé sur la concentration et la mémorisation: «C'étaient vraiment des tests du niveau de l'école primaire, mais je n'y arrivais pas du tout au début, explique Roger. Puis, au fil des séances, ça s'est progressivement amélioré.»
Pendant toute cette période, il reste chez lui, ne fait presque plus rien sans son épouse, de peur d'oublier quelque chose ou de se perdre quelque part. Cette dernière explique comment la famille a fait face: «Nos trois enfants ont vite compris la situation, ils se sont adaptés. Nous avons beaucoup joué à des jeux de société tous ensemble et j'ai insisté pour que Roger continue à prendre part aux activités familiales».
De son côté, la mère de famille tâche de rester la plus positive possible: «Ça n'aurait pas été constructif de se laisser abattre de toute façon. Et puis je me disais que s'il fallait faire le deuil d'une partie du Roger que je connaissais, cela aurait pu être pire. Il y a eu des morts avec le Covid», explique-t-elle.
Néanmoins, notre témoin ne constate pas de «guérison» après les fameux trois mois dont on lui a parlé. «Pour moi qui n'ai aucune patience, c'était très difficile, déplore-t-il. J'ai commencé à avoir peur que cela ne redevienne jamais comme avant».
«Je doute que la fatigue parte un jour»
Par chance, l'employeur de Roger met en place des solutions pour qu'il puisse progressivement remettre le pied à l'étrier. À 20% d'abord, puis 40% et ainsi de suite jusqu'à une reprise complète à la fin août. Professionnellement, le Valaisan est à nouveau pleinement actif.
Mais il ne se sent pas sorti d'affaire: «Je doute que la fatigue parte un jour, mais ça, je peux gérer», affirme-t-il. Reste «une certaine morosité» et de «l'irritabilité», relève sa femme, qui a parfois l'impression que son mari «a pris dix ans d'un coup».
Il s'agit maintenant pour Roger de réapprendre à se faire confiance et de se motiver à bouger, ce qui prendra du temps, l'a-t-on prévenu à l'Institut Enmouvement à Lausanne. «Certains jours, encore aujourd'hui, rien que l'idée de mettre mes chaussures pour aller marcher quinze minutes m'épuise», confie-t-il.
Mais il reste positif: «Durant cette longue période d'arrêt, j'ai appris à cuisiner, c'est une activité que j'apprécie. Et j'ai commencé à pratiquer le vélo électrique, ce qui me fait beaucoup de bien».
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*Nom connu de la rédaction. Souhaitant aller de l'avant et éviter qu'on l'interpelle en permanence au sujet de son Covid Long, notre témoin préfère rester anonyme.