Interview d'Alain Berset «Un peu plus de Suisse en Europe ne peut faire que du bien»

clsi, ats

11.9.2024 - 10:40

Le futur secrétaire général du Conseil de l'Europe Alain Berset prépare sa rentrée avant sa prise de fonction le 18 septembre. Le Fribourgeois, dont l'ancienne vie de conseiller fédéral lui paraît déjà lointaine, compte diriger avec tact, pour «influencer le cours des choses».

Alain Berset: «Un peu plus de Suisse en Europe ne peut faire que du bien»

Alain Berset: «Un peu plus de Suisse en Europe ne peut faire que du bien»

Le futur secrétaire général du Conseil de l'Europe Alain Berset prépare sa rentrée avant sa prise de fonction le 18 septembre. Le Fribourgeois, dont l'ancienne vie de conseiller fédéral lui paraît déjà lointaine, compte diriger avec tact, pour «influencer le cours des choses».

11.09.2024

M. Berset, vous avez été nommé secrétaire général au Conseil de l'Europe il y a environ deux mois et demi, le 25 juin. Comment se sont déroulées ces dernières semaines?

Après une campagne intense de quatre mois, puis mon élection, j'ai pu profiter d'un mois de juillet plus calme durant lequel je me suis rendu à quelques festivals et ai profité de vacances en famille. Une lente montée en puissance a ensuite marqué ces dernières semaines. J'ai des contacts de plus en plus réguliers et prépare également les rencontres en prévision d'un programme, qui sera intense dès mon entrée en fonction le 18 septembre. Je me trouverai les trois premiers jours à Strasbourg et devrai directement après me rendre à New York pour l'Assemblée générale des Nations Unies. Il y aura ensuite le Sommet de la Francophonie. Cela va aller très vite. Mes douze années au Conseil fédéral semblent déjà être un souvenir lointain.

Pas question par contre de lancer des projets avant la prise de fonction officielle... Quelle sera votre première action en tant que secrétaire général?

Ma toute première tâche sera d'organiser les équipes pour que le secrétariat puisse fonctionner. Mais je pense que nous devrons très rapidement nous concentrer sur toute la réflexion en cours concernant l'évolution de la démocratie en Europe. Le soutien à l'Ukraine est l'autre point-clé de mes futures tâches.

Le monde politique s'accorde à dire que votre mission en tant que secrétaire général ne sera pas facile. Comment comptez-vous relever le défi?

En politique, je ne connais qu'une seule méthode: tout donner. Il s'agit aussi de regrouper les énergies et de garantir une cohérence également pour la gestion d'une grande organisation. Ce n'est effectivement pas une tâche facile. Elle est même extrêmement difficile, mais c'est aussi pour cette raison que cela en vaut la peine.

D'autant que la défiance augmente chez certains Etats membres. L'Azerbaïdjan, par exemple, s'est vu exclu de l'Assemblée parlementaire pour non-respect de la démocratie. Avez-vous un réel levier d'action pour ce genre de cas?

Il y a en effet des pays dans lesquels il y a des violations graves des droits de l'homme, des principes démocratiques ou de l'Etat de droit. Ils restent membres du Conseil de l'Europe et sont donc tenus de respecter la Convention des droits de l'homme. Une amélioration est évidemment nécessaire. La responsabilité de l'application des arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) revient au Comité des Ministres. Le secrétariat général peut naturellement appuyer et accompagner les efforts pour que la situation progresse. Nous sommes actuellement dans une phase où les forces ont tendance à diverger alors qu'elles ont longtemps convergé par le passé. Retrouver une convergence constitue l'un des grands enjeux de ces prochaines années. C'est une tâche titanesque, mais nécessaire.

La marge de manoeuvre du secrétaire général est-elle suffisante?

La marge de manoeuvre est très grande dans la mesure où je peux développer les initiatives et fixer des objectifs à atteindre avec les équipes et les pays membres. Sans oublier que je serai en charge de plus de 1800 personnes.

