Enfer au Liban «Nous ne savons pas aujourd'hui si nous vivrons ou non, seul Dieu le sait»

AFP

4.10.2024

Lorsqu'une frappe israélienne a tué l'employeur de Fatima Samuella Tholley et détruit presque tout ce qu'elle possédait dans le sud du Liban, ses espoirs de rentrer en Sierra Leone et d'échapper à la spirale de la violence se sont évanouis.

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Avec quelques vêtements de rechange dans un sac en plastique, cette femme de ménage sierra-léonaise de 27 ans et sa cousine ont fui ensemble en ambulance à Beyrouth, la capitale libanaise.

Déboussolées et terrifiées, elles ont été plongées dans le chaos d'une ville bombardée, qu'elles ne connaissaient pas, à l'exception de l'aéroport où elles étaient arrivées quatre mois auparavant.

«Nous ne savons pas aujourd'hui si nous vivrons ou non, seul Dieu le sait», lâche Fatima qui s'effrondre en larmes lors de son appel en visio avec l'AFP. «Je n'ai rien... pas de passeport, pas de document».

Elles ont passé des jours à s'abriter dans le débarras exigu d'un appartement vide, qui leur a été proposé, selon elles, par un homme qu'elles avaient rencontré au cours de leur voyage.

Incapables de communiquer en français ou en arabe, sans accès aux informations télévisées, elles n'ont pu qu'observer depuis leur fenêtre les frappes qui tombaient autour d'elles.

Impuissance

L'AFP a interrogé par téléphone six employées de maison sierra-léonaises qui décrivent toutes un sentiment de stupeur et d'impuissance face aux frappes israéliennes qui ont fait plus de 1.000 morts au Liban depuis mi-septembre et contraint des centaines de milliers de personnes à fuir.

La Sierra Leone, petit pays ouest-africain, abrite une forte communauté libanaise installée depuis plus d'un siècle, fortement impliquée dans les affaires et le commerce.

Inversement, de nombreux Sierra Leonais se rendent chaque année au Liban pour apporter une aide financière à leur famille restée au pays.

Leur situation est régie par un régime de parrainage controversé connu sous le nom de «kafala», qui prête le flanc à un large éventail d'abus, selon les organisations des droits humains, notamment la retenue des salaires et la confiscation des documents officiels, qui constituent pour les travailleurs leur seule planche de salut pour quitter le pays.

«Quand nous sommes arrivées ici, nos employeuses ont pris nos passeports, elles ont tout confisqué jusqu'à la fin de notre contrat», a déclaré Mariatu Musa Tholley, 29 ans. «Maintenant, (les bombardements) ont tout brûlé, même nos employeuses... nous seules avons survécu».

«Nous ne savons rien, n'avons aucune information», poursuit-elle. «Nos voisins ne nous ouvrent pas la porte parce qu'ils savent que nous sommes noires», dit-elle. «Nous ne voulons pas mourir ici», pleure-t-elle.

Fatima et Mariatu ont dit qu'elles gagnaient chacune 150 dollars par mois, en travaillant de 06H00 à minuit, sept jours par semaine. Elles ont affirmé qu'elles étaient rarement autorisées à sortir de la maison.

La Sierra Leone s'efforce d'établir le nombre de ses ressortissants actuellement au Liban, et de fournir des certificats de voyage d'urgence pour ceux qui n'ont pas de passeport, a déclaré à l'AFP Kai S. Brima, du ministère des Affaires étrangères.

Sans rien

Patricia Antwin, 27 ans, est arrivée au Liban en tant que femme de ménage pour subvenir aux besoins de sa famille en décembre 2021. Elle dit avoir fui son premier employeur après avoir été victime de harcèlement sexuel, contrainte de laisser son passeport derrière elle.

Lorsqu'une frappe aérienne a touché la maison de son deuxième employeur dans un village du sud du pays, Patricia s'est retrouvée sans rien. «Les gens pour qui je travaille m'ont laissée et sont partis», assure-t-elle.

Patricia raconte qu'un chauffeur de passage l'a vue pleurer dans la rue et lui a proposé de l'emmener à Beyrouth. Comme Fatima et Mariatu, elle n'a ni argent ni document officiel. «Je ne suis venue qu'avec deux vêtements dans un sac en plastique».

Patricia a d'abord dormi sur le sol de l'appartement d'un ami, puis déménagé sur le front de mer à Beyrouth après l'intensification des frappes. Elle a ensuite trouvé refuge dans une école chrétienne à Jounieh, à quelque 20 kilomètres au nord de la capitale. «Je ne veux pas perdre ma vie ici», implore la jeune femme qui a laissé son enfant en Sierra Leone.

«Nous n'avons pas d'endroit pour dormir, nous n'avons pas de nourriture, nous n'avons pas d'eau», témoigne de son côté Kadij Koroma, une autre femme de ménage qui est séparée de son employeur depuis sa fuite à Beyrouth. Elle dit devoir mendier pour avoir de quoi manger. «On ne sait pas où aller», dit-elle, «partout où l'on va, il y a des bombes, partout où l'on va, il y a des bombes».