Afghanistan Les talibans, improbables alliés dans la guerre antiterroriste

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4.10.2024

Les attaques dans plusieurs pays du groupe Etat islamique (EI) en Afghanistan ont fait des talibans des interlocuteurs inattendus dans la guerre antiterroriste, trois ans après la déroute de la coalition occidentale à Kaboul, estiment les experts.

Le porte-parole des talibans, Zabihullah Mujahid (C), assiste à une réunion publique organisée dans un salon privé du deuxième district de Kandahar, le 18 août 2022. (archives)
Le porte-parole des talibans, Zabihullah Mujahid (C), assiste à une réunion publique organisée dans un salon privé du deuxième district de Kandahar, le 18 août 2022. (archives)
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Le gouvernement taliban en Afghanistan, où au moins deux attaques du groupe Etat islamique au Khorassan (EI-K) ont tué une vingtaine de personnes en septembre, «échange parfois des informations avec des pays touchés par ce groupe», affirme à l'AFP son porte-parole Zabihullah Mujahid.

En face, Graeme Smith, chercheur à l'International Crisis Group confirme. «Des responsables de services de renseignement occidentaux m'ont dit qu'il y avait une coopération avec les talibans contre l'EI-K», dit-il à l'AFP. Il rapporte notamment des «échanges d'informations qui permettent aux talibans de prendre des actions létales contre des terroristes».

Lundi, de nouveau, Kaboul a annoncé avoir abattu deux membres de l'EI-K et arrêté un Tadjik «qui prévoyait un attentat-suicide». Autant de raids que les capitales étrangères, qui pour beaucoup n'ont plus de chancelleries à Kaboul, ne commentent pas.

«Il y a un fossé entre la rhétorique publique des Occidentaux qui dénoncent la loi draconienne des talibans» qui réprime notamment les Afghanes «et ces mêmes pays qui voudraient que les talibans fassent respecter la loi» face aux groupes armés, poursuit M. Smith.

Mais les soutenir avec fonds et technologies ne va pas de soi pour des pays occidentaux qui ne reconnaissent pas l'Emirat islamique qui a remplacé la République en 2021. «Les talibans sont limités dans ce qu'ils peuvent faire», dit ainsi Aaron Y. Zelin du Washington Institute for Near East Policy, car s'ils se sont emparés d'arsenaux étrangers en 2021, ils n'ont que peu de moyens technologiques avancés.

Discrète main tendue

Le Conseil de sécurité de l'ONU indiquait l'an dernier que «les talibans ont discrètement demandé des renseignements et un soutien logistique» pour lutter contre l'EI-K, en «se proposant d'être un partenaire dans la lutte antiterrorisme».

De mars 2023 à mars 2024, l'EI-K, fondé en 2015, a planifié 21 attentats dans neuf pays, rapporte M. Zelin, contre huit les 12 mois précédents. En janvier, l'EI-K a tué plus de 90 personnes dans un double attentat à Kerman, en Iran, et en mars 145 autres dans une fusillade menée par quatre tireurs présumés originaires du Tadjikistan dans une salle de concert à Moscou.

C'est, pour les experts, la preuve supplémentaire d'une hausse des recrutements dans les ex-républiques soviétiques d'Asie centrale, voisines de l'Afghanistan.

Ces attaques «ont bien sûr aggravé l'inquiétude dans le monde», dit Amira Jadoon, de l'université américaine Clemson. Et «créé une dynamique pour une coopération antiterroriste accrue avec les talibans», même si «c'est loin d'être évident». Après cet attentat, Moscou a annoncé vouloir retirer les talibans de sa liste «terroriste».

«Les talibans sont certainement nos alliés dans la lutte antiterroriste», déclarait en juillet le chargé d'Affaires russe en Afghanistan, Dmitri Jirnov. «Ils travaillent à l'élimination des cellules terroristes».

Etats-Unis aussi

Pour Tricia Bacon, du Center for Strategic and International Studies, la Russie est le «candidat privilégié» pour une coopération mais «les talibans sont sourcilleux sur leur souveraineté». «Je ne crois pas qu'ils laisseraient les Russes venir et se balader partout», dit-elle à l'AFP.

D'autant que l'EI-K est connu pour recruter jusque dans les rangs d'anciens talibans. Les Etats-Unis sont aussi partie prenante. Régulièrement, les autorités talibanes dénoncent des survols de drones américains. Washington avait averti Moscou comme Téhéran de l'imminence d'attaques sur leur sol, laissant penser qu'ils surveillent activement l'EI-K.

Eux-mêmes ont déjà subi les coups de l'EI-K: en août 2021 un gigantesque attentat lors de l'évacuation chaotique de l'aéroport de Kaboul avait tué 170 Afghans et 13 soldats américains.

Le chef des forces américaines au Moyen-Orient et en Asie centrale, le général Michael Erik Kurilla, a averti cette année que l'EI-K «avait toujours la capacité de frapper des intérêts occidentaux dans les six mois, avec peu ou pas d'alerte préalable».

Mais «les liens potentiels entre les talibans et d'autres groupes comme Al-Qaïda», qui a mené en 2001 les sanglants attentats du 11-septembre, «limitent considérablement la possibilité d'une coopération», estime Mme Jadoon. «Une telle coopération serait probablement limitée, indirecte et strictement dirigée vers la menace de l'EI-K», ajoute-t-elle.

Et devra mettre en balance «la nécessité de faire face à ce danger émergent» et «les énormes préoccupations éthiques et stratégiques à collaborer avec le régime taliban».

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