Interview exclusive! Zep: «Enfant, j'étais timide, j'aurais aimé avoir un copain comme Titeuf»

Valérie Passello

8.9.2023

L'auteur de bande dessinée Philippe Chappuis, alias Zep, sort un nouvel album de Titeuf intitulé: «Suivez la mèche». Pour blue News, il revient sur l'incroyable parcours de son petit héros, né il y a 30 ans, qui s'est imposé comme un personnage incontournable de la pop culture. Rencontre.  

Zep raconte la naissance de Titeuf

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Tout a commencé à Carouge.

07.09.2023

Valérie Passello

Quand vous regardez le chemin parcouru depuis 30 ans, qu'est-ce qui vous vient à l'esprit immédiatement?

Tout ce qu'on a fait. C'est la première fois que je m'arrête vraiment pour regarder ce qui s'est fait, puisqu'on a fait un livre d'or et deux expositions. Donc il a fallu trier, aller rechercher du matériel, des inédits, des souvenirs des anecdotes. Et c'est dans ces moments-là qu'on prend conscience de tout ce qui s'est accumulé comme dessins, mais aussi comme échanges avec le public et les lecteurs.

Titeuf a été en Chine, en Afrique, il y a un astéroïde qui porte son nom... ce sont des choses qui n'étaient pas du tout imaginables quand la série a été lancée. Moi j'espérais juste avoir suffisamment de lecteurs pour qu'on me donne l'autorisation de faire un deuxième album.

Un anecdote complètement folle qui vous est arrivée grâce ou à cause de Titeuf?

Celle du président Bolsonaro était assez drôle, car on ne s'attendait pas du tout à ça.

Bolsonaro contre Titeuf!

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Quand le futur président du Brésil fait campagne et part en guerre contre "Le guide du zizi sexuel"

07.09.2023

Un de ses projets de campagne était de faire interdire «Le guide du zizi sexuel», car il estimait que ce livre allait pervertir la jeunesse de son pays. Et le soir de la présidentielle il a brandi le livre en vitupérant lors du débat télévisé. Le lendemain, ça a été un raz-de-marée pour l'éditeur brésilien, qui était tout content, ça faisait une promotion incroyable; tout à coup tout le monde parlait de ça (rires).

On rembobine: pouvez-vous nous rappeler comment est né Titeuf?

On est à Carouge, Titeuf est né à quelques mètres d'ici. À l'époque, mon atelier donnait sur une cour d'école. Au moment de la récré, une école primaire, c'est un vacarme phénoménal. Il y avait tellement de bruit que je m'arrêtais de travailler et que je regardais les enfants.

J'étais déjà un vieil enfant, j'avais 24 ans, je n'avais que peu de souvenirs de cette époque. Et tout à coup, le parfum de l'enfance, l'excitation de la cour d'école, de frôler les filles, de mettre un petit papier dans un cartable, la boule au ventre parce qu'on n'est pas prêt pour une interro: toutes ces choses positives et négatives me sont revenues, comme si j'avais réussi à rouvrir ma porte de chambre d'enfant.

«C'est un projet qui n'était fait pour personne»

Zep

auteur de bande dessinée

Je me suis dit: «il se passe un truc chouette», alors j'ai pris des notes sur un carnet. J'ai dessiné des bouts d'histoire à la première personne. J'ai dessiné cette école qui était sous mes fenêtres, mes copains d'école et Nadia, qui était la fille dont on était tous amoureux. Et au moment de me dessiner moi, je me suis dit que j'allais vite être bloqué dans mon enfance qui s'était passée dans les années 1970.

J'avais trouvé ce petit bonhomme avec une mèche sur la tête pour un autre projet de bande dessinée. Je l'ai mis là, il arrive, il dit: «Tchô Manu, tchô Hugo», il lui répondent: «Salut Titeuf» parce qu'il a une tête en forme d'oeuf... Et voilà, tout se passe en quelques secondes, en fait.