Vous avez, au moment de votre nomination, affirmé que le Conseil de l'Europe devait renforcer son poids politique et élargir son réseau. Faut-il comprendre par là que votre prédécesseure Marija Pejcinovic Buric n'a pas totalement rempli sa mission?

L'actuelle secrétaire générale a fait un très bon travail dans des conditions extrêmement difficiles. Son mandat a été marqué par trois ans de pandémie et la guerre d'agression de la Russie contre l'Ukraine. Ces événements ont évidemment grandement limité la possibilité de se rencontrer et de tenir un agenda. Et il ne faut pas oublier que Mme Pejcinovic Buric a propulsé le Conseil vers l'avenir en organisant le Sommet de Reykjavik de l'année dernière lors duquel les fondamentaux ont à nouveau été posés.

Quel style comptez-vous adopter pour diriger le Secrétariat général?

Le mieux à mes yeux est d'adopter une relation très étroite avec tous les acteurs sans se montrer trop directif. Il faut ensuite fixer des objectifs communs. Une fois ce point atteint, je pourrai utiliser mon rôle de secrétaire général pour avoir une influence et un impact sur le cours des choses, également auprès des pays membres. Mais je me rends compte que le défi sera plus conséquent que lorsque je travaillais avec 26 cantons et quatre langues en tant que conseiller fédéral. Désormais, j'aurai affaire à 46 pays membres, de nombreuses langues différentes et une très grande diversité.

Quand les effets de votre politique seront-ils visibles?

Le Conseil de l'Europe ne m'a pas attendu pour que l'organisation fonctionne. Je compte m'inscrire dans une continuité et faire en sorte que nous puissions répondre aux défis d'aujourd'hui, qui ne sont d'ailleurs pas du tout les mêmes qu'il y a 10 ou 15 ans. Si le Conseil de l'Europe accomplit des tâches importantes ces prochaines années, ce sera un très bon signe. Mais il s'agira évidemment avant tout d'un travail d'équipe.

En devenant secrétaire général, vous ne représentez plus la Suisse. Votre position peut-elle toutefois avoir une influence sur le pays?

Il y a d'abord la possibilité de mieux faire connaître le Conseil de l'Europe. Des contacts étroits sur le plan interpersonnel peuvent aussi être d'intérêt pour le pays. Un peu plus de Suisse en Europe ne peut faire que du bien à tout le monde. Et un peu plus d'Europe en Suisse aussi d'ailleurs. Il est nécessaire de garder à l'esprit que nous avons les mêmes valeurs.

Après le Parlement suisse, le Conseil fédéral s'est montré critique sur la condamnation de la Suisse par la CEDH pour inaction climatique. Comment réagissez-vous?

Je comprends qu'on puisse réagir avec une certaine émotion. C'est encore la moindre des choses. Ce qui me réjouis en revanche, c'est de constater que le sujet est pris au sérieux avec une réelle réflexion sur la décision de la CEDH. C'est la réalité politique d'une démocratie directe. Le débat commence et il va être à mon avis très intéressant.

Comment allez-vous organiser votre vie maintenant que votre lieu de travail se trouve à Strasbourg?

C'est naturellement difficile de diriger une organisation de cette taille sans être fortement présent. Et il y aura aussi beaucoup de déplacements. J'ai la chance aujourd'hui, en vivant à Fribourg, où je suis encore à plein temps, d'être à environ 2h30-3h00 en transports publics et privés, par voies terrestres, de Strasbourg. C'est finalement l'équivalent de ce que mon ancien collègue tessinois, le ministre des affaires étrangères Ignazio Cassis, doit parcourir depuis Lugano. Mes trajets seront plus compliqués qu'auparavant, certes, mais cela reste gérable.

Vous avez connu des années difficiles en tant que conseiller fédéral, notamment pendant les années Covid. Votre nouvelle position vous apporte-t-elle plus de sécurité sur ce plan?

Oui, je le pense. En tant que conseiller fédéral, les décisions prises avaient un impact direct sur 8,5 millions de personnes. C'était très dur à porter. Ma nouvelle position impliquera beaucoup plus de déplacements, mais sans avoir la responsabilité de la conduite d'un pays.

clsi, ats