«Suivez la mèche»: 18ème album
Editions Glénat

Si Titeuf n'a pas pris une ride en 30 ans, ses aventures, elles, évoluent avec leur époque. Dans ce nouvel album du petit héros à la mèche blonde, les thèmes sont en lien avec l'actualité: végétarisme, réseaux sociaux, environnement: tout passe au crible de Titeuf et de sa bande de copains. Et parmi eux, une certaine Ramatou pourrait bien faire de l'ombre à Nadia dans le coeur de Titeuf... à moins que l'outsider, la désopilante Thérèse, ait ses chances!

J'ai fait une, deux, trois pages, je l'ai fait comme un journal de mon enfance, il y avait une liberté de ton que je n'avais pas jusque-là. Mes autres projets, j'essayais de les cibler pour qu'ils correspondent à ce que j'imaginais des attentes que pouvaient avoir les éditeurs. Là, c'était un projet qui n'était fait pour personne. 

Je l'ai quand même proposé à tous les éditeurs que je connaissais en France et en Belgique, mais tout le monde a refusé Titeuf. Alors j'ai publié mes pages dans un magazine de BD fait par des copains ici à Genève, qui s'appelait «Sauve qui peut», avec un tirage très très modeste. Et un numéro s'est retrouvé chez Glénat, le seul grand éditeur à qui je n'avais pas envoyé le projet, car c'était un éditeur plutôt réaliste, adulte. Ça leur a plu, alors ils m'ont appelé.

L'univers de Titeuf est inspiré de votre enfance, mais il n'est pas vous... le petit Philippe Chappuis, il était comment?

Oh il était beaucoup plus timide. Je crois que j'aurais bien aimé avoir un copain comme Titeuf, en fait.

Qui était le petit Philippe Chappuis, devenu Zep?

Qui était le petit Philippe Chappuis, devenu Zep?

Plus timide que son héros, Zep aurait bien aimé avoir un ami comme Titeuf.

07.09.2023

Souvent j'ai imaginé des choses qu'il fait, mais je n'ai pas osé les faire. Lui il les met en pratique, il est plus naïf que je ne l'étais et donc il essaie. C'est peut-être aussi ce qui explique que le jeune public s'est attaché au personnage. Au fond c'est assez réconfortant d'avoir un personnage qui met les pieds dans le plat à sa place: c'est lui qui va poser les questions gênantes à la maîtresse, ou qui va expérimenter le truc qui va forcément mal tourner.

«Je suis devenu le dessinateur de l'école»

Zep

auteur de bande dessinée

Aujourd'hui, je le fais avec un certain confort, car je ne suis plus un enfant. Je l'emmène dans les pires galères que j'aurais pu imaginer, où j'aurais pu aller quand j'étais enfant, mais j'avais une espèce de timidité ou de peur qui faisaient que je n'y allais pas complètement.

Le dessin pour vous, qu'est-ce que ça représente?

C'est ma vie en fait, c'est mon premier moyen d'expression. Mes parents lisaient de la bande dessinée, j'y avais accès, alors que ça n'avait pas forcément bonne réputation à l'époque. Jusqu'à l'âge de quatre ans et demi, j'étais à la maison avec ma mère, qui était couturière, et j'avais des feuilles en suffisance pour dessiner tant que je voulais, c'était mon occupation quotidienne.

Le dessin pour Zep, c'est...

Le dessin pour Zep, c'est...

Toujours un crayon à la main, Zep se qualifie comme un boulimique du dessin.

07.09.2023

Quand je suis entré à l'école, c'était mon arrivée dans la vie sociale. Et comme j'étais assez timide, il m'était plus facile de m'exprimer avec des dessins plutôt qu'avec des paroles. Alors je suis devenu le dessinateur de l'école, c'était ma place, je faisais des dessins pour tout le monde. Et j'aimais raconter des histoires. C'était un métier pour moi en fait: je dessinais, je racontais des histoires, je suis devenu auteur de bande dessinée.

Dessiner, c'est faire apparaître une image, il y a quelque chose de magique. Mais quand on apprend à écrire, puis à l'adolescence, on arrête progressivement de dessiner, parce qu'il y a un côté un peu bébé. Et c'est dommage, parce que c'est un langage universel, le dessin. Il m'est même arrivé de me sauver par le dessin: Chine par exemple, je ne parlais pas la langue et personne ne parlait anglais, mais avec le dessin, j'ai réussi à me faire comprendre.

Dans le 18ème album «Suivez la mèche», vous abordez avec humour des sujets d'actualité, comme la chirurgie esthétique, la pédophilie, le végétarisme, les questions de genre... comment faites-vous pour taper juste à chaque fois?

Je fais toujours beaucoup plus de pages et après je sélectionne celles qui sonnent «juste». Le piège ce serait que Zep, qui a 55 ans, s'exprime. Ce n'est pas ce qu'on a envie de retrouver dans Titeuf, moi non plus d'ailleurs.

C'est le personnage qui s'exprime, il est curieux, il tâtonne, il dit n'importe quoi, il s'amuse des incohérences, mais il n'a pas de réponses aux questions. Donc il ne va pas être un donneur de leçons: la seule pédagogie qu'il peut y avoir dans Titeuf, c'est celle de l'humour, c'est qu'il faut apprendre à rire de soi-même aussi.

Lorsqu'il y a un sujet plus délicat, comme dans cet album, où Manu a un rendez-vous amoureux où il s'avère qu'il s'agit d'un rendez-vous avec pédophile qui est masqué sur TikTok, il n'est pas question d'en faire un sujet rigolo, mais ça fait partie du quotidien des enfants. Il savent que c'est quelque chose qui existe, alors ça doit aussi faire partie du quotidien de Titeuf. Tous ces sujets méritent d'être dans l'album.

Vous pensez parfois à ce qu'il adviendra de Titeuf après vous? Je pense notamment à Franquin qui ne voulait pas que Gaston Lagaffe soit repris...

Bien sûr que j'y pense, personne n'est éternel et je n'ai pas envie de léguer cette question à mes enfants. Je l'ai dit et écrit: Titeuf est lié à moi. Derrière chaque personnage il y a un auteur, ce n'est pas prétentieux de dire ça, ça me semble assez naturel.

On peut toujours trouver quelqu'un qui copie le dessin de quelqu'un d'autre. Mais le dessin c'est un truc de liberté, créativement, ce serait beaucoup moins intéressant, je ne souhaite ça à personne. 

Parfois une imitation peut être bluffante, on se dit que c'est craiment bien fait, mais il manque toujours quelque chose. Titeuf fait partie de moi, c'est un processus naturel, on se connaît depuis 30 ans. Alors non, il n'y aura pas de Titeuf après moi.

Quel conseil donneriez-vous aux jeunes auteurs qui veulent se lancer?

Avoir du plaisir et le communiquer. C'est hyper important de choisir quelque chose qui nous fait plaisir à dessiner et à raconter. Parce qu'au début, on est le seul pendant un certain temps (rires). Donc si en plus on n'aime pas beaucoup ce qu'on fait et qu'on le fait juste dans l'idée de plaire à quelqu'un et qu'au final ça ne plaît à personne, quel gâchis!

Le conseil de Zep aux jeunes auteurs de BD

Le conseil de Zep aux jeunes auteurs de BD

Que recommande le papa de Titeuf aux jeunes talents qui aimeraient se lancer dans l'aventure de la BD?

07.09.2023

On ne fait pas ce métier pour devenir riche -même si moi j'ai eu beaucoup de chance- à ce moment-là il vaut mieux être trader. Auteur de bande dessinée, c'est un métier de plaisir, c'est une aventure.